Une nouvelle explosion de violence en Centrafrique signe l’échec de l’intervention française

Pour comprendre les responsabilités tricolores dans le nouvel embrasement que connait la Centrafrique ces dernières heures, il faut se pencher sur un opuscule "Centrafrique, pourquoi la guerre?", où des militaires livrent les recettes de l'armée françaises. Edifiant!

Inutile d’être grand ou petit clerc pour comprendre le ressort qui a poussé la France à intervenir militairement,  tant au Mali qu’en Centrafrique. Ce n’est pas l’urgence d’une situation où les droits de l’homme sont martyrisés. L’élément moteur est le poids du lobby militaire tricolore quand il a décidé de dégainer ses fusils. Menacée de coupes claires et de mises à la casse dans les prévisions budgétaires, l’Armée a décidé de mener la guerre. Comme des troisième ligne derrière la mêlée, le lobby politico-militaire a poussé dans le même axe, histoire  de démontrer que la grande muette  doit rester intouchable, une force vitale de la politique de la Nation. L’humanitaire n’est que le masque de militaires peu soucieux de perdre leur pouvoir.

Pourquoi ces deux guerres, au Mali et en RCA, furent  aussi tardives, alors qu’il existait  des solutions politiques applicables bien plus tôt,  pour enrayer des chaos programmés ? Le top départ de ces batailles d’Afrique n’est venu qu’à l’instant où les officiers des plus hauts grades ont pris connaissance du Plan de programmation militaire et autre « Livre Blanc » annonçant la disette : moins d’effectifs, moins de matériel, moins d’argent. Dans le même temps, et puisque cela semble être dans sa nature, François Hollande est tombé amoureux de deux inconnues : l’Armée et l’Afrique. Il était mûr pour dire « oui » à « la guerre contre la terreur ».

La presse, voci l’ennemi

Pour mieux mesurer l’état d’esprit de l’armée, rien de mieux que de lire la prose qu’elle produit  pour justifier  sa politique. Le décryptage de « Centrafrique, Pourquoi la guerre ? », petit ouvrage paru il y a quelques jours,  est là  plus instructif qu’un Conseil d’état major. L’esprit des signataires de ces pages n’est guère éloigné du service « d’action psychologique » rendu célèbre pendant la guerre d’Algérie, ne pas laisser l’information aux seules mains de la presse. Les auteurs de ces 80 pages se sont regroupés à cinq pour bétonner cette idée : l’action de l’armée française en Afrique  est bien plus indispensable que tous les vaccins de Pasteur.

En bouclier, l’ouvrage est armé d’une préface blindée, rédigée par Henri Hude. Je n’invente rien, ce savant est responsable de « l’éthique et du juridique » à Saint Cyr. Placé là en embuscade, Monsieur Hude  nous annonce la couleur : « Un incendie éclate, on envoie les pompiers. Ils éteignent le feu. On pense à autre chose. C’est un peu ainsi que les grands médias présentent aux citoyens les crises africaines  et les opérations militaires souvent françaises. Censées mettre fin à des situations intolérables, elles y parviennent plus d’une fois. De retour d’opération les militaires auraient tant à dire… ». Ah !  « L’attention volage ». Ah ! « le tant à dire ». Vite que Boulanger revienne et cloue le bec des journalistes et de tous ces planqués de « l’arrière » qui ne comprennent rien à la noblesse des armes. Mais, ouf, voilà que tombe en librairie un livre « écrit par des gens qui savent ce dont ils parlent » et dont le travail « a la saveur d’un livre de bonne foi ». Par parenthèse, on ignore l’expérience de terrain sur la Centrafrique de trois étudiants et de profs de Saint Cyr qui ont signé cet opuscule ?  A la fin de son roulement de tambour, annonçant l’entrée des artistes, l’auteur de la préface nous indique qu’il reste dans la lignée de Camerone et de Verdun, il se désole des deux soldats tués à Bangui  (nous aussi) victimes de leur « sacrifice »… Parole surprenante puisque depuis la fin de la conscription être soldat n’est plus un devoir mais un métier.

Que signifient les droits de l’homme? Rien!

Les analystes de ce livre nous font savoir qu’un chef militaire français et moderne, a un jugement sur la démocratie qui convient à l’Africain, celui de RCA ou du Mali. Et  Henri Hude, notre  maître de l’éthique et de droit, nous pose une devinette : « Comment une politique trop idéaliste de démocratisation aboutissant au chaos se distingue-t-elle d’une politique cynique de domination pour la prédation et l’anarchie ? » Je suppose que la réponse est « je sais pas ». Arrive le second étage de la devinette : «  Que signifient les Doits de l’homme dans l’anarchie ? ». Autre réponse au doigt mouillé : « Rien ». Moralité, la démocratie, il faut s’en méfier, elle est capable du pire. Heureusement que notre ferme, mais juste, Armée est là pour dessiner le champ de la liberté qui convient à l’Africain. Ce grand enfant qui, ayant loupé la porte d’entrée dans l’histoire, doit suivre les indications l’homme blanc. Mieux, du militaire blanc. Ainsi, puisque ses méfaits ne sont jamais évoqués dans notre livre, Idriss Déby  le dictateur tchadien, semble être proche d’un Platon élu à la tête d’une République idéale, mais façonnée à Saint Cyr. Attention, à Bangui comme à Bamako à veiller comme le lait sur le feu cette démocratie capable de tout gâcher. Sans oser l’écrire, les auteurs de ce livre nous mettent en tête l’image d’un Africain éternel adolescent : «  le développement de l’humain conduit tôt ou tard à faire le saut définitif du tribal au politique »  (comme si le tribal n’était pas politique)… Cher gardien du droit et de l’éthique à saint Cyr, cher Henri Hude, auriez vous la gentillesse de nous téléphoner quand, s’arrêtant enfin à l’étage noble, l’ascenseur africain fera stop au palier « politique ». En « Afrique, les constitutions sans compléments ou compromis ne peuvent fonctionner de façon satisfaisante »… Le compromis, c’est garantir longue vie à la douce férule des dictateurs, la présidence à vie à  Déby, la même à Sassou Nguesso, Biya, la famille Bongo et autre rois du continent noir.

