L’entrée dans le nouveau gouvernement tchadien de deux principales forces de l’opposition tchadienne conforte la légitimité du Conseil militaire (CMT) dirigé par Déby fils sans régler de nombreuses questions cruciales.
En réussissant à faire entrer au gouvernement de transition, l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) et le Parti pour les libertés et le développement (PLD), le Premier ministre Albert Pahimi Padacké nommé par le Conseil militaire de transition (CMT) a réussi un coup double. L’acceptation des postes ministériels par le parti de l’opposant historique Saleh Kebzabo et la formation fondée par le Pr Ibni Oumar Mahamat Saleh, tué en février 2008 par le régime de feu le maréchal Idriss Déby Itno, constitue une reconnaissance de fait du CMT ; ce que ces deux partis avaient jusque-là refusé.
La nomination avec leur accord des personnalités de l’opposition fragilise par ailleurs le camp de ceux qui défendaient le retour à l’ordre constitutionnel avec la mise en place d’une transition civile et le retour des militaires dans leur caserne. Avec l’entrée du PLD et de l’UNDR au gouvernement, il ne reste plus parmi les partisans de cette cause que les Transformateurs de l’opposant Succès Masra ainsi que certains milieux de la société civile.
Attelage fragile
Pour la junte, la formation d’un gouvernement de transition élargie à deux formations emblématiques de l’opposition tchadienne est un grand répit. Après l’adoubement de la communauté internationale apporté par la France et le G5 Sahel lors des obsèques du président Idriss Déby célébrées le 23 avril, le CMT se battait pour obtenir la légitimité interne. Il l’a, en partie, obtenu avec le casting du gouvernement de transition. Toutefois, la prudence semble encore de mise du côté des partis politiques qui ne veulent surtout pas donner un chèque en blanc au CMT. Signe évident de cette prudence, l’opposant historique au président Idriss Déby, Saleh Kebzabo trois fois candidat à la présidentielle, a refusé de rejoindre la nouvelle équipe gouvernementale. A la différence, de Mahamat Ahmat Alhabo président du PLD, qui a accepté le poste de ministre de la justice Garde des Sceaux, Saleh Kebzabo préfère se projeter dans l’après transition. Comme lui, plusieurs personnalités de l’opposition attendent que les militaires s’engagent clairement à ce que les autorités de transition (CMT, gouvernement de transition, Conseil national de transition) ne soient pas candidates aux prochaines élections. Sur ce point, le président du CMT Mahamat Idriss Déby Itno, l’homme fort de N’Djamena, est resté très évasif lors de son premier message à la nation prononcé le 27 avril. Rien n’indique que le CMT désormais conforté par la formation du gouvernement cédera aux pressions internes et externes pour un meilleur partage de pouvoir.
Feuille de route floue
Le CMT entend surtout que le gouvernement s’investisse dans la réconciliation nationale et le dialogue inclusif. Il a fait nommer pour cela au poste de ministre d’Etat en charge de la réconciliation et du dialogue Acheik Ibn Oumar, ancien ministre des Affaires étrangères du président Hussein Habré et ancien chef rebelle. Après plusieurs mois d’exil à Reims, en région parisienne, Acheik Ibn Oumar était rentré au Tchad en 2019 pour devenir conseiller diplomatique de Déby père. Condamné à mort avant d’être amnistié, le nouveau ministre jouit d’un préjugé favorable auprès de l’opposition et des groupes politico-militaires.
Toutefois, il reste à savoir si les militaires le laisseront agir librement. Ils ont déjà indiqué la ligne rouge à ne pas franchir en affirmant clairement qu’il ne sera pas possible de négocier avec les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad(FACT), responsables des blessures qui, du moins selon la version officielle, ont coûté la vie au président Déby.
Outre la réconciliation et le dialogue, le CMT entend du gouvernement d’Albert Padacké qu’il finalise la mise en place du Conseil national de transition (CNT), instance qui assurera le pouvoir législatif pendant la transition de 18 mois. On guettera avec beaucoup d’attention la clé de répartition des sièges entre civils et militaires dans « ce parlement » de transition de 69 membres. On scrutera également le sort réservé à la Charte de transition unilatéralement rédigée par le CMT et qui lui confère tous les pouvoirs. Autant d’inconnus qui font penser que tout n’est pas encore réglé pendant cette période post-Déby père, en dépit de la formation d’un gouvernement élargi à l’opposition.