Les élections présidentielles au Rwanda se sont déroulées le 4 août 2017 dans un contexte de liberté d’expression ou d’ouverture de l’espace politique très limitée, a déclaré Human Rights Watch le 18 août, jour de la prestation de serment du président Paul Kagame pour un mandat de sept ans. Human Rights Watch a publié une chronologie des violations du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion au Rwanda entre le référendum de décembre 2015, qui a permis au président rwandais de briguer un troisième mandat, et les élections remportées par Kagame, avec un score annoncé de 98,79 pour cent des voix.
« La victoire écrasante de Kagame n’est pas une surprise dans un contexte où les Rwandais qui ont osé faire entendre leurs voix ou remettre en cause le statu quo ont été arrêtés, ont été victimes de disparition forcée ou ont été tués, où les médias indépendants sont muselés, et où l’intimidation a muselé les groupes agissant pour les droits civils ou la liberté d’expression », a indiqué Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais les autorités rwandaises n’ont pris aucun risque pour l’élection présidentielle, puisque la répression s’est poursuivie au cours des derniers mois malgré les faibles chances des candidats de l’opposition. »
Dans les jours qui ont suivi l’élection, Human Rights Watch s’est entretenu avec des activistes locaux et des citoyens ordinaires qui ont fait état d’intimidations et d’irrégularités à la fois dans les préparatifs de l’élection et pendant le scrutin. Dans le district de Rutsiro, dans la Province de l’Ouest, les dons au Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir étaient obligatoires. « Personne ne pouvait échapper à cet ordre », a expliqué un électeur. « Cela a été organisé par le biais de la Commission électorale nationale. »
Un autre électeur, de Rutsiro également, a indiqué qu’il a été forcé de voter en présence d’un représentant de la Commission électorale nationale. « Après avoir vérifié mon nom sur la liste électorale, il m’a dit de voter sur-le-champ devant lui », a décrit l’électeur. « Il était facile de voir pour qui je votais sur le bulletin de vote, donc il m’était impossible de voter pour quelqu’un d’autre que Kagame. »
Une personne surveillant l’élection dans le district de Nyamagabe, dans le sud, a raconté qu’elle a vu des responsables du scrutin signer des bulletins pour au moins 200 personnes qui ne se sont pas présentées pour voter. Toutes les voix sont allées au FPR.
Le 5 août, le Département d’État des États-Unis a publié une déclaration mentionnant les « irrégularités observées pendant le scrutin ». Le 6 août, l’Union européenne a publié un communiqué soulignant le déroulement pacifique des élections, mais ajoutant : « [d]ans la perspective des futures élections, l’UE attend du pays qu’il redouble d’efforts pour rendre le processus encore plus inclusif et transparent, notamment pour ce qui est de l’enregistrement des candidats, de la publication des résultats et autres préalables à l’établissement de règles du jeu équitables ».
Trois candidats étaient en lice pour les élections : Paul Kagame (Front patriotique rwandais, FPR) ; Frank Habineza (Parti démocratique vert du Rwanda, PDVR) et un candidat indépendant, Philippe Mpayimana. Frank Habineza et Philippe Mpayimana ont tous deux affirmé avoir été victimes de harcèlement, de menaces et d’intimidation après qu’ils ont annoncé leur candidature. Aucun d’eux ne posait un réel défi pour le président Kagame. Philippe Mpayimana a remporté 0,73 pour cent des voix et Frank Habineza a obtenu un score de 0,48 pour cent.
Une personne qui a suivi la campagne dans les districts de Musanze, Burera et Rulindo dans la Province du Nord, a déclaré que les forces de sécurité locales ont fait du porte-à-porte dans plusieurs quartiers avant l’élection, intimant aux habitants de ne pas participer aux meetings de campagne de Frank Habineza. « C’était trop risqué pour la plupart des personnes de se rendre au meeting et d’écouter ce que [Habineza] avait à dire », a-t-elle expliqué, « donc peu de personnes ont osé y assister. »
Deux autres candidats indépendants éventuels, Diana Rwigara et Gilbert Mwenedata, ont assuré qu’ils avaient rempli les exigences d’éligibilité de 600 signatures appuyant leur candidature, dont 12 de chacun des 30 districts. Mais la Commission électorale nationale a rejeté leurs efforts pour s’inscrire, affirmant que bon nombre des signatures n’étaient pas valides. Un autre candidat potentiel, Thomas Nahimana, prélat catholique qui s’est tourné vers la politique, s’est vu refuser l’accès au Rwanda en janvier alors qu’il venait de France, où il habite actuellement.
