Algérie, un peuple millénaire face au charabia de la Constitution

La nouvelle mouture de la Constitution algérienne, rédigée en charabia tant en français qu’en arabe révèle que la mauvaise langue est à la hauteur du dessein.

« Les juristes et les érudits dans les deux langues de rédaction du projet de modification de la Constitution s’accordent à dire que ses deux versions n’ont pas été suffisamment épurées des vices de formulation qu’elles recèlent. La version en langue arabe est plus défectueuse que celle en langue française. » Apprend-t-on de Hamimi Merzoug, de l’université de Constantine (Algérie1.com). Il ajoute à propos de la traduction en langue arabe qu’elle aurait été  : « (…) faite à la hâte par un traducteur improvisé manquant manifestement de compétence, cette dernière nous a été présentée infestée de distorsions graves de concordance entre l’énoncé en langue source et son correspondant d’arrivée.»

Constitution : le retour du refoulé

Autrement dit, les scripts, les juristes que l’état algérien de 2016 a choisis pour réviser la Constitution, écrire ses amendements, ne maîtrisent ni la langue arabe, ni la langue française, ni la traduction. Espérons qu’ils seront meilleurs en tamazight, langue désormais promue par amendement deuxième langue officielle. Dans ces amendements en déclarant, enfin, la langue amazigh comme langue nationale les décideurs par cette reconnaissance symbolique honorent la mémoire de tous ces militants berbérophones, essentiellement Kabyles, qui depuis des générations ont porté cette revendication comme une richesse nationale.

De manière symbolique ils rendent justice aux derniers sacrifiés de ce combat, à tous ces jeunes garçons dont la vie a été écrabouillée par des grenades lacrymogènes tirées à bout portant par des gendarmes laissant sur ce champ de bataille inégal plus d’une centaine de morts dans les rues de Kabylie, les champs d’oliviers lors du funeste printemps dit noir, en 2001 et quelques milliers de blessés qui portent encore cette déchirure dans leurs corps mutilés.

Mais du symbole à la justice le temps sera long. Comme restera long le temps de la réalisation de cet amendement renvoyé à une loi organique qui n’en doutons pas va soulever plus de questions qu’elle n’en résoudra comme l’écrit Yassine Temlali, journaliste et essayiste sans doute le plus brillant et le plus novateur de sa génération sur les questions de l’identité berbère : « Beaucoup d’Algériennes et d’Algériens s’interrogent déjà : l’officialisation de tamazight signifiera-t-elle l’amazighisation de l’administration et de la justice, etc. ? Et si oui, cette amazighisation concernera-t-elle les seules régions berbérophones ou bien l’ensemble du territoire ? Ces interrogations malheureusement, ne peuvent recevoir de réponse dans l’immédiat, aucun texte juridique ne définissant ce que c’est précisément qu’une langue officielle. »

Et le tout est ainsi, plus qu’une Constitution ces amendements se déroulent comme un retour du refoulé, un catalogue des échecs et des résistances auxquels est confronté un régime en crise de légitimité.

En attendant nous voilà dotés d’une deuxième langue officielle. Il faut dire « deuxième », même si dans la réalité elle est la troisième, puisque dans sa version originale la Constitution et ses nouveaux amendements sont écrits en langue française, la langue invisible de l’état algérien. Mais de là à reconnaître à la langue française le statut de langue officielle autant demander à ceux qui nous gouvernent de faire sauter les murs idéologiques derrière lesquels ils tentent encore de se camoufler en dépit de leurs énormes fissures.La faiblesse de leur langue est à la hauteur du dessein, petit et mesquin. Les rajouts au préambule en sont l’illustration.

S’amuser à lire ces amendements rajoutés de ci de là au préambule de la Constitution, c’est comme voyager dans l’inconscient de ceux qui nous gouvernent enfermés dans la matrice idéologique du parti unique et de son bras armé.

Si le peuple algérien est désormais promu en préambule « mille fois millénaire », il a été également ajouté : « sous la conduite du Front de Libération Nationale et de l’Armée de Libération Nationale, le peuple algérien a restauré dans toute sa plénitude, un Etat moderne et souverain.»

Bien que mille fois millénaire que serait le peuple algérien sans le FLN et l’ALN, chauffeur légitimé ainsi pour l’éternité de la patrie ?

L’imposture du FLN

Mais pourrait-on demander de quel FLN s’agit-il ? Le FLN historique ou celui de A. Saadani ? On pourrait également demander de quelle ALN s’agit-il ? Celle de l’intérieur ou celle des frontières ? Celle qui nous tire dessus et qui se déchire aujourd’hui ou celle d’hier ?

D’autant plus que le FLN actuel dirigé par A. Saadani s’est définitivement privé de toute filiation avec le FLN historique. En laissant sans réagir son Secrétaire Général déclarer, « La France nous a donné l’indépendance », et se balader entre Alger et Paris avec sa carte de résidence française, ce n’est pas seulement la réécriture du récit national qu’il autorise- une réécriture qui il y a à peine quelques années aurait valu à son auteur le titre de traître « au sang d’un million et demi de martyrs » et son bannissement du FLN- mais c’est toute son idéologie nationaliste qui irrigue l’Algérie postindépendance qui se retrouve sans parti, ni patrie.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces usurpations de sigles historiques, mais un préambule n’étant pas un cours d’histoire, le texte fondamental de l’Algérie indépendante gagnerait à s’alléger de ces légitimités exclusives à la lumière de l’histoire d’un peuple « plusieurs fois millénaire. »

Un peuple qui a bon dos. Si pour le gouverner il a besoin du FLN et de l’ALN pour le reste il est le seul responsable de ses tragédies. C’est ce que suggère cet autre rajout : « Cependant, le peuple algérien a été confronté à une véritable tragédie nationale qui a mis en danger la survie de la Patrie. C’est en puisant dans sa foi et son attachement inébranlable à son unité, qu’il a souverainement décidé de mettre en œuvre une politique de paix et de réconciliation nationale qui a donné ses fruits et qu’il entend préserver. »

Tragédie politique

D’abord on peut se demander : qu’est-ce que vient faire la loi sur la Réconciliation nationale dans un préambule constitutionnel  à moins de rajouter un amendement toutes les décennies noires?

Ensuite, ce style ampoulé digne de la Corée du Nord permet aux chauffeurs de la patrie de se dégager de toute responsabilité. La tragédie c’est comme une malédiction, on ne sait jamais d’où elle vient, elle tombe comme ça sur un peuple, un beau matin, Allah Ghaleb, il ne lui reste plus qu’à puiser dans sa foi et à ramasser les fruits pourris. Qu’est-ce que la responsabilité politique face à la tragédie ?

Et, s’ils ne savent ni écrire la langue française et encore moins la langue arabe, ni même compter c’est qu’ils n’ont rien à dire de limpide tant ils sont prisonniers de leurs mensonges et de leur propagande. Ils sont à la fois dangereux et pathétiques, sans courage devant l’histoire ils se servent du peuple pour lui faire porter leurs échecs et essuyer sur son dos leurs couteaux pleins de son sang.