L’élection présidentielle qui a lieu ce vendredi 18 juin en République islamique d’Iran va, sans grande surprise, conforter la mainmise des ultra conservateurs sur le pouvoir. Un seul candidat crédible reste en lice, Ebrahim Raisi. Les candidatures de ses deux adversaires principaux – Ali Larijani, conseiller du Guide suprême Ali Khamenei, et Eshaq Jahangari, actuel premier vice-président d’Hassan Rouhani (lequel est en poste depuis 2013) – ont en effet été invalidées.
Procureur général adjoint de Téhéran à la fin des années 1980, rappelle le site « The conversation », Ebrahim Raisi faisait alors partie du « comité de la mort », chargé des exécutions extra judiciaires de milliers d’opposants politiques. Devenu ensuite procureur général de Téhéran, il a été nommé en 2017 à la tête d’une importante fondation religieuse du pays. Ces fondations, ou « bonyad », sous l’autorité directe ou indirecte du Guide suprême, contrôlent l’essentiel de l’économie iranienne. En 2019, le probable futur Président iranien est devenu le chef de l’Autorité judiciaire du pays, porteur des valeurs les plus réactionnaires de l’Islam chiite.
Le guide Khamenei en favorisant l’élection d’Ebrahim Raisi, son ancien élève, cherche à négocier le retour aux Accords de Vienne sur le nucléaire avec les Américains en position de force et sans opposition interne.
Voici sous la plume de Joelle Hazard, spécialiste reconnue, un état des lieux de l’Iran qui serait un pays, selon ses termes, »aussi incompris qu’incompréhensible ». Dans sa chronique, la journaliste décrit le fonctionnement interne de cette République islamique chiite. Le régime iranien dont la volonté expansionniste déstabilise aujourd’hui l’ensemble du Moyen Orient, présenterait pourtant sur le plan interne un bilan qui d’après Joelle Hazard, serait loin d’être négatif.
Nicolas Beau (Mondafrique)
L’Iran est le pays le plus incompris et le plus incompréhensible du monde. Pour qui n’a jamais vécu, ni mis les pieds sur cette terre légendaire de l’ancien Empire perse, il est difficile d’interpréter la conduite, l’expression ou l’action d’une société nourrie de contradictions, et d’un esprit d’ambigüité atavique, hérité en partie du Zoroastrisme.
L’Iran n’est pas un Etat « islamiste » à proprement parler, mais une République islamique chiite qui n’a rien de commun avec les exemples afghans, pakistanais ou soudanais, ni encore moins avec la monarchie islamique saoudienne ; c’est une véritable théocratie constitutionnelle, où le clergé détient le pouvoir au nom d’une suprématie d’ordre divin avec tous les interdits qui s’y rattachent.
Mais le peuple vote. La souveraineté populaire est prise en compte, même si des fraudes d’Etat émaillent les élections comme aux présidentielles de 2009, suivies d’émeutes et d’une répression sévère.
L’Islam chiite est omniprésent à travers les mosquées, les sanctuaires, les manifestations de la foi et de la martyrologie. Les Bonyads – fonds caritatifs qui contrôlent de 11 à 40% du PNB – redistribuent les revenus du pétrole aux populations pauvres et aux familles des martyrs. Les clichés de l’intégrisme musulman sont ostensibles: séparation réglementaire entre les hommes et les femmes dans les autobus, les métros et les trains, port du voile au minimum pour les femmes et obligation du tchador dans les administrations publiques.
Pourtant, les esprits sont libres et les cerveaux puissants et inventifs ; chacun peut ou non pratiquer une religion, croire ou ne pas croire, et les réseaux sociaux sont le théâtre d’une désobéissance civile permanente. Eglises et synagogues ne sont pas légion mais elles existent et fonctionnent. A Ispahan, par exemple, les juifs et chrétiens iraniens se plaignent davantage de l’appauvrissement permanent du pays que des mesures discriminatoires à leur égard : « Nous sommes traités de la même façon que les autres !» autrement dit : ni plus ni mal, avec les mêmes libertés, et surtout les mêmes interdits… »
La montée en puissance des femmes
Les femmes occupent toutes les fonctions de la vie civile, y compris des postes importants de direction, comme à « Iran Air », dirigé par une femme. Le Conseil des Gardiens de la Constitution est là pour remettre de l’ordre dans les candidatures politiques. Sous les mandats de Rohani, trois vice-présidentes ont été nommées, trois femmes sont devenues gouverneures de province, quatorze femmes ont été élues députés, sans compter de nombreuses maires. Ce n’est pas rien dans un Moyen Orient inféodé aux principes restrictifs du rôle des femmes dans la Cité…
Mais les religieux (les Mollahs) n’ont pas le choix, qui, petit à petit ont dû céder du terrain face à cette incroyable lame de fond que constitue l’évolution des femmes en Iran. La majorité des étudiants iraniens sont des femmes. La plupart des Iraniennes sont intellectuellement affranchies de toutes les lois coercitives de la religion à leur égard. Aussi La pauvreté et le chômage, qui touchent d’abord les femmes et les font dépendre davantage des hommes, semblent-ils pour les conservateurs presque comme une bénédiction !