Nos écrivains  militaires dans leurs lignes, qui ne sont pas Maginot -en le disant sans le dire- nous expliquent  que le Tchad « joue un rôle majeur dans la région ». Quelle découverte. Et que Ndjamena a « de réels moyens de pression sur les milices de la  Séléka » (en fait Déby les a encouragées, armées et adoubées). Autre trouvaille. Pour achever le chapitre par une explication diplomatique : en Centrafrique,  la France doit agir « avec douceur » afin de  ne pas « froisser l’allié tchadien ».  Grâce au TGV on passe vite de Coetquidan au Quai d’Orsay. Résumé des premiers chapitres : en RCA, ça va mal, mais faut faire gaffe : ne pas mettre trop de démocratie dans le bouillon et ne pas oublier de bien aimer l’ami Idriss. On avance.

Le bouquin entame ensuite un « tunnel » qui  pour une fois  est sans ennui. Les vieilles malles des militaires regorgent d’histoires de héros conquérants  africanistes, leurs canonnières mises à part, ils étaient un peu anthropologues. Restent des récits comme celui de l’explorateur Uzac, installé en Oubangui-Chari qui fit alliance avec le chef Ngaba. L’un et l’autre, en 1889, s’ouvrent le poignet et se sucent mutuellement le sang… Une idée moderne qu’il faudrait conseiller à  Hollande.

Notre ami Bokassa

Nos auteurs en arrivent à l’ère Bokassa. Nos amis militaires nous rappellent de saines vérités, ce n’est pas pour installer la liberté à Bangui que le nouveau César a été déboulonné, mais parce qu’il menaçait d’ouvrir à Bouar une base libyenne. Déjà Bokassa, et nombre de ses ministres, par amour de Kadhafi plus que du Prophète, ont jadis éprouvé le besoin de faire quelques pas de danse avec le Coran. L’existence d’une minorité musulmane, au nord est du pays, et ces conversions opportunes de l’empereur et de ses ministres créant alors des « clans religieux » qui ont laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. Merci Saint Cyr.

Mais que faire de ces méchants mercenaires des milices Séléka, les « éliminer » bien sûr. Les flinguer, en oubliant qu’une minorité de ces dingues  sont des centrafricains « de souche ». Mais, si la curiosité vous porte à lire « Centrafrique, Pourquoi la Guerre ? », sachez que les auteurs de cet opus ont trouvé les vrais coupables du chaos Séléka …. Contrairement à la vérité, nos « informés » affirment que ces bandits tortionnaires ne sont ni tchadiens ni de Bouar  ou Bangui, ils sont « soudanais ». Une vérité militaire qui tombe à pic puisqu’elle autorise à tirer dans le tas sur ces salopards, des  amis et citoyens d’Omar el-Bechir qui préside à Khartoum alors que le TPI entend le juger. Dans la foulée, disons plutôt  lors d’un grand écart, nos écrivains militaires nous font comprendre que le Darfour et la RCA, c’est un peu la même guerre. Une affirmation qui ne peut  déplaire ni à l’OTAN et Washington. D’un mot à  l’autre, nos auteurs finissent quand même, sur le compte d’Idriss Déby, par lâcher un poil de lest, si le dictateur se passionne pour la RCA ce n’est pas en seigneur de guerre. Non. C’est que ce maître de son monde envisage de détourner le lit de l’Oubangui pour remplir le lac Tchad… Là il chari.

Pour finir, et envelopper le bouquet, nos stratèges qui « savent de quoi ils parlent », se livrent à une revue de presse internationale. Elle est amusante. Elle démarre sur l’analyse de contenu de ProRussiaTV et parle de cette chaine comme si l’URSS existait encore. A Coetquidan il serait tant de mettre au feu les vieilles fiches sur l’œil de Moscou.

Pour résumer, cet ouvrage produit par une cordée de chasseurs de scoops nous rappelle les vertus essentielles. Elles étaient celles de Lyautey et de Lavigerie. Attention à la démocratie génératrice de chaos et d’anarchie. Attention aux musulmans et aux méchants venus du Soudan. Mais que faire pour mettre tout cela au pas ? Faire confiance aux soldats. Ils savent si bien conduire nos guerres modernes à coups de canons humanitaires. Pour cela, il faut une armée nombreuse, bien équipée aimée, c’est-à-dire bien payée. La Centrafrique n’est un parcours du combattant.

 

« Centrafrique, Pourquoi la guerre ? » Éditions Lavauzelle.