Dimanche 27 décembre, 7,4 millions de Nigériens sont convoqués aux urnes pour des élections législatives et présidentielles aussi décisives que disputées, à l’issue de dix ans de règne du socialiste Mahamadou Issoufou que la Constitution interdisait de briguer un troisième mandat.
Ces élections atypiques témoignent de l’âpreté du combat politique mais aussi de la dégradation du climat démocratique dans le pays, faute d’inclusivité, de transparence et de consensus préalable sur les règles du jeu, après des années de guérilla politico-judiciaire entre le pouvoir et son opposition.
Plusieurs requêtes en invalidité
Jusqu’aux derniers jours, le dauphin désigné du Président, son ancien ministre de l’Intérieur et président du parti Mohamed Bazoum, a vu la validité de sa candidature contestée devant les tribunaux, l’authenticité des pièces versées pour attester de sa « nationalité nigérienne d’origine » exigée par la Constitution étant discutée.
Ce feuilleton a pollué une campagne entamée il y a de longs mois, qui l’a vu sillonner tous les villages du pays à la tête d’une spectaculaire caravane de rutilants pick-ups aux couleurs du parti rose, accompagné de plusieurs financiers du parti ainsi que du propre fils du Président sortant, Abba, son directeur de campagne.
Dans les dernières heures de la campagne officielle, une ultime requête en invalidité a été déposée par trois candidats qui ne font pas partie de l’opposition : le général Salou Djibo, qui a légué le pouvoir à Mahamadou Issoufou à la fin de la transition de 2011, l’ancien Premier ministre Seyni Omar, qui avait rallié la majorité au pouvoir et un dissident du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme au pouvoir, Ousmane Idi Ango. Leur démarche n’a pas prospéré davantage que celle des candidats issus de l’opposition. Déposée le 22 décembre, leur requête a été rejetée comme les précédentes par la Cour Constitutionnelle qui a accusé les acteurs politiques du pays d’avoir mis en œuvre « un plan bien élaboré en vue de discréditer la Cour, de troubler la quiétude sociale et ainsi provoquer une instabilité. »
Désormais exposés en première ligne, les neuf magistrats de la Cour Constitutionnelle se sont fait menaçants en écrivant qu’aucun « jet de discrédit sur (leurs) décisions ne serait désormais toléré » et rappelant qu’il s’agissait là d’une infraction pénale.
Naissance d’un front contre Bazoum
Au-delà de l’issue de la bataille juridique, analysée par beaucoup d’acteurs politiques comme la preuve de l’inféodation de la cour suprême, ces derniers jours témoignent d’une rupture entre le régime et des personnalités qui en étaient proches jusque-là: le parti de Salou Djibo était classé parmi les non affiliés tandis que Seyni Omar avait rallié la majorité après le départ de Hama Amadou, allié des roses en 2011 avant de devenir leur bête noire à partir de 2013.
C’est bien à la création d’une sorte de front « Tout sauf Bazoum » que le Niger assiste depuis quelques semaines, à travers une dynamique qui déborde désormais l’opposition rassemblée au sein de la CAP 21 depuis l’invalidation de la candidature du chef de file de l’opposition Hama Amadou, en raison de sa condamnation à un an d’emprisonnement dans l’affaire des bébés importés, un autre des grands feuilletons judiciaires de ces dernières années. Sur ce dossier, la Cour Constitutionnelle n’a pas tergiversé. On s’y attendait.
Hama Amadou a donc appelé officiellement ses militants et sympathisants à voter pour Mahamane Ousmane, le premier Président démocratiquement élu du Niger, qui fait partie de la coalition de l’opposition et peut s’appuyer sur une base indéfectible à Zinder, la deuxième ville du pays, là même où Mohamed Bazoum a son fief.
Un accord local a aussi été conclu à Maradi entre le parti Lumana de Hama et l’ancien parti Etat, dont il est issu, le Mouvement National pour la Société du Développement. Les militants Lumana voteront pour Seyni Omar à la présidentielle et les militants du MNSD pour les candidats Lumana aux législatives, les listes MNSD ayant été invalidées dans cette région.
Enfin Amadou Boubacar Cissé, dit ABC, s’est retiré vendredi de la course à la présidentielle au profit, lui-aussi, de Mahamane Ousmane.
Les principaux acteurs politiques vont jeter toutes leurs forces dans la bataille de dimanche, pensant pouvoir être départagés dès le premier tour. Mohamed Bazoum dit vouloir infliger à ses adversaires un « coup KO » et ces derniers espèrent, eux, remporter la majorité des sièges à l’Assemblée nationale.