Ebrahim Raisi, un ancien Procureur ultraconservateur
Ebrahim Raisi, qui est le candidat donné comme favori aux élections présidentielles du 18 juin, est obnubilé par la séparation des sexes et par la montée en puissance d’une certaine liberté dans les mœurs. L’élection de cet ancien procureur ultra conservateur, favori du Guide Suprême Ali Khamenei, constitue une garantie de survie pour le régime dans un pays « sonné » à la fois par la pandémie et par les sanctions, qui laminent les classes moyennes.
Si une désescalade militaire devait s’annoncer après d’âpres négociations avec les Etats-Unis sur le nucléaire et pouvait entraîner une levée totale des sanctions, que resterait-il de l’emprise du régime sur un peuple, dont plus de la moitié a moins de 17 ans sachant qu’à peine 10 % de la population (et encore !) serait acquise aux valeurs de la République islamique.
Longtemps, le régime a considéré que seule la guerre pouvait renforcer les convictions des gens en réveillant chez eux le « nationalisme » et le « patriotisme » et que, seule une compétition entre les divers « services de l’état » permettrait de faire progresser la cause nationale. Des institutions révolutionnaires, comme celle des Pasdarans – les tout puissants « Gardiens de la Révolution » – doublent l’Armée ; de son côté, la police rivalise avec les Komiteh.
Ces Pasdarans sont décrétés « terroristes » par l’Amérique de Trump. Ils ont été de tous les combats contre Daech en Syrie et en Irak. L’assassinat du général Souleimani, le chef de la Force Al-Qods, l’unité d’élite des « Gardiens de la révolution » pour les opérations extérieures, comme un vulgaire terroriste, n’a eu pour seul résultat que de convaincre les Iraniens de renforcer le développement de la dissuasion nucléaire.
Le général Souleimani était l’un des héros de la terrible guerre de 8 ans avec l’Irak. OR l’Iranien garde chevillées au corps la culture du sacrifice et la hantise de l’invasion! Cette guerre, déclarée contre l’Iran en 1980 par Saddam Hussein avec le soutien monde arabe et de l’occident, demeure, depuis quarante ans ans, l’obsession de tout un peuple, y compris de ceux qui détestent le « système ». Personne n’oublie les enfants martyrs envoyés au combat, les villes en ruine, les villages gazés, les tranchées macabres, un million et demi de morts et trois millions de blessés.
C’est la raison pour laquelle la communauté internationale (y compris la Chine et la Russie) redoutent que la dissuasion nucléaire ne soit devenue pour le régime iranien, qui s’en défend, l’enjeu le plus important de sa politique de défense ! Et c’est pourquoi la relance de l’Accord de Vienne est particulièrement cruciale, non seulement pour le pays mais aussi pour l’ensemble du Moyen-Orient.
L’Ayatollah Khamenei, « des actions, pas des promesses !»
Ce que les dirigeants iraniens veulent avant tout est la levée des sanctions : « des actions, pas des promesses !», comme il l’a déclaré le Guide, l’Ayatollah Khamenei. Depuis 2018, L’effondrement des prix du pétrole, aggravé par l’interruption des exportations pétrolières, a rendu l’Iran totalement exsangue. Ce n’est pas de gaité de cœur que le pays s’est tourné vers la Chine pour pouvoir survivre en négociant son pétrole au rabais. Pour relancer la machine économique et sortir de son isolement, les représentants de Téhéran devront âprement se battre et se débattre. Ils ont commencé à le faire avec la nouvelle administration américaine, dit-on avec succès ! Mais sans, pour autant, que le pays baisse sa garde. L’Iran va jusqu’à multiplier les provocations pour impressionner l’adversaire, comme en témoigne la prétendue présence au milieu de l’Océan Atlantique de deux navires iraniens chargés d’armes à destination du Venezuela !
L’AIEA reste préoccupée par trois sites nucléaires non déclarés, où des traces d’uranium transformé auraient été détectées. Le président Biden ne tient pas à se laisser duper par L’Iran, même si il ne partage pas le jugement à l’emporte-pièce de Donald Trump qui considérait l’Accord de Vienne comme « le pire accord que les Etats- Unis ait jamais signé, qui pourrait déclencher un holocauste nucléaire ». Mais le président démocrate veut aujourd’hui de solides garanties pour répondre aux exigences et aux craintes de la région toute entière.
Des élections iraniennes sans surprise, mais pour le reste rien n’est joué. Les discussions déjà engagées avec les Etats-Unis pourraient aboutir, quitte à ce que le processus en soit long et délicat. En revanche, la République d’Iran et le royaume d’Arabie Saoudite pourraient bien retrouver enfin des relations apaisées.