Le courage légendaire de Radhia Nasraoui, figure de la résistance au régime du général Ben Ali de 1987 à 2011, n’a pas faibli. L’avocate tunisienne vient de mettre fin à une troisième grève de la faim. Le motif ? La protection insuffisante de son mari, Hamma Hammani, porte-parole du Front populaire tunisien, privé de la sécurité rapprochée de la garde présidentielle. Or depuis l’assassinat en 2013 de deux cofondateurs de son parti, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, le leader de la gauche tunisienne est une des personnalités les plus menacées par les terroristes.
Radhia Nasraoui n’en est pas à son premier combat. Etudiants, syndicalistes, journalistes ou encore islamistes, l’avocate défend tout lemonde. En 2003, cette spécialiste des droits de l’homme avait participé à la fondation de l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT). Après le Printemps arabe, la militante a continué à dénoncer les abus de l’appareil sécuritaire de l’ancien président Ben Ali qui a largement survécu à sa chute en janvier 2011. A l’âge de 64 ans, Radhia Nasraoui n’hésite pas à pointer les failles de la jeune démocratie tunisienne.
La Tunisie peut-elle achever la transition démocratique amorcée depuis le départ de l’ex président Ben Ali? A condition, selon elle, que la société se mobilise. Entretien
Mondafrique. Entamée le 11 juillet, votre grève de la faim s’est terminée le 24 août dernier. Comment vous sentez-vous aujourd’hui après 45 jours de lutte ?
Radhia Nasraoui. Je connais encore quelques problèmes de santé.
Mondafrique. Vous avez obtenu satisfaction?
R.N. Je ne suis toujours pas satisfaite du système de protection de mon mari. Cependant, à travers cette grève de la faim, je souhaitais avant tout dénoncer. Je voulais que tout le monde sache que si on assassine mon mari, c’est le président Béji Caid Essebsi qui sera le responsable. Sur ce plan j’ai gagné. D’ailleurs, j’ai senti un réel soutien de la part des Tunisiens. Lors de ma grève de la faim en 2003 (d’une durée de 58 jours), le président, Jacques Chirac, était venu chez nous. Il m’avait dit : « Le premier des droits de l’homme, c’est celui de manger. Ce à quoi j’avais rétorqué : « On vient nous demander de manger et de nous taire ! »
Mondafrique. Mercredi, une loi de réconciliation a été votée. Il s’agit ainsi d’offrir l’amnistie aux responsables gouvernementaux accusés de corruption sous l’ex-président, Zine el-Abidine Ben Ali. Est-ce pour vous un coup fatal porté à la transition démocratique tunisienne ?
R.N.Oui c’est un mauvais signe. Ce sont les proches de Zine el-Abidine Ben Ali qui vont être heureux. Ils ne vont pas être punis. Ces gens là devraient passer par l’Instance Vérité et Dignité (institution créée en 2013 pour traiter les préjudices commis sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali ).
Mondafrique. Depuis le printemps arabe, les mouvements salafistes financés par les pays du Golfe, gagnent en influence. Comment lutter contre ce risque de régression?
R.N.Les pays du Golfe mais aussi Israël et les Etats-Unis donnent de l’argent à ces jeunes et les encouragent à devenir salafistes. Pourquoi ? Ils ne veulent pas que la révolution réussisse dans le pays. Il faut lutter contre ces mouvements à l’aide de programmes scolaires mais aussi et surtout avec la culture. Cette dernière joue un rôle important et peut avoir une influence sur les jeunes. Vous savez, j’ai défendu des salafistes et certains ont laissé tomber leur engagement. Une reconversion est possible.
Mondafrique. En Tunisie, les droits des femmes semblent davantage au cœur des préoccupations du gouvernement actuel. Récemment, une loi a été votée autorisant une Tunisienne à épouser un non-musulman. Pensez-vous que le droit des femmes en Tunisie s’améliore ou n’est-ce qu’un effet d’affichage ?
R.N. On peut y voir un effet d’affichage. Environ un million de femmes ont voté en faveur de Béji Caid Essebsi. Or, plusieurs d’entre elles ont regretté. Les récentes réformes ont bien sûr été entreprises par intérêt. La situation des femmes tunisienne a connu des progrès comme des régressions. Il y a un débat qui continue sur leur situation, mais j’ignore s’il est vraiment sérieux. En tout cas, on en parle déjà plus qu’avant. Il faut aussi changer la mentalité des hommes et cela passe aussi par l’éducation. De leurs côtés, les femmes tunisiennes doivent se battre. Les droits ça s’arrache tout comme la liberté.
Mondafrique. De nombreux mouvements sociaux ont eu lieu dans la Tunisie de l’intérieur: Tatouine au sud, Kerouan au centre ou encore dans la région du Kef à l’Ouest. L’Etat est-il en train de perdre le contrôle de certaines parties du territoire ?
R.N. Le pouvoir est en train de perdre son autorité dans ces régions. Les populations se soulèvent, organisent des sit-ins, des grèves de la faim ou encore des manifestations. Ils ont aussi moins peur de s’exprimer. Ces régions sont délaissées par le gouvernement. La situation économique du pays est mauvaise, il faudrait des programmes intéressants pour sauver le pays. Les problèmes économiques de l’Etat s’aggravent notamment à cause des différents gouvernements successifs. Symbole de cette crise, la chute du dinar : désormais trois dinars valent un euro.
Mondafrique. D’après un rapport d’Amnesty International, publié le 13 février 2017, l’organisation témoigne d’une augmentation inquiétante du recours à des méthodes répressives, sinistre rappel du régime de Ben Ali. Comment expliquez-vous cette augmentation ?
R.N. Au niveau de la répression, je crois qu’il y a un retour vers le despotisme. Le pouvoir utilise les mêmes méthodes qu’avant, ils ne sont pas démocrates. En ce qui concerne la torture, rien n’a changé. On parle de méthodes vraiment sauvages, qui parfois conduisent à la mort.
Mondafrique. Ben Ali est tombé à cause notamment de la corruption de son entourage. La Tunisie post révolutionnaire connait-elle des progrés sur ce plan ?
R.N. La corruption existe partout et elle s’est généralisée, par rapport à la période précédente. Même la magistrature et la police au coeur de l’Etat sont touchés. Je ne dis pas que tous les magistrats, tous les policiers sont corrompus mais il y en a. Par exemple, certains policiers demandent de l’argent à la population pour les laisser passer. C’est du racket !