Alors que les forces de sécurité ont tiré sur des fidèles catholiques, Human Rights Watch de mande de mettre fin à la répression.
Les forces de sécurité en République démocratique du Congo ont fait un usage excessif de la force, notamment en tirant des gaz lacrymogènes et à balles réelles sur des manifestants pacifiques dans des églises catholiques de Kinshasa et d’autres villes du pays le 31 décembre 2017, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Face aux policiers et aux militaires lourdement armés, certains manifestants, vêtus de blanc, ont chanté des hymnes ou se sont agenouillés au sol. Au moins huit personnes ont été tuées et des dizaines d’autres ont été blessées, dont au moins 27 par balles. Le nombre de morts et de blessés pourrait cependant être beaucoup plus élevé.
Les tirs, passages à tabac et arrestations arbitraires de fidèles pacifiques par les forces de sécurité congolaises sont une violation des droits de ces personnes à la liberté de culte, d’expression et de réunion pacifique, a souligné Human Rights Watch. Ceux qui ont fait un usage illégal de la force meurtrière devraient être poursuivis. D’autres marches étant prévues, les autorités devraient lever l’interdiction de manifester et permettre aux personnes qui le souhaitent de pratiquer leur religion sans interférence.
« Les forces de sécurité congolaises ont battu un triste record en tirant dans l’enceinte d’églises pour interrompre les services religieux et empêcher des processions pacifiques », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait cesser d’interdire les manifestations et laisser les fidèles pratiquer leur religion sans être inquiétés. »
Depuis ces fusillades, des responsables laïcs de l’Église catholique en RD Congo ont appelé à des marches pacifiques après la messe dominicale du 21 janvier 2018, afin d’exhorter les dirigeants congolais à respecter l’accord politique négocié avec la médiation de l’Église catholique et signé fin 2016. L’accord prévoyait la tenue d’élections présidentielles fin 2017, ainsi que des mesures visant à atténuer les tensions politiques. Ces engagements ont cependant été largement ignorés, et le président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir par la violence et la répression.
Depuis le 31 décembre 2017, Human Rights Watch a interrogé 86 personnes en RD Congo, parmi lesquelles des victimes et des membres de leur famille, des témoins, des prêtres et d’autres responsables cléricaux, des employés des hôpitaux et des morgues, des activistes locaux, des agents des forces de sécurité et des dirigeants politiques.
Début décembre, le Comité laïc de coordination (CLC), un groupe d’intellectuels catholiques soutenu par des prêtres catholiques et des évêques de la RD Congo, a lancé un appel à manifester le 31 décembre. Ils appelaient tous les Congolais à protester contre l’échec de la mise en œuvre de l’accord dit de la Saint-Sylvestre et à « libérer l’avenir du Congo ». Les prêtres des paroisses congolaises avaient prévu d’organiser des processions pacifiques à partir de leurs églises, juste après la messe dominicale. Tous les grands dirigeants de l’opposition politique, les organisations de la société civile et les mouvements citoyens soutenaient l’appel à manifester, nombre d’entre eux demandant aussi de manière explicite la démission immédiate de Kabila ainsi qu’une « transition citoyenne » pour restaurer l’ordre constitutionnel et organiser des élections crédibles.
Le 31 décembre, mais aussi les jours qui ont précédé les manifestations, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation d’un grand nombre de personnes, dont au moins six prêtres catholiques ainsi que des activistes pro-démocratie, des membres des partis d’opposition et d’autres manifestants pacifiques. Dans une tentative évidente d’empêcher l’information sur les manifestations de se propager, le gouvernement a ordonné aux compagnies de télécommunication de bloquer la diffusion des SMS et l’accès à Internet en RD Congo le 30 décembre. Le service n’a été rétabli que trois jours plus tard.
Selon l’Église, le 31 décembre au matin les forces de sécurité ont encerclé au moins 134 paroisses catholiques à Kinshasa et érigé des barrages routiers à travers toute la ville. Nombre d’habitants de Kinshasa ont été obligés de montrer leurs cartes d’électeurs, qui servent de carte d’identité en RD Congo, pour passer les barrages routiers et se rendre à l’église. Certaines personnes, notamment celles qui portaient ou tenaient de manière visible des objets à connotation religieuse – comme des croix, des bibles, des chapelets et des rameaux – ont été empêchées de passer ces barrages. Les forces de sécurité ont annoncé à certains d’entre eux qu’il n’y aurait pas de messe ce jour-là et qu’ils devaient rentrer chez eux.
