Ce mardi 24 aout, le président tunisien Kaïs Saïed vient de prolonger l’état d’exception « jusqu’à nouvel ordre » et a écarté de nombreux fonctionnaires de leurs fonctions en dehors de toute procédure judiciaire.Un coup de force qui commence à ressembler à un coup d’état , même si le président tunisien très populaire bénéficie encore d’un état de grâce!
Un article de Gilles Dohès
Toujours sans chef du gouvernement depuis plus d’un mois et le limogeage de Hichem Mechichi prononcé le 25 juillet, la Tunisie se perd en conjectures. Et les spéculations vont bon train. Jusqu’à envisager la farfelue nomination de Nadia Akacha, jeune cheffe de cabinet du président de la République, à l’occasion de la fête de la Femme célébrée chaque 13 août… Il n’en a rien été.
Projetant souvent bien plus leurs vœux personnels qu’effectuant un réel travail d’investigation, les journalistes tunisiens et autres commentateurs y vont de leurs pronostics. Parmi les noms cités, Marouen Abassi, actuel directeur de la banque centrale, qui avait régulièrement exprimé ses désaccords avec l’ancien ministre démissionné Ali Kooli. Les ennemis de mes ennemis ? Ou encore Nizar Yaïche, ancien ministre des Finances dans l’éphémère gouvernement d’Elyes Fakhfakh (fin février – début septembre 2020) qui, courant mars dernier, a soumis au Président Saïed un projet de sauvetage national et de réformes ne comportant pas moins de 500 points… Mais est-il bien nécessaire de rappeler que Kaïs Saïed avait surpris son monde en choisissant le candidat Elyes Fakhfakh (0,34% des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle 2019) et encore davantage en choisissant le « grand commis de l’État », comme le veut l’expression consacrée, Hichem Mechichi ? Kaïs Saïed a toute latitude pour désigner qui bon lui semblera. Voire… de ne nommer personne et d’assumer à lui seul la présidence des deux têtes de l’exécutif.
Car Saïed s’est littéralement investi en personne depuis le 25 juillet, date de l’instauration d’un état d’exception. Et il a pour le moment le vent en poupe, mais les alizées sont capricieux, en Tunisie comme aux Antilles.
Le Covid au secours de la Présidence
Il est à porter au crédit du Président Saïed la formidable accélération de la campagne de vaccination contre le Covid-19, qui commençait à occasionner des ravages dans tout le pays depuis le printemps et l’avait propulsé au premier rang des pays africains en nombre de contaminations et de décès par l’OMS début juillet. En sollicitant le soutien de l’armée, Kaïs Saïed a démultiplié le nombre des vaccinations, qui patinait à l’époque de Hichem Mechichi et de son ministre de la Santé Faouzi Mehdi, la faute à une mauvaise coordination entre les différents services et à un personnel soignant mené au bord de la rupture par la gestion de la pandémie depuis plus d’une année.
Autre bénéfice non négligeable. Kaïs Saïed se positionne de fait comme grand ordonnateur et organisateur de la protection de la population, fait l’éloge de la « volonté » tunisienne et apparait comme ce général déterminé menant ses preux soldats à l’assaut du coronavirus.
De plus, le Président dispose maintenant d’un ministère de l’Intérieur aux ordres. Le limogeage de Hichem Mechichi, chef du gouvernement officiant également en tant que ministre de l’Intérieur par intérim, depuis le limogeage — odieux pour Kaïs Saïed — de Taoufik Charfeddine, un proche du Président, en janvier 2021. Résultat, c’est désormais Ridha Gharsallaoui, un ancien conseiller à la sécurité nationale de la Présidence qui tient les rênes du blockhaus de l’avenue Bourguiba.
La main tendue à l’appareil répressif
Le 19 août, le nouveau « directeur » du ministère (le président de la République n’ayant pas autorité pour nommer des ministres) Gharsallaoui procède à une série de nominations, dont celle du colonel-major Khaled Marzouki à la direction générale des unités d’intervention. Hic. Le colonel-major Marzouki s’est rendu fameux début janvier 2011, en réprimant violemment des manifestations survenues à Thala (gouvernorat de Kasserine) ayant fait une vingtaine de morts. La pilule a du mal à passer auprès des familles des victimes, qui ont adressé un courrier au Président Saïed pour exprimer leur désarroi et demander la révision de la nomination. Peu importe.
Et le nouveau responsable de l’Intérieur ne chôme pas. Des parlementaires, figures politiques, militant.e.s, entrepreneurs, se voient interdits de sortie du territoire, condamnés à des peines de prison par des tribunaux militaires ou assigné.e.s à résidence… sans la moindre procédure judiciaire en amont, le tout restant aux bons soins des décisions administratives du ministère… Et pour un résultat que de nombreux Tunisiens, dans l’espoir d’une grande purge nationale jetant les « corrompus » au cachot, estiment frustrant pour l’instant.
Sans sombrer dans le juridisme exprimé par de nombreux intellectuels tunisiens angoissés, il est cependant manifeste que Kaïs Saïed prend de plus en plus de libertés avec la constitution de 2014 de type parlementaire qu’il exècre, comme il n’a cessé de le répéter. Enjambant sans peine l’absence de cour constitutionnelle, une faute grave dont l’Assemblée est largement responsable et tordant le cou au sens des mots, il marque du sceau de la volonté du peuple les motivations de son action. Tout en ne recevant absolument personne, ni parti, ni organisation… et se murant dans un entre-soi dont rien ne filtre et suscite donc un clivage entre pro et anti Saïed à la limite de l’hystérie. Pour le plus grand bonheur des réseaux sociaux qui voient se succéder depuis le 25 juillet des campagnes de dénigrement, voire de diffamation, ayant éclaboussé jusqu’à la correspondante du journal Le Monde.
Curieux pour le respect de la volonté populaire. Si Kaïs Saïed réservait à cette dernière le même traitement qu’à la constitution, le résultat pourrait en être des plus inattendus.
La Tunisie au bord de la faillite finacière
Gilles Dohès
Des conclusions trop hâtives Mr Gilles…