L’élection présidentielle prévue pour le 21 juin en Mauritanie sera-t-elle démocratique ? Le patron de l’opposition, Ahmed Ould Daddah, n’y croit guère. « Le président Aziz, explique-t-il à Mondafrique, ne souhaite pas négocier un accord consensuel avec nous pour préparer sereinement le scrutin présidentiel». Le 3 mai, l’opposition pourrait trancher en faveur d’un boycott. Entretien avec Ahmed Ould Daddah
Il faut s’intéresser de près à cette dictature douce qu’est la Mauritanie, un pays aussi peu peuplé que la Libye, mais qui partage près de 2000 kilomètres de frontières avec le Mali. Il n’y aura pas de stabilité au Sahel, si ce pays méconnu reste autocratique et corrompu comme il l’est depuis six années sous le règne du président Mohamed Ould Abdel Aziz, un général parvenu au pouvoir en 2008 à la suite d’un coup d’Etat, qui connaît peu le vaste monde pour être peu sorti de ses casernes.
Or les alliés occidentaux de Nouakchott, la France en tête, veulent croire que le régime militaire du président Aziz, qui n’a envoyé aucun soldat combattre au Mali, constitue un rempart contre les groupes djihadistes violents. L’ambassadeur de France, Hervé Besancenot, qui a connu quelques situations gênantes dans ses précédents postes en Afrique, possède son rond de serviette à la Présidence et méprise en privé les opposants. L’ancien gourou de l’anti-terrorisme, Jean Louis Bruguière, remplit des discrètes missions pour le régime. Le journal « Jeune Afrique », sous la plume de François Soudan, ne tarit pas d’éloges pour ce petit pays qui le soigne si bien.
Plus grave encore que plus discret, un des principaux ministres et amis de François Hollande, Michel Sapin, a transformé la Mauritanie, comme encore cet hiver, en un lieu de villégiature ensoleillé, sans jamais émettre la moindre réserve sur les dérives du régime. Il parait que ce ministre sans éclat, de retour de Nouakchott, n’aime rien tant que montrer aux membres de son cabinet les photos de ses échappées dans le désert où on le découvre vêtu d’un burnous sur le dos d’un chameau. Ce goût pour les cartes postales mensongères, qui travestissent la réalité d’un peuple, rappelle la façon dont d’autres politiques français de gauche comme de droite, sous le rêgne du président Ben Ali jusqu’en janvier 2011, ont défendu le paradis tunisien.
Élections, piège à pognon
Que constate-t-on en Mauritanie à l’approche des élections présidentielles de juin prochain ? Tous les ingrédients d’une démocratie d’opérette sont réunis à Nouakchott: des partis d’opposition certes structurés, mais floués au moment d’élections entièrement contrôlées par l’administration et finalement fraudées. Quelques sites d’information courageux, mais qui aboient dans le vide, faute de moyens…et d’équipement internet d’une majorité de la population. Des partis salafistes instrumentalisés, devenus lors des législatives de décembre la principale force d’opposition, dans la mesure où les autres mouvements politiques avaient boycotté le scrutin.
Les parodies démocratiques qui se jouent en Mauritanie constituent juste pour le régime en place l’occasion de conforter son image auprès de ses partenaires occidentaux et de justifier les aides des pays donateurs. Triste spectacle!
Candidat aux élections présidentielles de 1987, Ahmed Ould Daddah est aujourd’hui le président de la « Coordination de l’opposition démocratique » qui regroupe les principaux partis d’opposition mauritaniens, à l’exception du mouvement islamiste Tawassoul. Le samedi 3 mai, un vaste forum des forces démocratiques (qu’ont rejoint les Frères Musulmans), doit décider de participer ou non au scrutin présidentiel du 21 juin, où le président actuel, Aziz, doit se représenter.
Faux semblants
Ahmed Ould Daddah est un homme calme, mesuré. On le sent prudent lorsqu’il parle de l’armée, qui reste la colonne vertébrale du système. Certes, il souhaite que les militaires soient utilisés pour préserver la paix aux frontières contre les groupes violents. « Chacun, dit-il sobrement, doit se trouver à sa juste place ».
Mais le chef de l’opposition, très respecté dans son pays, reste déterminé et décrit sans concessions le régime actuel. Malheureusement, ses appels constants à négocier avec le pouvoir un processus électoral « consensuel » où les droits de l’opposition seraient respectés n’ont pas été pris en compte. « Le régime ne souhaite pas sincèrement trouver un accord ». Et d’ajouter: « Notre peuple est mesuré et pacifique. Mais la braise couve sous la cendre »
Nicolas Beau, rédacteur en chef de Mondafrique
Voir ci dessous l’entretien avec Ahmed Ould Daddah
Mondafrique. Vous avez décidé, à la tête des onze partis de la coordination de l’opposition démocratique (COD), de ne pas participer aux élections législatives de décembre dernier. Depuis, vous avez réclamé que le président Aziz négocie un accord consensuel avec les forces politiques qui puisse mener à des élections présidentielles transparentes. Où en êtes vous de ce processus?