Malgré ces méthodes d’intimidation musclées, les églises étaient ce jour-là bondées selon les prêtres et les fidèles. Ces fidèles ont tenté, avec d’autres, de manifester dans les villes de Beni, Bukavu, Butembo, Goma, Idjwi, Kindu, Kamina, Kananga, Kisangani, Lubumbashi, Matadi et Mbandaka, et dans la capitale. Partout dans le pays, les forces de sécurité ont rapidement et souvent violemment dispersé les manifestants.
À Kinshasa, les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes dans des églises d’au moins trois paroisses. Dans plusieurs autres paroisses, elles ont tiré des gaz lacrymogènes, à balles en caoutchouc et, dans certains cas, à balles réelles juste à l’extérieur des bâtiments de l’église, sur les terrains dépendant de ces paroisses.
« Au début de l’homélie, j’ai entendu un grand bruit à l’extérieur au moment où la police s’est mise à tirer des gaz lacrymogènes », a déclaré un prêtre de Kinshasa. « J’ai poursuivi mon service malgré tout. Il y a eu une deuxième détonation, puis une autre encore, et cette fois la police a tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur de l’église. C’était impossible de continuer et j’ai dû arrêter la messe pour permettre aux fidèles d’aller dehors pour respirer. »
Le 5 janvier, le porte-parole de la police de Kinshasa a déclaré que cinq personnes avaient été tuées le 31 décembre : un policier, deux bandits connus sous le nom de « kulunas », un soi-disant « terroriste » et un membre de la milice Kamuina Nsapu, qui seraient tous morts dans des circonstances sans rapport avec les manifestations.
En plus des huit décès qui ont pu être confirmés, Human Rights Watch a reçu des informations crédibles d’agents des forces de sécurité, de responsables des morgues et d’autres personnes faisant état d’au moins 20 autres personnes tuées à Kinshasa dont les corps ont été emmenés par les forces de sécurité vers des lieux qui n’ont pu être identifiés. Certains auraient été jetés dans le fleuve Congo. Human Rights Watch poursuit ses enquêtes sur tous les décès qui lui ont été signalés.
Les autorités congolaises devraient autoriser toutes les manifestations pacifiques conformément aux normes internationales relatives aux droits humains et veiller à ce que les forces de sécurité n’utilisent pas la force de manière excessive ou quand cela est inutile. Les individus qui font un usage illégal de la force ou se rendent coupables d’arrestations arbitraires et d’autres violations graves des droits humains devraient faire l’objet de mesures disciplinaires adaptées, ou être poursuivis. Les autorités devraient aussi cesser de bloquer les communications, notamment en obligeant les entreprises de télécommunications à limiter l’accès à leurs services.
La mission de maintien de la paix de l’ONU en RD Congo, la MONUSCO, devrait appliquer son mandat en protégeant plus activement la population, notamment en se déployant avant les manifestations autour des zones où il est probable que des personnes se rassemblent, pour empêcher les abus.
Les partenaires internationaux de la RD Congo devraient montrer aux responsables gouvernementaux et aux forces de sécurité qu’ils paieront le prix des méthodes violentes et répressives qu’ils utilisent pour maintenir l’emprise de Kabila sur le pouvoir, et que les principaux responsables de ces abus et ceux qui apportent un soutien financier ou politique à ces méthodes s’exposent notamment à des sanctions ciblées. Les bailleurs de fonds devraient cesser tout soutien direct au gouvernement et aux forces de sécurité congolaises jusqu’à l’adoption de mesures concrètes d’ouverture de l’espace politique, et demander des comptes aux responsables de violations graves des droits humains. Le financement devrait être redirigé vers l’aide humanitaire, la société civile congolaise et les groupes de défense des droits humains. Les dirigeants régionaux devraient faire pression pour obtenir la démission de Kabila et travailler avec d’autres partenaires pour répondre aux préoccupations relatives à sa sécurité physique après son départ du pouvoir.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction devrait effectuer une visite en RD Congo pour enquêter et rendre compte publiquement de la violence contre les prêtres et les fidèles dans les paroisses catholiques autour du 31 décembre.
« Kabila et sa clique semblent prêts à utiliser tous les moyens à leur disposition pour écraser, faire taire et éliminer toute opposition à leurs efforts de maintien au pouvoir », a déclaré Ida Sawyer. « Avant la prochaine série de violences meurtrières et de répression, les partenaires internationaux de la RD Congo feraient bien de montrer à Kabila que de nouveaux abus ne pourront être tolérés. ».