Alors que le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé, ce mardi, de prolonger la suspension du parlement décidée voici un mois, le mouvement islamiste tunisien qui domine la vie politique depuis janvier 2011, s’interroge sur la survie du parti Ennahdha qui pourrait passer par l’éviction du leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi
Un article de Gilles Dohès
La nouvelle était dans les tuyaux depuis plusieurs jours déjà et a été confirmée, presque en catimini, par la présidence de la République tunisienne dans un communiqué, laconique comme souvent, diffusé peu après minuit dans la soirée du lundi 23 au mardi 24 août. « Le président de la République, Kaïs Saïed, a décidé de prolonger les mesures exceptionnelles prises par le décret présidentiel n°80-2021 suspendant le mandat de l’Assemblée des représentants du peuple et levant l’immunité parlementaire de tous ses membres jusqu’à nouvel ordre. Le chef de l’État fera une déclaration au peuple tunisien dans les prochains jours ». Rompez.
Un peu plus tôt dans la soirée et visiblement au courant de la teneur du communiqué à venir, Rached Ghannouchi, président du mouvement islamiste Ennahdha — et accessoirement député pour la circonscription de Tunis 1 et président de l’Assemblée — procédait à la dissolution de tout le bureau exécutif de son mouvement, sans doute jugé un peu trop remuant à ses yeux. Le député Samir Dilou (aile modérée d’Ennahdha) précisera le lendemain que la mesure était « anticipative », les membres du bureau exécutif ayant exprimé leur intention de démissionner…
La tète de Ghannouchi sur le billot
Depuis les annonces du Président tunisien du 25 juillet dernier, Rached Ghannouchi déploie des trésors de circonvolutions pour se maintenir à flot dans un contexte qui pourrait le voir, dans le meilleur ou pire des cas, c’est selon, jeté en prison. De nombreuses voix appellent en interne à une rénovation des cadres du mouvement et en particulier de sa tête depuis longtemps… La jeune militante d’Ennahdha et ancienne ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle dans le gouvernement de Youssef Chahed, Sayida Ouinissi, déclarait récemment, sans donner de noms, bien entendu, « (…) de nombreux Tunisiens n’en peuvent plus de certains dirigeants du mouvement. Ils ne veulent plus voir certaines têtes. »
Sauf que Rached Ghannouchi, parangon de la démocratie et du respect de la légalité, notamment quand il s’agit de répondre à des médias occidentaux empressés, dirige son mouvement d’une main de fer. Et n’entend pas céder sa place de façon à initier un renouvellement dont Ennahdha, en perte de vitesse chronique depuis 2011, aurait pourtant grand besoin. La démocratie, c’est bien, mais point trop n’en faut.
Ce Congrès toujours reporté
La fronde couvait depuis de nombreuses années, mais a pris de l’ampleur depuis septembre 2020. Cent dignitaires du mouvement (dont des parlementaires, dirigeants régionaux, membres du conseil de la choura…) lui ont adressé une correspondance afin d’obtenir des garanties sur son engagement à respecter l’article 31 du règlement intérieur d’Ennahdha, et à ne pas le modifier, et sur la tenue du tant attendu XIe Congrès… Cet article 31 stipule notamment que « aucun membre ne peut assurer la présidence du parti plus de deux mandats consécutifs ». Problème. Rached Ghannouchi, par ailleurs chef historique du mouvement islamiste, a été officiellement élu président lors des précédents congrès organisés en 2012 puis en 2016… Et le XIe Congrès, qui devrait donc voir Ghannouchi être éjecté de la présidence d’Ennahdha, joue les arlésiennes depuis plus d’un an tout en aiguisant de nombreuses ambitions et impatiences.
Dans le contexte hautement volatile consécutif aux déclarations de Kaïs Saïed du 25 juillet dernier, Rached Ghannouchi joue ni plus ni moins que sa survie politique, et potentiellement celle du mouvement Ennahdha sous sa forme actuelle. Il ne faut certes pas minorer les capacités d’adaptation et de rebonds des dirigeants islamistes tunisiens. Mais pour la première fois depuis 2011 les voici confrontés à un président de la République dont la coriacité n’a d’égale que le mystère. Et le mystère, justement, s’épaissit depuis l’annonce de la prolongation des mesures exceptionnelles sine die.
D’autant plus que la santé de la Tunisie n’est pas brillante, loin s’en faut.
Dans un deuxième papier, Mondafrique décrira la crise sévère qu’affronte aujourd’hui le président Kaïs Saïed à la tète de l’État
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Ghannouchi doit crever en prison.