Un entretien avec le malien Moussa Mara

Premier ministre du Mali pendant neuf mois de 2014 à 2015, et président du parti « Yelema » (« le changement » en Bambara) qu’il a créé en 2010, Moussa Mara s’est imposé, à seulement 42 ans, comme l’une des figures incontournables du paysage politique malien. Ancien maire de la commune IV de Bamako, cet expert-comptable réputé fougueux depuis sa visite à Kidal en mai 2014 qui avait ranimé les hostilités entre l’armée malienne et les rebelles du nord, brigue désormais la mairie de la capitale malienne.

Soucieux d’entretenir son image d’homme pieu, arborant tenue traditionnelle et bouc soigneusement taillé, il arpente, depuis plusieurs mois, les mosquées de la capitale à la recherche de nouveaux soutiens. Un début de campagne aux accents de mise en bouche en vue des prochaines présidentielles.

Dans un entretien à Mondafrique, il livre son analyse sur la situation actuelle du pays alors que l’accord de paix signé en juin dernier est loin d’être appliqué et que la menace terroriste demeure très préoccupante.

Mondafrique. La mise en place de l’accord de paix inter-malien signé le 20 juin dernier piétine, donnant l’impression que des acteurs de la négociation cherchent à le faire échouer. Comment interprétez-vous ces difficultés ?

Moussa Mara. Cet accord n’est pas seulement un accord de paix mais un document refondateur de l’État malien. Ce dernier est plus proche des populations, plus ouvert à la gestion des diversités humaines et territoriales de notre pays. Ce qui ne plait pas à tout le monde. Certains signataires de l’accord feront tout pour qu’il déraille.

D’abord au niveau des groupes armés, de nombreux responsables qui vivent de l’insécurité et des trafics qui lui sont liés n’ont pas d’intérêt à la paix. Partie prenante du dispositif, ils tenteront de le faire échouer. Ensuite au niveau de l’État malien lui-même, certains hauts responsables ne voient pas d’un bon œil la décentralisation réelle du pays car elle est synonyme de perte de pouvoir et donc d’influence.

La conjonction de ces facteurs empêche d’assurer efficacement la sécurité des populations et retarde l’adoption des réformes indispensables à la mise en œuvre de l’accord de paix.

M. Des responsables politiques français dont le premier ministre Manuel Valls s’inquiètent d’une montée du wahhabisme au Mali et dans la sous-région. On vous dit proche de certaines grandes figures religieuses dont l’imam Mahmoud Dicko connu pour ses positions conservatrices. Selon vous, quelle place doit occuper la religion dans la vie politique du pays ?

M.M. Je suis proche de tous les leaders religieux et de tous les courants religieux du Mali, y compris des chrétiens. Je suis l’un des seuls responsables politiques du pays, si ce n’est le seul, à avoir des contacts réguliers avec tous les évêques du Mali ! J’ai le même contact avec tous les leaders religieux musulmans, quel que soit leur camp supposé. Je suis un musulman pratiquant et je ne l’ai jamais caché. Je reste convaincu que la religion est cardinale dans la vie d’un individu et qu’elle constitue un facteur important d’harmonie sociale. C’est pourquoi il est vain de vouloir chasser la religion de la vie publique.

La laïcité doit être bien comprise, elle n’est pas synonyme d’anti religieux comme certains veulent le laisser penser mais de maintien de l’Etat à équidistance de toutes les religions, de non interférence des principes religieux dans le fonctionnement étatique et de liberté absolue de culte des citoyens. Autant de principes auxquels je crois et qui ne sont pas remis en cause au Mali. Nous devons tous travailler à ce que cela reste le cas.

Enfin, pour garantir la laïcité de l’État et la non interférence du religieux dans la politique, il est souhaitable que les leaders politiques aient une conduite exemplaire et travaillent véritablement dans l’intérêt des populations. Sans cela, ces dernières examineront d’autres possibilités dont la religion politique.