Le 3 août, Diana Rwigara a révélé sur le service de la BBC en kinyarwanda, qui est interdit au Rwanda, que cinq de ses partisans ont été arrêtés parce qu’ils portaient un t-shirt soutenant sa campagne politique. Les partisans ont été libérés plus tard.
Paul Kagame s’est lui-même vanté du fait que les résultats de l’élection étaient déjà connus lors d’un meeting de campagne dans le district de Ruhango, dans la Province du Sud, à la mi-juillet. « Je suis très heureux, car nous connaissons déjà les résultats des élections », a-t-il déclaré. « Toute personne qui affirme que les résultats ne sont pas connus ment. Les résultats étaient déjà connus dès décembre 2015. »
Le 18 décembre 2015, les Rwandais ont en grande majorité approuvé les amendements à la constitution pour permettre à Paul Kagame de se présenter à nouveau, pour un troisième mandat qui n’était pas possible en vertu de la constitution précédente. Selon les résultats officiels, 98,3 pour cent des 98 pour cent d’électeurs inscrits qui ont participé au référendum ont voté en faveur des amendements.
Le référendum a eu lieu après des attaques contre des opposants politiques et militaires présumés dans les années qui ont suivi l’arrivée au pouvoir du FPR en 1994, y compris des meurtres à l’intérieur et à l’extérieur du Rwanda.
Dans la période entre le référendum et les élections présidentielles d’août 2017, Human Rights Watch a documenté un schéma continuel de harcèlement, d’arrestations et de détention de leaders et de partisans de partis de l’opposition, d’activistes et de journalistes. Plusieurs d’entre eux ont été victimes de disparition forcée ou poursuivis en justice après avoir formulé des commentaires critiques à l’égard du gouvernement actuel ou du parti au pouvoir.
Human Rights Watch a consigné des cas de personnes pauvres, d’opposants aux décisions du gouvernement concernant des affaires foncières et de personnes suspectées de petite délinquance qui ont été arbitrairement arrêtés, détenus dans des centres de détention illégaux et, dans certains cas, qui ont été exécutés, ont été victimes de disparition forcée, ont été torturés ou ont subi de mauvais traitements. Ces tactiques instillent la peur chez les citoyens afin de garantir qu’ils ne s’élèvent pas contre le gouvernement.
La constitution révisée, entre autres choses, a réduit les mandats présidentiels à cinq ans, renouvelables une seule fois, après un mandat de transition de sept ans démarrant en 2017. Elle a aussi effacé le compteur des mandats présidentiels déjà effectués. Elle a permis à Paul Kagame de briguer un troisième mandat de sept ans en 2017 et lui permettra de se présenter pour deux autres mandats de cinq ans, en 2024 et 2029, ouvrant la possibilité d’une extension de ses fonctions présidentielles jusqu’en 2034.
Le processus a démarré par une série de pétitions dans lesquelles plus de 3,78 millions de personnes ont affirmé leur soutien à l’extension du maintien au pouvoir de Paul Kagame. Le parlement, après les consultations nationales, a approuvé à l’unanimité les amendements. Le PDVR d’opposition a contesté la proposition, mais a perdu le procès devant la Cour suprême ; il a été le seul parti politique enregistré à s’opposer aux amendements constitutionnels.
« Les bailleurs de fonds et les partenaires du Rwanda devraient adopter une position plus ferme face aux nombreuses mesures du gouvernement pour réprimer la liberté d’expression et étouffer la dissidence et devraient annoncer clairement que cela aura des conséquences », a conclu Ida Sawyer. « Alors que le pays a réalisé des progrès remarquables sur le plan économique et du développement depuis le génocide qui a dévasté le pays en 1994, cela ne devrait pas se faire au détriment des libertés les plus fondamentales des Rwandais. »
Pour une chronologie des violations à l’approche des élections précédentes de 2010 au Rwanda, veuillez suivre le lien : https://www.hrw.org/sites/
Pour en savoir plus sur les attaques et les menaces à l’encontre d’opposants et de détracteurs rwandais à l’étranger, veuillez suivre le lien : https://www.hrw.org/fr/news/
Pour consulter d’autres communiqués et rapports de Human Rights Watch sur le Rwanda, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/