De fortes pressions internes dont celles des guides religieux ont contraints le président sénégalais à lâcher du lest et compromis, sans doute, son ambition de briguer un troisième mandat en 2024.
L’ingénierie politico-judiciaire avait été efficace pour écarter de la présidentielle de 2019 l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall, accusé de détournement des deniers publics juste à temps pour permettre la réélection de Macky Sall dont il était le challenger le plus sérieux. La même arme de destruction a été utilisé avec succès contre Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, investi candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) à la présidentielle de 2019. Mais cette technique que le pouvoir pensait désormais bien huilée n’a pas finalement fonctionné contre l’opposant Ousmane Sonko, président du parti des patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF).
Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tout essayé que le projet de « neutralisation » de Sonko a échoué. Alors qu’il était déjà poursuivi pour le viol présumé d’une masseuse, le leader de PASTEF avait été arrêté le 3 mars pour « troubles à l’ordre public ». Ce sentiment d’acharnement et de cabale politique a provoqué une onde de choc qui a largement dépassé le seul camp de l’opposant pour fédérer partis politiques et organisations de la société civile dans un cadre dénommé Mouvement pour la défense de la démocratie (M2D). Le pouvoir n’avait clairement pas anticipé l’ampleur de la mobilisation qui a fait entre quatre et dix morts, selon les sources, des dizaines de blessés et d’interpellées. Contre tous les plans échafaudés dans les cabinets noirs de la présidence et des ministères, la rue a imposé la remise en liberté de Sonko, même s’il reste placé sous contrôle judiciaire.
Une sérieuse reculade
Au-delà des propos conciliants qu’il a tenus lors d’une adresse à la nation, le président sénégalais a annoncé des réorientations budgétaires en faveur de la jeunesse et l’allègement du couvre-feu sanitaire ramené à Dakar et Thiès de minuit à 5 heures alors qu’il était de 21H à 5 heures avant le début des manifestations. On doit surtout à l’intervention des guides religieux l’abandon par le pouvoir de la stratégie de la confrontation. Macky Sall a d’ailleurs reconnu avoir reçu des émissaires du Calife général des Mourides. On doit également aux guides religieux la décision du M2D de renoncer aux manifestations qu’il a avait prévues du 8 au 11 mars.
Outre l’intervention des guides religieux, l’évolution du rapport des forces internes au pouvoir sénégalais a fortement contribué à ce retour au calme précaire. En effet, le camp des partisans de la désescalade, qui comprenait le Médiateur de la république Alioune Badara Cissé, l’a emporté sur celui de la manière forte incarnée par le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome.
Ousmane Sonko, le seul recours
A l’heure du premier bilan, le président Macky Sall sort affaibli de cette épreuve face à la rue. Profitant du ralliement d’Idrissa Seck, le challenger du Président sénégalais lors de la dernière Présidentielle, le leader du PASTEF, Ousmane Sonko, a conforté sa posture de seul recours face à Macky Sall. Il en a surtout profité pour engranger des soutiens qui dépassent largement sa famille politique. Des atouts qui peuvent être d’une grande utilité pour la présidentielle de 2024. Sans attendre cette échéance, Sonko se pose désormais en principale alternative au président Macky Sall. Il s’est rendu au domicile de l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall pour le remercier de son soutien.
En revanche, le président sénégalais mettra du temps à remonter la pente. Quelle que soit l’évolution de la situation, l’opinion retiendra qu’il a mis en danger la démocratie sénégalaise avec des scènes inédites de violence qui ont contraint le pouvoir à déployer des blindés de l’armée dans les rues de Dakar. Au plan personnel, les derniers événements ont compromis durablement l’ambition prêtée au président Macky Sall de vouloir modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. En effet, comme dans la crise actuelle un tel projet pourrait susciter une forte opposition allant bien au-delà des clivages politiques et générationnels. Le « tout sauf Macky » pourrait alors avoir rallié des Sénégalais de tous bords.
Ousmane Sonko a d’ailleurs profité de la dynamique nouvelle pour demander au président Macky Sall de lever toute ambiguïté sur son intention de briguer un troisième mandat.