Présidentielles Tunisie (1), la cinglante défaite du Sahel

(COMBO) This combination of file pictures created on September 16, 2019 shows (L to R) Nabil Karoui, Tunisian media magnate and presidential candidate for Qalb Tounes (Heart of Tunisia) party, currently jailed on corruption charges, in the capital Tunis on August 2, 2019; and independent candidate Kais Saied in the capital Tunis on September 10, 2019. - Kais Saied, an independent 61-year-old law professor and expert on constitutional affairs, and jailed media mogul Nabil Karoui, behind bars due to a money laundering probe, the two anti-establishment candidates in Tunisia's divisive election on September 15 claimed to have won through to a runoff after polling closed in the country's second free presidential poll since the 2011 Arab Spring. (Photos by Hasna and FETHI BELAID / AFP)

Dans un premier volet de notre enquête, nous analyserons le succès inédit de deux candidats hors système, Kais Saied (voir photo) et Nabil Karoui et le formidable échec des hommes du Sahel, qui accaparent l’essentiel du pouvoir depuis l’Indépendance..

Le 15 septembre, la Tunisie a connu une forme brutale du dégagisme qui semble désormais, de l’Amérique de Trump à la France de Macron, devenue la règle des sociétés politiques modernes. Un professeur de droit constitutionnel adepte de la démocratie locale, Kais Saied, qui a obtenu près du cinquième des voix, affrontera donc au deuxième tour des élections présidentielles, le patron de la première chaine de télévision tunisienne Nessma TV, Nabil Karoui, actuellement emprisonné pour blanchiment (et sous réserve que l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la Justice consentent à la libération du candidat, sans laquelle l’élection présidentielle tunisienne deviendrait une mascarade).

Entre le droit et le tordu, la Tunisie devra choisir !

Une lame de fond

Cette désaffection du « pays réel » face au « pays légal » ne date pas d’aujourd’hui. Les manifestations populaires du printemps arabe en décembre 2010 et janvier 2011 furent d’abord la révolte de la Tunisie de l’intérieur, largement majoritaire mais toujours oubliée par les régimes successifs. Même les gouvernements islamistes de 2012 et 2013, portés par la vague révolutionnaire mais sans projet réel, n’ont pas corrigé d’un pouce les inégalités de développement. Ils portent, eux aussi, leur part de responsabilité dans cette fracture géographique dramatique qui mine le processus démocratique.

Tout comme les présidents Bourguiba et Ben Ali, les élites tunisiennes proviennent pour la plupart de la riche région côtière du Sahel où vit, entre Monastir et Sousse, près d’un million de tunisiens (sur une population totale de 12 millions). Ce sont les Sahéliens qui après les résultats du premier tour, tombent de leur piédestal, happés par ce qui s’apparente, au pays du jasmin, à une deuxième révolution.

Lors des municipales qui ont eu lieu voici un an, des listes « indépendantes » qui rejetaient l’ensemble des mouvements politiques existants avaient remporté la moitié des municipalités. L’avertissement ne fut guère entendu, Une lutte stérile, totalement déconnectée des aspirations populaires à une vie meilleure, a opposé le Président aujourd’hui décédé, Beji Caid Essebsi, dit BCE, totalement diminué et sous influence, et le jeune Premier ministre Chahed, qui s’est pris, un peu vite, pour un Emmanuel Macron tunisien.

Résultat, la Tunisie s’est enfoncée dans un crise économique dramatique, sans aucune visibilité politique.

Un clan soudé

Plusieurs candidats originaires du Sahel étaient présents au premier tour du scrutin. Au moins quatre avec l’ancien ministre de la Défense de Beji Caïd Essebsi, Abdelkarim Zbidi, l’ex Premier ministre, Mehdi Jomaa, l’avocate nostalgique de Ben Ali, About Moussi, et l’ancien Premier ministre islamiste Jebali, un réformiste plus sensible à son appartenance régionale qu’à ses croyances religieuses. Le 15 septembre, tous les quatre ont perdu.

Abdelkarim Zbidi, l’ancien ministre de la Défense de Beji Caïd Essebsi, qui eprésentait durant cette campagne électorale les élites sahéliennes a obtenu un peu plus de 10% des voix

Primus inter pares, Abdelkarim Zbidi portait les espoirs du noyau dur des Sahéliens, le même qui contribua de façon décisive à provoquer, voici huit ans, le départ précipité de Zine Ben Ali.

