Chantre de la « diplomatie économique » qu’il désigne comme une priorité, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a fait du marché l’instrument de puissance privilégié de la France en Afrique. En plaçant à des postes clés ses nombreuses connaissances liées au monde des affaires à Paris et sur le continent africain, il impose ses orientations politiques. Parfois contre l’avis de l’Elysée
Avant que les guerres au Mali et en Centrafrique ne scellent le triomphe de l’interventionnisme militaire, Laurent Fabius avait imaginé un tout autre scénario pour l’Afrique lors de sa nomination au ministère des affaires étrangères.
L’ami des « swahilistes »
Peu passionné par l’Afrique francophone, le ministre compte à l’époque mettre à jour le logiciel de la diplomatie française obsédée par son éternel pré-carré d’Afrique de l’ouest. Au Quai d’Orsay, il s’entoure d’une trentaine de diplomates « swahilistes », du nom de la langue « swahili » pratiquée dans une grande partie de l’Afrique orientale. Très en phase avec le secteur privé, ces haut fonctionnaires qui ont les faveurs de Fabius préfèrent le dynamisme économique des pays d’Afrique anglophone. Pour eux, comme pour le ministre, le curseur de la diplomatie française doit être déplacé vers cette zone prometteuse pour les investissements français. Mais le déploiement des forces françaises au Mali puis en Centrafrique force le locataire du Quai d’Orsay à mettre de côté ses ambitions pour un temps. L’Afrique francophone restera la priorité de la France et Laurent Fabius doit ressortir ses vieux carnets d’adresse. De son expérience auprès des swahilistes, il gardera l’intime conviction que l’économie est le meilleur instrument d’influence à l’international.
Who’s who parisien
En France, il place ses proches sur d’importants dossiers liés notamment aux rapports économiques franco-africains. Premier de la liste, Lionel Zinsou, l’un des auteurs des propositions du « rapport Védrine » destiné à permettre à la France de reconquérir les marchés du continent. Très introduit dans le milieu des affaires en Afrique de l’ouest, ce banquier franco-béninois fut conseiller de Laurent Fabius lorsqu’il était premier ministre de François Mitterrand de 1984 à 1986.
Le rapport fait également apparaître le nom d’Hakim El Karaoui, ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin devenu soutien de Ségolène Royal. Ce consultant franco-tunisien fut directeur en charge de l’Afrique du Nord et de l’Ouest à la banque Rothschild où Fabius cultive de vieilles amitiés. Un poste qu’il doit justement à l’entremise de Lionel Zinsou… Laurent Fabius sera par ailleurs l’un des invités de marque du club du XXIème siècle fondé et présidé par El-Karaoui jusqu’en 2010. Cette institution organise des rencontres régulières entre les décideurs français et des banquiers, hauts fonctionnaires et chefs d’entreprises originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne. Le réseau africain de Fabius prend corps.
Le remaniement ministériel d’avril dernier lui donne un grand coup d’accélérateur. A cette occasion, le Quai d’Orsay élargit son périmètre de compétences en intégrant le Commerce extérieur et le Tourisme. Dans la foulée, Laurent Fabius, annonce faire de la « diplomatie économique » une priorité et se met immédiatement à l’ouvrage. Courant avril, Claude Périou, chiraquien de longue date et patron depuis 2012 de « Proparco », filiale de l’Agence française de développement pour l’appui au secteur privé, reçoit un coup de fil du cabinet du ministre. Celui-ci lui recommande de se rapprocher de Patrick Ponsolle, figure emblématique, comme El-Karaoui, de la banque Rothschild dont il est le vice-président Europe depuis 2011. Issu de la même promotion de l’ENA que Fabius dont il fut le directeur de cabinet adjoint au Budget de 1981 à 1983, Ponsolle intègre le conseil d’administration de Proparco avec un statut d’observateur. Le jeu en vaut la chandelle. A elle seule, la filiale brasse la coquette somme d’1,5 milliards d’euros par an.
Fabius, l’Africain
A l’étranger aussi le ministre des affaires étrangères avance ses pions.
Dans le chaos centrafricain, Laurent Fabius fait la pluie et le beau temps en imposant ses choix aux commandes de l’exécutif. Après la démission de l’ex-président Michel Djotodia, il soutient la candidature de Catherine Samba-Panza à la tête du pays. A l’époque pourtant, l’Elysée a un autre candidat dans la poche, Karim Meckassoua, un musulman réputé intègre, ancien compagnon de route de l’ex-président François Bozizé dont il s’était éloigné ces derniers temps. Meckassoua était également soutenu par le président congolais Sassou Nguesso qui avait promis d’aider à payer les fonctionnaires centrafricains si son poulain était choisi. Laurent Fabius en a décidé autrement : Catherine Samba-Panza prend les rênes du pays en janvier 2014. Quatre mois plus tard, l’action de la présidente est un échec. Les violences intercommunautaires continuent d’enflammer le pays et les élections présidentielles prévues pour février 2015 risquent d’être reportées.
Plus discrètement, le choix du premier ministre centrafricain André Nzapayéké, technocrate issu du milieu bancaire, s’est effectué à la demande de la direction générale du Trésor français. Or, toujours à l’issue du dernier remaniement ministériel, cette « DG » est passée sous tutelle du ministère des affaires étrangères pour les affaires relevant du Commerce extérieur. Difficile dans ces conditions de ne pas voir la main de Fabius derrière la nomination de Nzapayéké comme premier ministre, d’autant que rien ne le prédestinait à ce poste. Ancien de la Banque africaine de développement (BAD) et vice-président de la Banque de développement des États de l’Afrique de 2012 à 2014, l’homme se distingue par une carrière internationale très éloignée des cercles politiques centrafricains. « On peut douter des compétences d’une personnalité liée à la diaspora et au monde des affaires à régler une crise sécuritaire de cette ampleur » note Jean Willibéro Sako, candidat aux présidentielles centrafricaines de passage à Paris. Dans la capitale Bangui, les ministres nommés par Nzapayéké accusés d’imcompétence sont aujourd’hui sous le feu des critiques. Quant aux relations avec Catherine Samba-Panza, elles sont au plus mal. Les frictions sont nombreuses et la présidente n’a pas hésité à contester publiquement à plusieurs reprises l’autorité du chef de gouvernement.
Avant la désignation de Nzapayéké, de nombreux responsables français avaient pourtant avancé d’autres noms. Le président congolais Sassou Nguesso avait également à nouveau milité pour la candidature de Karim Meckassoua. En vain. En Centrafrique, Laurent Fabius reste maître du jeu. Est-ce un hasard si son fils Thomas aperçu en boîte de nuit à Bangui, est soupçonné d’y faire de affaires dans le commerce de diamants ?