Ahmed Ould Daddah. Nulle part. Le pouvoir fait semblant de négocier, mais tout cela est en train de finir en queue de poisson. Nous allons décider ces jours-ci si dans ces conditions nous allons présenter des candidats aux présidentielles. Le parti islamiste, qui avait décidé, lui, de participer aux législatives de décembre dernier,se pose désormais les mêmes questions que nous. Ils ont été floués, aujourd’hui ils hurlent également et soutiennent notre démarche
Mondafrique. Sur quels points notamment les conditions du scrutin présidentiel devraient être redéfinies?
A.O.D. Deux sujets surtout posent problème; Le premier est celui des listes électorales. Aux législatives, à peine 600000 personnes ont voté, et encore d’après les chiffres officiels, alors que le pays compte deux millions d’électeurs en théorie. Les communautés mauritaniennes à l’étranger regroupent quelque 500000 citoyens. Rien n’a été fait pour les aider à s’inscrire, bien au contraire. Aucun consulat, aucun bureau n’ont été ouverts au Sénégal ou au Mali afin de les recevoir.
Autre sujet, les bureaux de vote sont contrôlés par l’administration, notamment par des agents du ministère de l’Intérieur. Nos représentants ne sont jamais associés aux opérations électorales. Tout cela doit changer si on veut arriver à des élections transparentes.
Mondafrique. Que faites vous pour dénoncer cette situation?
A.O.D. Nous faisons des sit-in et des marches, mais sans beaucoup d’échos. Les télévisions et les radios sont à la solde du pouvoir. Seuls quelques sites courageux cherchent à informer la population.
Mondafrique. Un certain nombre de mouvements représentants les négro-africains, formés par les descendants des esclaves, semblent ruer dans les brancards et mobiliser du monde en liant les questions ethniques aux questions sociales. Est ce qu’ils représentent un danger pour le régime?
A.O.D. On exagère beaucoup la fracture ethnique. Nous avons toujours cohabité entre maures et descendants d’esclaves noirs. Nous sommes tous musulmans et de rite malékite. Il n’y a pas chez nous, comme au Liban ou en Irak, de communautés chiites qui divisent la société. Il reste vrai que les négro-africains ont concentré d’énormes difficultés sociales et scolaires, qu’ils ont peu accès aux postes importants. Mais c’est hélas aussi le cas pour une majorité de maures. Notre combat pour le développement est commun.
Mondafrique. Est ce que la situation sécuritaire est assurée en Mauritanie?
A.O.D Ce sont les occidentaux, et notamment la France, qui font croire que la Mauritanie est un pays stable et le champion de la lutte antiterroriste. L’ambassadeur français, Hervé Besancenot, est particulièrement actif pour défendre le régime. A l’entendre, tout va pour le mieux dans la meilleure des Mauritanies. Ce diplomate ne m’a jamais reçu, sauf une fois pendant cinq minutes lors d’une cérémonie du 14 juillet. C’est peu!
Nous avons des centaines de kilomètres de frontières avec le Mali. Il nous faut créer une coordination régionale pour lutter contres les groupes violents. Or ce n’est pas le cas. Il reste que les meilleurs remèdes contre le risque terroriste sont la justice et la bonne gouvernance. Il ne faut pas oublier le front intérieur. Or si le président Aziz a été élu en 2009 en se vantant d’être le président des pauvres, il est surtout devenu le président de pauvres mauritaniens, soit 90% de la population qui se tape la tête contre les murs.
Mondafrique. Le pays a-t-il lancé de nouveaux projets de développement?
A.O.D. La situation économique s’est considérablement aggravée. Beaucoup de fonctionnaires sont devenus des commerçants qui cherchent avant tout à faire des affaires. Regardez l’aéroport de Nouachkott. Des études ont montré qu’avec le taux de croissance actuel du nombre de passagers, l’actuel aéroport ne serait utilisé en 2025 qu’à 70% de ses capacités. Pourquoi vouloir en construire un nouveau susceptible de recevoir deux millions de passagers? Une folie! Les raisons tiennent à la spéculation immobilière qu’un tel projet favorise pour quelques privilégiés. Tout cela est inutile, coûteux et ridicule.
De même, le pouvoir est en train de saccager le premier groupe industriel du pays dirigé par Mohamed Bouamatou, qui a été condamné à s’exiler. Les amis du président Aziz font mais basse sur le pays. Le pays sombre dans la corruption et le népotisme. C’est apparemment le calme, mais le calme avant la tempête.