Le coup KO promis par Mohamed Bazoum, candidat du pouvoir à l’élection présidentielle du Niger, a finalement échoué. Avec 39,33% des suffrages exprimés valables, En tête de la course au 2e tour, prévu le 21 février prochain, il devra courir un marathon avec la meute de ses poursuivants.
Il sera opposé à Mahamane Ousmane, avec qui il partage le fief de la frondeuse Zinder. Ousmane enregistre 16,99%, soit un point de plus que la somme des voix exprimées en faveur de son petit parti, le RDR Tchanji, et du parti Moden Fa Lumana aux législatives qui ont eu lieu le même jour que le premier tour de la présidentielle, le 27 décembre.
Invalidé à la présidentielle, le chef de file de l’opposition et leader du Lumana Hama Amadou, qui avait battu campagne en prison en 2016, avait appelé à voter pour celui qui fut, en 1993, le premier Président démocratiquement élu du Niger. Les deux hommes ont géré le pouvoir ensemble, dans le cadre d’une solide alliance, pendant les deux mandats du Président Mamadou Tandja. A noter, le report des voix des électeurs lumanistes semble avoir parfaitement opéré.
Derrière eux, l’ancien parti Etat, le Mouvement National pour la Société du Développement (MNSD), conserve sa place de 3e,, avec 8,95%, tandis qu’Albadé Abouba, transfuge du MNSD ayant rejoint le paquebot rose au deuxième mandat avec son propre parti, se hisse à 7,07% des voix. En 5e position, le jeune parti Kiishin Kasha d’Ibrahim Yacoubou, ex ministre du Président Mahamadou Issoufou résolument rangé à l’opposition, consolide son leadership à Dogondoutchi mais plafonne nationalement à 5,38%. Le général Salou Djibo, qui remit le pouvoir au parti rose lors des élections de 2011, enregistre 2,99% et plusieurs autres candidats, figures politiques nationales, s’étirent entre 1 et moins de 2,5%.
Un scrutin entaché par la fraude
Malheureusement, les scrutins de 2020, malgré un fichier biométrique et une CENI permanente supposés garantir des élections exemplaires, font l’objet de très nombreuses critiques, à l’image de la présidentielle et législative de 2016.
L’impréparation a généré des retards dans l’arrivée du matériel électoral et de très nombreux bulletins nuls, faute d’une bonne formation des membres de bureaux de vote et des électeurs sur les bulletins uniques, les spécimens ayant été livrés à la dernière minute.
Curieusement, et à l’inverse de tous les scrutins passés, c’est dans les zones rurales que les électeurs ont voté le plus et le mieux, comprenant mieux que leurs cousins des villes le bon usage du bulletin unique. Certains y voient l’indice de fraudes massives, plus faciles à perpétrer loin des regards.
« Nous ne sommes pas en Colombie »
Des dizaines de vidéos circulent sur les réseaux sociaux montrant des bourrages d’urnes en brousse, des hommes et des femmes manipulant et comptant des dizaines de millions de francs CFA en liasses serrées de 10 000 francs CFA (15 euros), des citoyens protestant contre l’impossibilité de voter, des femmes vendant leurs cartes d’électeur moyennant des billets de 2000 francs (3 euros). Des cartes d’électeurs déposées auprès des chefs de quartier ont été remises à d’autres personnes que leurs titulaires, empêchés de voter. Tous ces incidents vont faire l’objet de recours en annulation auprès de la Cour Constitutionnelle. Avec peu d’espoir d’aboutir cependant, la Haute juridiction étant accusée par beaucoup d’acteurs politiques d’être à la solde du parti au pouvoir.
C’est en zone pastorale que les incidents les plus graves ont été enregistrés, et particulièrement dans le nord de la région de Tahoua, fief du Président sortant. Dans certaines communes de la zone, les taux de participation dépassent les 90 et même les 98% (Abalak, Tassara, Tillia). De nombreux militants des concurrents du parti rose au pouvoir ont témoigné de ces pratiques au lendemain du scrutin.
L’ancien ministre de l’Intérieur de Mahamadou Tandja Mamadou, Albadé Abouba, lui-même originaire de cette région a dénoncé, dans une rare sortie publique, « des pratiques d’un autre âge qu’il faut bannir. »
« Nous ne sommes pas en Colombie ! », s’est-il exclamé, exaspéré. « Nous sommes dans un pays sensé être démocratique et nous ne pouvons pas accepter que des groupes de personnes s’évertuent à entacher nos élections par des pratiques qui sont inacceptables : des enlèvements des urnes, des braquages de véhicules, des trafics de documents électoraux fabriqués en quantité, des achats de conscience à grande échelle. Ce pays a besoin de sa stabilité et de la cohésion de tous ses fils. Le Niger a besoin d’avoir des institutions solides à l’endroit desquelles l’ensemble du peuple a confiance. »
Mouvements vers le 2e tour
Si le scrutin a bénéficié d’un grand engouement dans tout le pays, il en a été de même du dépouillement. Beaucoup d’électeurs sont restés dans les bureaux de vote observer les opérations de dépouillement, surtout dans les centres urbains.
Mais compilés par commune et faute de publication par bureau de vote, les résultats ne peuvent toujours pas être confrontés aux procès-verbaux en possession des partis politiques. La CENI continue de jouir d’une grande marge de manœuvre en son sein.
Les résultats globaux provisoires n’ont d’ailleurs été publiés que samedi, près d’une semaine après l’élection.
Dans la foulée, Salou Djibo, Seyni Omar et Albadé Abouba ont annoncé la création d’une nouvelle alliance électorale « ouverte à tous les partis épris de paix, de justice et de progrès au Niger (…) dans un contexte électoral marqué par de vraies inquiétudes sur la partialité des organes et institutions en charge du processus électoral. »
Les trois partis, jusqu’ici classés soit dans la majorité soit parmi les non affiliés, réclament « l’organisation d’élections libres, transparentes et dans le respect de la loi. » Ils sont tous trois à l’origine d’un recours portant sur la validité de la candidature de Mohamed Bazoum déposé auprès de la Cour Constitutionnelle dans la dernière ligne droite des élections, recours rejeté par la Cour suprême.
L’opposition, rassemblée au sein de la Coalition pour une Alternance Politique CAP 20-21, a pour sa part écrit au président de la CENI le 31 décembre pour déplorer la « gestion des opérations électorales locales et surtout législatives et présidentielles qui ont mis en évidence des dysfonctionnements et des lacunes graves dépassant de loin nos appréhensions. » Elle a fait enregistrer les noms de ses nouveaux représentants à la CENI.
Plus de 69,67% des 7 446 556 électeurs nigériens se sont déplacés pour voter, d’après les chiffres officiels.