Tunisie, la tentation bonapartiste du président Kaïs Saïed

Un véritable coup d’État à blanc vient de se produire en Tunisie où le président Kais Saied a annoncé qu’il gelait les activités du Parlement, et démettait de ses fonctions le chef du gouvernement Hichem Mechichi, soutenu notamment par le mouvement islamiste qui reste le premier parti du pays.

Depuis le départ de l’ex président Ben Ali en 2011, Rached Ghannouchi, chef historique des islamistes tunisiens et président de l’Assemblée aujourd’hui, est certainement devenu l’homme politiqu ele plus influent de la nouvelle Tunisie. Juesuq’à quand?

Le président tunisien Kais Saïed a convoqué une réunion d’urgence des cadres des services de sécurité et des militaires au palais de Carthage à travers laquelle des décisions exceptionnelles ont été prises de manière unilatérale. Il met fin à la mission du gouvernement dirigé par Hichem Mechichi, soutenu par les islamistes d’Ennahdha, qui sont au coeur du pouvoir tunisien depuis la destitution du président Ben Ali en 2011. Surtout le président tunisien gèle les activités de l’assemblée des représentants du peuple ainsi que la levée de l’immunité parlementaire de tous les élus.

La tentation autoritaire

« J’aurais dû prendre cette décision depuis plusieurs mois » annonce le président tunisien. Cette déclaration éclaire bien que la motivation d’agir radicalement n’est pas liée à la crise sanitaire du Covid 19 qui s’abat sur la Tunisie en ce moment. La décision radicale a pour origine la crise politique qui bloque le bon fonctionnement des institutions du pays. Un parlement dominé par les islamistes de Nahda et de ses alliés, une opposition cramponnée sur des postures idéologiques, l’intérêt supérieur du pays largemetn ooublié par la classe politique.

Le président tunisien, dès la campagne présidentielle qui aboutit à sa brillante élection, avait annoncé sa volonté de dépasser le schéma institutionnel existant et de donner le pouvoir au peuple via des mécanismes assez flous de démocratie directe. Ce qu’il tente aujourd’hui.  Kaïs Saied a décidé de prendre  la tête du pouvoir exécutif en nommant un nouveau chef du gouvernement dont le nom sera annoncé prochainement.

Dans son intervention, le président tunisien explique le caractère exceptionnel de sa décision motivée par l’action de la sauvegarde de l’Etat et la préservation de la paix sociale. Il a également révélé qu’il informait le peuple tunisien sur une série de mesures exceptionnelles sous forme de décret.   

L’ombre des Emirat Arabes Unis 

Lors de l’intervention du président tunisien au sein du conseil sécuritaire restreint, Kaïs Saïed explique ses craintes de la « déliquescence des services publics, certains qui brûlent et pillent tandis que certains financent des jeunes pour des affrontements à l’intérieur du pays ». Il rappelle qu’il agit avec responsabilité sous la menace des dérapages sécuritaires et dans le cadre de la constitution qui lui confère ces prérogatives. Pour lui, l’urgence est de « prendre des décisions pour sauver la Tunisie, son État, et son peuple qui traverse des périodes les plus dangereuses ».  

Lors de son intervention, le président tunisien hausse le ton de sa voix pour dénoncer les forces agissantes au sein de la société mais aussi à l’intérieur des institutions de l’Etat. « Nous ne laisserons personne jouer avec l’Etat, ses potentialités, et avec la vie des tunisiens par l’argent en s’immisçant dans les affaires de l’Etat tunisien comme s’il était sa propriété personnelle ». Bien qu’en parlant à l’indéfini sans citer de nom, beaucoup de regards se sont portés sur la guerre souterraine qui se joue dans l’arène politique entre un parlement présidé par l’Islamiste Rached Al Ghannouci évoluant dans le giron de la confrérie des frères musulmans soutenue par le Qatar et la Turquie et l’opposition laïque soutenue par les émirats.  

La justification du coup de force

Le président Kaïs Saïed parle de l’argent distribué dans les quartiers pour déstabiliser l’Etat tunisien et sa société. Le coup de force est blanchi par le recours à la situation sécuritaire selon lui. Il fait référence à la partie 80 de la constitution mais oublie la partie 79 qui l’oblige à s’adresser au parlement avant toute initiative d’urgence. Une réaction qui laisse pantois les experts car le président tunisien est un juriste non contesté.

Il est vrai que la partie 80 de la constitution octroie au président de prendre des décisions exceptionnelles dans le cas de « danger imminent portant atteinte à l’entité nationale, la sécurité du pays et son indépendance ». Au préalable et avant de prendre toute décision, il doit concerter « le chef du gouvernement, le président du parlement, le président de cour constitutionnelle » or, le président tunisien s’est réuni essentiellement avec les responsables sécuritaires et militaires. Il donne ainsi à son action un caractère d’un coup de force passant par les canaux sécuritaires et pas institutionnels comme le prévoit la constitution.  

Le président tunisien ne définit ni la durée du gel du parlement ni sa participation directe à l’exécutif. Or la partie 80 de la constitution fait clairement référence à la garantie du « retour dans le plus bref délai au fonctionnement normal des institutions de l’Etat, et que le parlement doit être mobilisé durant toute la période de la menace imminente. Et dans ce cas précis il ne serait pas permis au président de dissoudre le parlement comme il ne pourrait pas porter des critiques envers le gouvernement ».  La partie 80 de la constitution sur laquelle s’appuie le président tunisien définit une période ne dépassant pas 30 jours de l’application des décisions exceptionnelles. Le renouvellement de la période est acté par une demande du président du parlement, ou 30 députés, lancée au président de la cour constitutionnelle. La fin de l’état exceptionnel est justifiée par la disparition de la menace à travers une évaluation des services de sécurité. C’est au président d’annoncer officiellement la fin de l’état d’exception à travers un discours adressé au peuple.