Une commission électorale indépendante qui n’a pas convaincu
Reste que les élections locales, il y a deux semaines, ont été émaillées de nombreux incidents et contestations et révèlent des insuffisances de la Commission électorale nationale indépendante, qui fait l’objet de la défiance ouverte d’une partie des acteurs en raison des liens étroits qu’entretiennent la plupart de ses membres avec le pouvoir.
Lors d’une conférence de presse, le directeur de campagne du MNSD Moussa Harouna a dénoncé les retards du chronogramme électoral et les approximations de la CENI qui ont abouti, finalement, à priver de vote de très nombreux électeurs. De fait, le total des suffrages exprimés valables au premier tour, 3 919 000 voix, dépasse tout juste la moitié du corps électoral.
A cela, plusieurs raisons : l’invalidation de très nombreuses listes par les tribunaux, l’arrivée tardive des spécimen de bulletins uniques, quelques heures avant le vote, ce qui n’a pas permis la sensibilisation des électeurs et a abouti, selon lui, à « un rejet massif des votes ». « Dans certains bureaux de vote, les rejets sont supérieurs aux suffrages exprimés valables. »
La distribution des cartes d’électeurs par les chefs de quartiers fait également l’objet de critiques. « Les dispositions du code ont été délibérément violées. (…) Certains ont créé un marché d’achat de cartes, en complicité avec des responsables des commissions décentralisées », a poursuivi Moussa Harouna. « De nombreuses personnes étaient à la recherche de leurs cartes, qui, malheureusement, étaient entre les mains d’autres personnes parties faire des procurations pour voter à leur place. Ca, c’est une nouvelle technique de fraude qui vient de paraître, du fait de la carte biométrique. »
Poursuivant son récit, Moussa Harouna a raconté les conditions d’improvisation du scrutin local. « Le matériel électoral n’est pas arrivé à temps, les bulletins de vote sont en quantité insuffisante et de qualité ne permettant pas de faire des élections sécurisées, l’encre sèche n’est pas toujours livrée. Dans beaucoup de bureaux de vote, elle est remplacée par l’encre indélébile mais vu la qualité des bulletins, un doigt mouillé sur une feuille légère et le bulletin est dégradé. Cela est une défaillance. »
Il a également déploré « des manipulations qui ont même un caractère de violences, parce que des individus sortis d’on ne sait où se sont présentés dans les centres d’enrôlement ou de vote pour prendre les urnes. » Malgré l’état-major de sécurité dont la CENI dit s’être dotée, des incidents armés ont été rapportés dans le nord du pays, dans les régions de Tahoua et d’Agadez.
Des procès-verbaux renseignés sous les arbres
S’agissant du dépouillement, Moussa Harouna a affirmé que beaucoup de procès-verbaux, remplis en l’absence des délégués des partis politiques, supportaient des signatures falsifiées. « La CENI a promis que les PV seront infalsifiables et que chaque délégué de parti politique se verra remettre un récépissé en bonne et due forme. Mais hélas, au soir du scrutin, rares sont les délégués qui ont pu obtenir ces récépissés. Rares mêmes sont les délégués qui ont participé au renseignement des procès-verbaux. Parce que la plupart de ces présidents de bureaux de vote, avec la complicité de certains présidents de CENI locales, n’ont pas renseigné les PV dans les bureaux de vote (…) mais en cours de route, sous un arbre ou arrivés sous la protection de la CENI. » « Certains délégués qui ont voulu porter des remarques ont été bastonnés », a-t-il insisté.
Quant à la centralisation des données, a-t-il conclu, « elle n’a rien à voir avec les résultats pris individuellement, PV par PV. »
Il a fallu attendre près de dix jours pour que la CENI publie des résultats globaux, toujours pas disponibles d’ailleurs sur son site internet.
Pour les adversaires du parti rose, ces atermoiements procèdent d’une stratégie destinée à créer le désordre pour manipuler les résultats et distiller de faux chiffres supposés démontrer la puissance du parti rose, en prévision des élections générales. On retrouve d’ailleurs dans ces résultats officiels, qui reflètent un raz-de-marée socialiste, la hiérarchie politique subtile des acteurs qu’affectionne le PNDS, avec un MNSD en deuxième position.
A l’exception de la conférence de presse de Moussa Harouna, les acteurs politiques n’ont pas communiqué de façon détaillée sur les élections locales, réservant pour eux leurs propres compilations de résultats.
Alors que la tension et la mobilisation politiques sont à leur comble, la journée de dimanche sera capitale. Des incidents ne sont pas à exclure, les militants des partis politiques ayant été exhortés à empêcher la fraude à tout prix.