Éminences grises (2/6), Lambert Mendé, l’âme damnée de Joseph Kabila

 
A 72 printemps, Lambert Mendé a raccroché son costume de porte-parole du gouvernement après avoir sévi pendant plus de 11 années en République démocratique du Congo (RDC). Il laisse derrière lui sa légende intacte de porte-parole de son « maitre », qui n’hésitait pas à prendre des raccourcis et des libertés avec la vérité.
 
« Je suis au service du président de la république et de l’image de l’image de mon pays ». Personne n’a su définir mieux que Lambert Mendé, lui-même, la charge qui lui incombait alors en sa qualité de ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement congolais. Ancien simple animateur de la Radio, télévision nationale du Congo (RTNC), Mendé, troisième enfant d’une fratrie qui en comptait 11, a vécu son maroquin comme ministre de tutelle de son ancien employeur comme une revanche personnelle.
 
Ministre de la parole
 
Pourtant, ce n’est pas tant les fonctions de ministre de la Communication que celles de porte-parole qui enchantaient Lambert Mendé. Si ailleurs, c’est le compte-rendu du Conseil des ministres qui offrait au porte-parole l’occasion d’occuper la scène médiatique, à Kinshasa Mendé lui a instauré son point de presse hebdomadaire. Conseil des ministres ou pas Conseil des ministres, la presse était conviéeà son cabinet à cette sorte de « One man show ». 
 
Le porte-parole Mendé livrait à cette occasion à la presse son regard sur l’actualité brûlante. Dans le contexte de la RDC où Joseph Kabila, le président de la République, fuyait la lumière et les médias comme la peste, Mendé était devenu celui qui lisait dans ses pensées et venait les exposer,  mais surtout les défendre bec et ongles. Ici, une pique contre la presse internationale toujours suspectée « arrogance coloniale et de mépris » ; là une diatribe contre un journaliste congolais soupçonnée de « déficit de nationalisme » ; plus loin une dérision contre « un opposant à Kabila » qui n’a rien compris aux enjeux. Et enfin, « la parole forte et  lumineuse du maître Kabila ». Le verbe toujours plus haut que sa petite taille, Lambert Mendé, a gardé son passé révolutionnaire et de ses lectures religieuses la dialectique de la contradiction avec les médias et l’opposition ainsi que l’art des envolées lyriques pour enjoliver les actions du gouvernement congolais. N’hésitant pas à écarquiller les yeux, quand il l’estime nécessaire, Mendé a réponse à toute question et tout le temps;  il sait tout et partout. Et ne dites jamais du mal du président ou du Congo devant lui. Vous risquez d’être foudroyé de son regard d’aigle. 
En plus de ses qualités intrinsèques de tribun et magicien du verbe, Mendé connaîssait bien les arcans du monde de la presse. A tel journaliste, il propose un bon deal : « je te réserve la primeur, mais tu me mets en bonne place ».  A tel autre, il offre son accompagnement pour l’obtention de visa et l’accréditation pour son reportage en RDC, mais à condition que le point de vue du gouvernement soit bien valorisé. Et quand ça ne marche pas, Lambert Mendé peut sortir ses griffes : il avait ainsi imposé aux correspondants de la presse étrangère accrédités à Kinshasa que « leurs déplacements hors de la capitale soient soumis à autorisation préalable ». N’y voyez surtout pas d’entraves,  ni même de censure. Avec le culot et la verve qu’on lui connaît, Mendé avait justifié cette mesure comme « un moyen de mieux protéger la presse étrangère » dans le contexte sécuritaire si particulier du Congo.  Du pur Mendé !
 
Coqueluche des médias
 
Les médias adoraient Lambert Mendé et lui le leur rendait bien. Il était toujours disponible pour accorder une interview. Même sur un sujet qu’il ne maitrise pas. Quitte à ne pas reconnaître totalement ensuite qu’il s’est trompé. Pris un jour en flagrant délit de contre-vérité, le porte-parole du gouvernement de Kabila s’en est tiré avec cette formule sublime : « J’ai des sentiments, je peux moi aussi me tromper ». A un confère d’une chaîne de télévision panafricaine qui lui mettait sous les yeux la preuve irréfutable de ses contradictions au service de son maître, il s’en est tiré avec cette boutade : « Et à près ? ».
Au pays de Lumumba ; Mobutu ; Kabila père et fils ; Tshisekedi père et fils, Mendé devait sa longévité comme porte-parole de gouvernement à son dévouement admirable et déconcertant dans l’accomplissement de ses fonctions. Jamais pris à défaut, il pouvait dire d’une chose qu’elle était blanche le jour et redire qu’elle était noire le lendemain : avec toujours le même aplomb et la même assurance. Les yeux dans les yeux.  Cette capacité à se faire l’avocat du diable pour défendre le Congo et son président, Mendé la devait aussi à son parcours de jeunesse, mêlant militantisme lumumbutiste, révolutionnaire et nationaliste.
 
Le seul sujet sur lequel l’ancien porte-parole du gouvernement congolais apparaissait moins loquace et moins à l’aise, c’était son role présumée avec les explosions qui ont secoué en 1984 Kinshasa. Un rôle qui lui avait alors valu un signalement à Interpol.  Bien qu’il se soit toujours défendu de tout lien avec ces événements, Lambert Mendé avait vu son frère Laurent Mendé écoper de sept ans de prison. Après cet épisode controversé, l’ancien porte- parole aura été pendant 11 ans « le perroquet national », le porte-parole du gouvernement devenu une légende autant dans son pays qu’à l’extérieur. Jusqu’à ce qu’il choisisse de raccrocher, après le départ du pouvoir de Kabila, son mentor, pour s’engager dans vie parlementaire qu’il cumule désormais avec ses charges de président du Conseil d’administration de la Compagnie des lignes maritimes du Congo (LMC). En opportuniste dans l’âme Lambert Mendé a laissé tomber Kabila pour rallier Félix Tshisekedi qui l’a nommé PCA de LMC, une entreprise publique. 
 
Francis Sahel