Les zébus kenyans n’ont pas peur des antennes Huawei

Environ 70% des stations 4G du continent sont fournies par Huawei, acteur incontournable en Afrique depuis son arrivée au Kenya en 1998.

Une chronique de Nikolai Beckers, ex directeur général d’Ooredoo Algérie en 2019 et 2020.

La muraille anti-Huawei dressée par l’Europe pour se protéger du géant chinois suspect d’espionnage présente plusieurs brèches de taille. L’une d’elle a consisté à protéger les vaches européennes du danger supposé que représente les antennes 5G venues de Shenzen, tout en laissant les zébus africains paître en toute tranquillité à l’ombre de ces dernières. 

Principal partenaire commercial de nombreux pays africains, dont l’Afrique du Sud, et contributeur clé dans le financement des infrastructures locales, Pékin a su ouvrir de larges voies à son influence dans la région. Les généreuses lignes de crédit proposées par les banques chinoises participent également du succès de Huawei, qui, contrairement à ses concurrents européens, arrive sur place avec des solutions de financement clé en main. Déjà premier partenaire des opérateur locaux dans le déploiement de la fibre, le mastodonte chinois compte sur l’arme de la 5G pour remporter, à terme, la bataille mondiale face aux Occidentaux. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la toute récente déclaration de Philippe Wang, vice-président exécutif de Huawei Northern Africa, affirmant que « pour gravir plus vite les échelons chez Huawei, il faut passer par l’Afrique »[1].

Seule vache parmi les zébus

Appliquant au capitalisme les préceptes de « l’art de la guerre » de Sun Tsu, Huawei évite l’affrontement sur leur terrain avec ses opposants et mise sur une stratégie de contournement. Puisqu’il voit sa route barrée par les choix politiques des Etats-Unis et de l’Europe, le groupe joue la carte des pays émergents et de l’effet de masse que représentent les millions de consommateurs de ces pays pour gagner la bataille du nombre. En Afrique du sud, il offre ainsi des formations aux étudiants dans les universités les plus prestigieuses du pays et a lancé il y a deux ans un programme de cours spécialisés sur la 5G[2].

Face au rouleau compresseur chinois, l’Europe avance en ordre dispersé. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas à son actif quelques belles victoires. En accompagnant l’Union africaine des télécommunications dans son projet de recommandation concernant les fréquences du spectre d’ondes hertziennes, le suédois Eriksson s’est imposé comme un interlocuteur privilégié des régulateurs et des opérateurs historiques, ce qui peut faciliter l’adoption de sa technologie, notamment concernant le très concurrentiel segment de la 5G[3]. Miser sur le soft power pour gagner influence et parts de marché à l’étranger : une stratégie qui s’est souvent avérée plus efficace que de dresser des barrières à l’entrée sur son propre territoire, avec le risque de se retrouver un jour bien isolé, seule vache parmi les zébus.

Nikolai Beckers est un dirigeant d’entreprise présentant 25 ans d’expérience des télécoms, des services IT (mobile, solutions de convergence, VoIP, triple-play, haut débit filaire et hertzien, FTTH), de l’Internet et des nouveaux médias (publicité interactive, industrie 4.0), de l’externalisation des SI et des services financiers.

La plupart de sa carrière s’est déroulée à des fonctions de direction dans des pays émergents (Asie, Moyen-Orient, Afrique, Europe de l’Est).

Son approche de ces métiers repose sur une expérience très opérationnelle de la restructuration d’activités conjuguée avec une vision du futur des télécommunications centrée sur l’humain.

[1] https://afrique.latribune.fr/africa-tech/2021-04-02/malgre-la-crise-huawei-maintient-son-rythme-de-croisiere-en-afrique-881509.html

[2] https://www.capital.fr/economie-politique/boude-par-certains-pays-occidentaux-huawei-continue-a-seduire-lafrique-1340809

[3] https://afrimag.net/afrique-ericsson-prend-longueur-davance-sur-huawei/