Arrivé à la tête du Rwanda en 2000, Paul Kagamé, qui reçoit ce jeudi le président français, Emmanuel Macron, , dirige son pays d’une main de fer. Ce qui n’empêche pas à cet ancien maquisard d’être une figure incontournable de la scène diplomatique africaine, un interlocuteur privilégié aujourd’hui par la diplomatie française.
Janvier 2017, Addis-Abeba, Ethiopie. Après un profond examen de conscience, les chefs d’Etat africains réunis pour le 28 ème sommet de l’Union africaine, conviennent de la transformer. Mais le plus difficile n’est pas tant cette décision inédite que trouver un pilote pour conduire les réformes. Dans le huis-clos des discussions du 28 ème de l’organisation panafricaine, les regards ne se tournent ni vers l’Afrique du Sud, ni vers le Nigeria, encore moins vers l’Algérie et l’Egypte, les principales puissances continentales. C’est à Paul Kagamé, président du Rwanda, petit Etat de 26 338 km 2 et environ 12 millions d’habitants, que sera confié l’épineux dossier de la réforme de l’Union africaine.
Par petites touches, l’ancien maquisard est devenu un des chefs d’Etat africains le plus incontournables sur la scène continentale. Il rompt brutalement avec l’Ougandais Yuweri Musevi qui l’a aidé à arriver au pouvoir, impose au Congolais Félix Tshisékedi de réconcilier la République démocratique du Congo (RDC) avec le Rwanda. Paul Kagamé se projette plus loin de ses terres pour devenir un acteur incontournable de la crise centrafricaine. Jouant sur le même pied d’égalité que la Russie, Kagamé assure la sécurité personnelle du président centrafricain Archange Faustin Touadéra. Son armée participe directement aux côtés des forces armées centrafricaines (FACA) à l’offensive militaire contre les rebelles de la coalition des patriotes pour le changement (CPC)
Donnant donnant avec Macron
A des milliers de kilomètres de Kigali, la capitale rwandaise, lorsque le président français Emmanuel Macron décide de trouver en 2019 un successeur à la Canadienne Michaëlle Jean à la tête de la Francophonie, il porte, contre toute logique, son choix Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Derrière cette option irrationnelle, apparaissait la volonté du président français de faire un clin d’œil à Kagamé qui n’a jamais fait de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) sa tasse de thé. Il a même préféré à la Francophonie le Commonwealth qui tiendra prochainement son sommet à Kigali.
Comme pour la présidence du comité des réformes de l’UA, Kagamé n’était pas demandeur, Macron est venu le chercher. Le président français a besoin de la confiance ce chef d’Etat africain, de 63 ans, crédité d’excellents résultats en matière de gouvernement et de développement, comme caution à sa nouvelle politique africaine. En plus, Kagamé n’appartient pas à l’ancien pré-carré. De ses années de maquis, le président rwandais a gardé la stratégie du rapport de forces permanent. Il a compris que Macron avait besoin de lui : il joue donc le jeu mais sans rien céder avant que la France ait reconnu sa lourde responsabilité dans le génocide de 1994. Ce que Kagamé obtient finalement avec le rapport Duclert commandé par Emmanuel Macron. Mais même là, pas question pour l’ancien maquisard de tout céder. Il garde encore des fers au feux et obtient que le président français se rende, probablement, à la fin du mois de mai à Kigali. Depuis l’installation de Macron à l’Elysée, Kagamé a effectué deux visites de travail en France. Il a obtenu de la France tout ce qu’il voulait de l’abandon des poursuites contre ses proches accusés par la justice française d’avoir abattu en avril 1994 l’avion du président Habyarimana à la nomination prochaine d’un ambassadeur de France à Kigali, avec l’agrément du Rwanda, en passant les poursuites contre des génocidaires présumés réfugiés en sur le territoire français.
L’ambivalence de l’Occident
De son passage dans les services de renseignement ougandais qu’il a servis jusqu’au poste de directeur adjoint, Kagamé a gardé le goût du cynisme et de l’efficacité. Au Rwanda, les opposants sont persécutés, arrêtés et jetés en prison. Certains, comme le chanteur Kizito Mihogo, peuvent même mourir dans les lieux de détention. D’autres opposants ont été tués sur leur lieux d’exil. L’ancien chef des renseignements rwandais Patrick Karegaya a fait les frais de cette politique de liquidation en se faisant tué en 2014 dans sa chambre d’hôtel à Johannesburg. « Les traites doivent payer », avait assumé Paul Kagamé lorsqu’il avait été interrogé sur cette politique d’élimination des opposants.
Très vivement critiqué pour la répression brutale de toute contestation politique et l’absence d’alternance politique au Rwanda qu’il dirige depuis 2000 et qu’il pourra diriger jusqu’en 2034, Paul Kagamé est célébré par l’Occident pour ses résultats en matière de gouvernance, de développement, d’égalité de genre et de digitalisation. Le Rwanda est un rare pays africain à avoir éradiqué la corruption. Les actes administratifs (acte de naissance, de mariage, de décès…) peuvent être obtenus dans ce pays par les citoyens directement sur internet. Le pays a mis en place une des meilleures ripostes nationales à la pandémie de Covid-19. Kigali accueille l’Institut africain des sciences mathématiques, une des meilleurs centres d’excellence africains en sciences et technologies. Certains journalistes acquis à la cause des Tutsis pendant la guerre civile rwandaise sont devenus des inconditionnels de Paul Kagame et passent leurs vacances au Rwanda qu’ils décrivent à leurs proches comme un oasis privilégié.
Artisan du succès d’un pays sorti exsangue d’un génocide qui a fait entre huit cent mille et un million de morts, Paul Kagamé affiche le double visage d’un despote au service du bien-être de son pays. Ce qui en fait un modèle controversé sur un continent où le cas de réussite en matière de gouvernance sont plutôt rares.