Un livre lumineux, « Vues de l’intérieur » de Simon Batoumeni, vient en complément d’un premier Essai paru en 2020, « L’Histoire politique du Congo-Brazzaville: le Congo est sous respiration artificielle.
Une chronique de Bedel Baouna
Dès l’ouverture, le ton est donné. « Le Congo est dans l’impasse. Sur tous les plans, la machine est enrayée. Une panne multidimensionnelle dont la crise financière actuelle n’est pas la cause, mais le révélateur. Faute d’avoir construit une économie dynamique et équilibrée, le pays n’assure pas la sécurité matérielle et sanitaire de ses habitants. » Et de poursuivre, plus loin : « L’état au Congo ne redistribue pas, il distribue. Et en l’occurrence, confisqué par un groupe hégémonique, il le fait de façon inique. » Comment on en arrivé là ? La question pourrait paraître inutile, pour la seule raison que si le Congo vit à la lisière de l’extinction, c’est parce qu’il y a eu un déraillement. À quel moment ?
La stagnation depuis 1960
On ressort de de ce pamphlet un peu groggy. Dans un style fluide et incisif, Simon Batoumeni ne retient pas ses coups. Tour à tour, dans la perspective de répondre à la question du déraillement, il se fait historien – il montre, entre autres, à quel point la violence est indissociable de la politique au Congo-B depuis la colonisation – et politologue – une étude minutieuse des différentes facettes de la gestion du Congo.
À un constat implacable succède une analyse d’une acuité sans faille. D’une « société en quête d’elle-même » à « l’interminable litanie », le citoyen-témoin engagé comme il se définit, ne remarque quasiment pas d’évolution majeure depuis les années 1960. « L’industrie en était à ses balbutiements, se résumant à quelques ateliers et chantiers navals, des scieries, une manufacture de tabac, trois brasseries, une filature, des huileries et savonneries, etc. » Mais ce « rythme de création d’entreprises, soutenu pendant les quatre premières années qui ont suivi l’indépendance, finit par se ralentir ». Et ce, jusqu’à aujourd’hui. Plans quinquennaux des années 1980, projets de société des années 2000, le compte n’y est pas. Même les fortes croissances enregistrées entre 2002 et 2004 (5,4% en moyenne), dues principalement à la bonne santé des cours du pétrole, ont créé peu d’emplois, sinon rien. « Ceux générés par la politique volontariste d’infrastructures de la même période étaient temporaires et de faible qualité, et le taux de chômage, 36%, reste le huitième plus élevé au monde. »
Le naufrage de l’école
À cette pitoyable incurie, s’ajoute le naufrage de l’école, amorcé selon l’auteur dans les années 1960. Notamment à cause du « contrecoup de la nationalisation de 1965 ». À cette époque déjà, on note le gonflement du nombre d’élèves et la proportion de plus en plus élevée de redoublants dans les salles de classe ; la gestion hasardeuse des ressources humaines, liée aux interférences politiques ; les disparités de qualité des infrastructures et du personnel enseignant entre les régions ; la systématisation des fraudes et la « casologie », c’est-à-dire les injonctions des responsables politiques aux chefs d’établissements et aux jurys des examens d’Etat ; la gestion politique des examens ; etc ». Résultat des courses : aussi bien sur le plan de l’économie que celui des ressources humaines compétentes, « le Congo est un pays pauvre et sans perspective, à l’équipement matériel délabré et aux institutions administratives et sociales déliquescentes. »
« La troisième voie »
De fait, la résurrection du Congo paraît sinon impossible, du moins difficile. Mais « il faut un chaos pour que naisse une étoile », écrivait Nietzche. Simon Batoumeni garde espoir. La troisième voie dont il parle dans son livre, loin d’être le seul chemin salutaire, consiste à dire que le Congo ne peut s’engager dans l’émergence tant ânonnée que s’il se dote d’une administration rationnelle et efficace, débarrassée de ses oripeaux du tribalisme, des ressources humaines à la hauteur et, surtout, de mener une lutte implacable contre la corruption systémique. Parce que, disons-le sans ambages, le Congo est corrélatif de la corruption, et ce ne sont pas les discours ininterrompus sur cette tare, discours ô combien lénifiants, qui le contrediront.
La corruption omniprésente
Ce lundi 28 novembre 2022, une date symbolique pour le Congo puisqu’il s’agit de la proclamation de la République, le président de la République Denis Sassou-Nguesso, comme à son habitude, est revenu sur cette métastase généralisée, sans proposer une réelle opération de chirurgie. « L’intensification de la lutte contre la corruption, la fraude et la concussion, à travers la consolidation de la bonne gouvernance au sein de l’appareil étatique en général et judiciaire en particulier, reste l’un des leviers majeurs de notre action pour rassurer nos partenaires. » Bien entendu, le côté palimpseste fait rire quiconque connaît un tant soit peu le Congo. « Toute réforme d’envergure, toute grande politique menée avec la machine étatique actuelle, minée par la désorganisation, l’incompétence, la négligence, la vénalité et la corruption, est vouée à l’échec », écrit Simon Batoumeni à la page 161.
Tout est dans l’adjectif « actuelle ». Comment en effet faire confiance à ceux-là mêmes qui ont crée le problème pour le résoudre ? Leur intérêt intact ne serait-il pas de le laisser perdurer pour qu’ils continuent de régner et donc, de se livrer davantage aux fanges de la corruption ? « En aval, un plan de départs négociés, assortis de mesures d’accompagnement (retraite anticipée, facilités de création d’entreprises, allègements fiscaux) », ferait l’affaire. À l’évidence, la lutte contre la corruption, estime Simon Batoumeni, doit être orchestrée par une « direction d’investigation et de répression de la criminalité financière », une structure dotée de moyens juridiques, matériels et humains étendus.