Le climat en Ethiopie où on déplore 150 morts dans des manifestations violentes devient pesant et plein d’incertitudes pour le Premier ministre, Abiy Ahmed
Il y avait la question du Grand barrage de la Renaissance- GERD- qui brouille les relations avec l’Égypte mais il y a aussi la révolte des Oromos qui devient un casse-tête pour le premier ministre Abiy Ahmed, lui-même Oromo.
Le grand barrage de la discorde
La situation économique et notamment les problèmes humanitaires demeurent très préoccupants et ne cessent de s’aggraver avec les conséquences du Covid-19. Le Grand barrage de la Renaissance, communément appelé « Grand Ethiopian Renaissance Dam » – GERD- n’en finit pas d’empoisonner les relations entre l’Égypte et l’Ethiopie. (Mondafrique en a rendu compte dans le récent article » Le Grand barrage éthiopien de la Renaissance et de la discorde », que nous publions ci dessous).
Depuis plusieurs mois, la principale communauté du pays, avec ses 35 millions d’habitants sur une population globale de 105 millions, est de plus en plus hostile au pouvoir central. Les Oromos sont dans une spirale de violence qui mine la gouvernance de Abiy Ahmed. Les derniers événements interpellent et même interrogent sur une éventuelle instrumentilation de la part de l’Egypte.
Le Conseil de sécurité botte en touche
Comme prévu, le lundi 29 juin 2020, le Conseil de sécurité de l’ONU a examiné, à la demande de l’Egypte et du Soudan, la situation conflictuelle qui prévaut actuellement avec le probable début du remplissage du lac-réservoir de 1600 km2 avec ses 79 milliards de m3. Cette mise en eau, captant les eaux du Nil bleu ce qui impacte de ce fait le Nil en aval, sera-t-elle accélérée en cinq à sept ans, comme le souhaite l’Ethiopie, ou entre quinze et vingt ans, comme le réclame l’Egypte. Cette question est vitale pour l’Égypte et essentielle pour l’Éthiopie.
Evidemment, les quinze membres du Conseil de sécurité ont soigneusement évité de s’impliquer dans cette crise aux développements imprévisibles. La langue de bois onusienne était à l’honneur en ce 29 juin 2020. Les habituelles déclarations de circonstance envers les protagonistes ethiopien, égyptien et soudanais étaient bien au rendez-vous.
Il va de soi que l’Égypte, le Soudan et l’Ethiopie sont d’accord pour rechercher une solution non conflictuelle, mais ces États sont en opposition sur tout le reste. Le Conseil de sécurité ne pouvait que reconnaître, mezza vocce, que les désaccords subsistaient » aussi bien au niveau technique que juridique », donc sur après tout. Ainsi la conciliation est-elle hors de portée de l’ONU.
Il reviendra donc à l’Union africaine de s’investir pleinement dans cette tentative de médiation. Etant donné ses résultats au Sahara occidental, dans l’ex Somalie, en RDC, en Centrafrique, en Libye, au Sahel et dans les questions migratoires, on peut être dubitatif.
Cyril Ramaphosa, président en exercice de l’Union africaine, assisté de son bureau exécutif, peut-il pallier la relative paralysie de la Commission de l’Union africaine et l’activisme pro-arabe de l’Algérien Smail Chergui, président du comité paix et de sécurité ? A moins que Vladimir Poutine, allié de l’Egypte en Cyrénaïque du maréchal Khalifa Haftar, soucieux de restaurer la coopération multisectorielle avec l’Ethiopie durant l’ère soviétique, ne profite de cette opportunité pour accroitre ses succès à l’international. Sa tentation doit être grande devant le retrait des Occidentaux. On doit aussi se rappeler que lorsque la diplomatie échoue, les militaires peuvent entrer en jeu.
Les Oromos menacent le pouvoir
L’Ethiopie est un Etat fédéral où cohabitent plusieurs ethnies majeures dont notamment les Amharas et les Oromos qui sont de longues date opposés aux Tigréens qui ont longtemps monopolisé le pouvoir. Les manifestations des Oromos et des Amharas sont violentes et entraînent des répressions occasionnant des centaines de victimes. Une déstabilisation de la Fédération est à craindre.
Les Oromos sont actuellement révoltés non seulement contre leur marginalisation notamment en ce qui concerne la répartition des terres arables mais aussi dans la gestion gouvernementale. A ce mouvement revendicatif, s’ajoute les problèmes davantage culturels. L’assassinat du célèbre chanteur Oromo, Halachu Hundessa, ce lundi 29 juin 2020, a occasionné une nouvelle explosion populaire avec une centaine de victimes, selon le bilan officiel. La répression des leaders Oromos a redoublé avec notamment l’arrestation du charismatique et très écouté Jawar Mohammed. Ce jeune leader (34 ans) a fortement contribué à l’ascension politique d’Abiy Ahmed. Sa déception en est d’autant plus grande. La révolte populaire Oromo a son martyr, son héros et son traître.
Abiy Ahmed fragilisé
Il sera difficile au premier ministre, Abiy Ahmed, de se maintenir. Sa légitimité politique est atteinte par le report des élections législatives, pour cause de Covid-19, en 2021. Dans ce régime parlementaire, le premier ministre est le chef de l’executif. Il tient son pouvoir de sa majorité parlementaire. Faute du respect des échéances constitutionnelles, son pouvoir va devenir encore plus contestable. Son origine Oromo sera désormais beaucoup plus un handicap qu’un atout. Sa grande rigidité dans le désaccord avec l’Egypte sur la mise en eau du GERD peut aussi être interprétée comme un obstacle au règlement du conflit régional qui devient préoccupant.
À Addis Abeba, dans certains milieux, on évoque même un lien entre la brusque révolte Oromo et la montée de la tension avec l’Egypte. La fragilisation de l’Ethiopie et de son premier ministre serait plutôt bien perçue au Caire et chez le Raïs.
En tous cas, avec la répression en cours, une situation sécuritaire explosive et ses propos martiaux vis-à-vis des opposants à la mise en eaux rapide du GERD, l’aura du Prix Nobel de la Paix 2019 s’est considérablement détériorée.