Sous couvert de restaurer l’autorité de l’Etat, ce clan soudé cherchait avant tout à préserver ses intérèts financiers, à obtenir du nouveau président un effacement de ses dettes bancaires, comme ce fut le cas sous Bourguiba et Ben Ali et enfin à conserver l’essentiel des prérogatives qui furent les siennes dans les affaires publiques. Et s’il avait fallu au lendemain des Présidentielles, asseoir l’autorité de l’état face aux contestations populaires en fermant la parenthèse démocratique née en 2011, une telle perspective ne les gênait pas outre mesure, eux qui avaient si mal vécu l’intrusion des islamistes dans leur domaine réservé..

Trois hommes ont oeuvré, mais sans succès, en faveur de cette tentative de restauration. Le premier est Kamel El Taief, le compagnon le plus proche de Ben Ali dans les années de conquête du pouvoir avant que les deux hommes ne se brouillent après le mariage de l’ancien président avec Leila Trabelsi en 1992 C’est lui qui, en mars 2011, mit le pied à l’étrier de Beji Caïd Essebsi, nommé à la tète du gouvernement, dont il resta, ces dernières années, le conseiller constant et écouté grâce à ses relais dans la presse et au ministère de l’Intérieur.

Autre homme de l’ombre, l’ancien ministre de l’Intérieur et patron de la garde Nationale, Lotfi Brahem, participa également à la campagne, mais discrètement. C’est lui dont Youssef Chahed, alors chef de gouvernement, obtint la tète pour faire le ménage au sein de la Garde Nationale, bras armé de ce sécuritaire sans états d’âme, o pas moins de cent gradés furent mis sur la touche.

Un des principaux conseillers de l’ancien ministre de la Défense durant la campagne électorale fut le général Ammar , originaire lui aussi du Sahelui

Troisième conseiller du candidat Zbidi, le général Ammar (voir photo ci dessus) joua un rôle clé encore que non totalement élucidé, dans le renversement de l’ex président Ben Ali un certain 14 janvier 2011

Tout sauf Kais Saied!

Après le coup de semonce du 15 septembre, les Sahéliens ne vont pas s’avouer si facilement vaincus. Le clan Zbidi/Eltaief/Brahem soutiendra sans nul doute Nabil Karoui, le patron de Nessma TV, pour éviter l’élection de Kais Saied qui, à leurs yeux, présente à peu près tous les défauts: un désintéressement à toute épreuve qui lui évite toute instrumentalisation, la défense des valeurs coraniques fondamentalistes (peine de mort, homosexualité, héritage inégal) et la revendication d’un nationalisme arabe intransigeant porté par une mouvance d’étudiants déterminés, souvent venus des disciplines scientifiques et en tout cas issus des milieux populaires, condamnés trop souvent à grossir la cohorte des diplomés-chomeurs..

Après tout, Nabil Karoui, proche de tous les régimes successifs puisqu’il flirta même avec les islamistes libyens de « Farj Libya », basés dans la Tripolitaine, est du genre serviable, notamment avec Kamel El taief. C’est Karoui qui, à la demande de ce dernier, vendit la candidature de Beji, début mars 2011, comme chef de gouvernement à ses amis Berlusconi et Tarek Ben Ammar, qui surent relayer le message dans les capitales occidentales.

Parions que le combat des Sahéliens contre Kais Saied sera abondamment relayé pr les nombreux medias qu’ils contrôlent discrêtementt. Face au tsunami électoral qui semble s’annoncer en faveur du professeur de droit venu de nulle part (1), Kamel Et Taief et ses amis devront battre en retraite.

Par manque d’imagination, les gros bonnets du Sahel n’ont jamais appris à se battre contre les extra-terrestres

Dans un prochain volet de notre enquête dur les présidentielles tunisiennes, nous évoquerons la recomposition de l’Islam politique tunisien

(1) Certains sondages non pubiés évoquent un possible score de Kais Saied de plus de 70% des voix dans l’hypothèse d’un duel avec Nabil Karoui

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