M. Votre visite à Kidal, en mai 2014, avait remis le feu aux poudres entre l’armée malienne et les rebelles, donnant le sentiment que Bamako se refusait à toute solution fédérale ou d’autonomie pour le nord. Pourquoi avoir pris cette décision à l’époque ? A travers leurs liens avec le « Gatia » et d’autre groupes pro-Bamako, les autorités maliennes donnent le sentiment de ne toujours pas vouloir faire de concession.

M.M. Tous les régimes qui se sont succédés au Mali ont été ouverts au dialogue et à la paix. Tout le monde est conscient que l’on ne résoudra pas une question politique et sociale par des moyens militaires. Par le passé, de nombreux textes d’entente ont été signés.

La question de GATIA n’a pas grand-chose à voir avec la volonté de l’État de faire la guerre. La constitution de cette organisation est le fruit d’une réaction d’auto défense d’une des communautés tamashek (touarègue). Elle n’est pas une création du gouvernement.

M. Pourtant, il y a une convergence d’intérêts entre Bamako et ces groupes qui défendent la préservation de l’intégrité du territoire.

M.M. Oui mais cela n’est pas synonyme de machination de l’Etat. En outre, aujourd’hui, le Gatia et d’autres groupes de la plateforme collaborent très bien avec les groupes armés indépendantistes de la CMA, ce qui prouve bien leur liberté par rapport au pouvoir central.

Dans la même veine, il ne faut pas voir dans mon déplacement au Nord une volonté de provocation ou un désir de rouvrir les hostilités à ce moment. Je suis allé à Kidal pour m’assurer que l’administration dans cette partie du pays disposait des moyens pour accomplir sa mission au service des kidalois qui sont des maliens comme les autres. Ce sont les groupes armés qui ont attaqué ma délégation, bombardé le gouvernorat, tué de sang-froid des agents de l’État. Il faut remettre les choses à leur place.

Maintenant pour faire la paix et sortir définitivement des rebellions récurrentes il faut réformer l’État en profondeur comme l’accord inter-malien le prévoit. Il faut également que les autorités maliennes, appuyées par la communauté internationale, s’organisent pour mettre de côté tous ceux qui font de la question du nord un fond de commerce et qui attisent les divisions.

M. La situation sécuritaire reste très précaire au Mali avec la présence de groupes terroristes au nord et l’émergence récente de nouvelles franchises djihadistes dans le centre du pays. Comment voyez-vous la situation ? Quelle influence exerce encore le puissant chef d’Ansar Eddine, Iyad Ag Ghali ?

M.M. Iyad, comme tous les profiteurs de la crise, demeure un handicap certain à la paix et à la sécurité dans notre pays. Il s’est radicalisé et s’est lui-même exclu des processus de paix et de réconciliation. Comme tous les terroristes il doit être combattu et cela prendra du temps. Mais il faut le faire par étapes.

Les efforts doivent d’abord être mis sur le processus de réconciliation pour mettre le pays sur les rails de l’entente. Pour cela, il faut définir clairement la ligne de démarcation entre ceux qui veulent la paix et ceux qui veulent perpétuer la crise à leur profit. Cela facilitera la lutte contre les fauteurs de troubles dont certains se trouvent malheureusement parmi les groupes armés signataires de l’accord. Ce n’est qu’après la mise en place de l’accord que les forces armées nationales auront suffisamment de marge de manœuvre pour s’engager durablement dans la guerre contre les terroristes.

M. Comment jugez-vous l’efficacité de la force anti terroriste Barkhane et de la Minusma au Mali ? Toutes deux ont dernièrement été très critiquées, notamment à travers de violentes manifestations à Kidal.

M.M. Les attaques récentes contre les forces internationales sont la manifestation concrète de l’action de ceux qui n’ont pas intérêt à la paix et à l’entente entre les maliens. Les forces françaises et des nations unies, quels que soient les reproches qu’on peut leur adresser, sont des forces constructives qui aident le Mali, à commencer par les habitants de Kidal.

Il est proprement ubuesque de s’en prendre à elles. Les responsables de la Minusma et de Barkhane doivent comprendre que derrière ces manifestants se cachent des leaders d’opinion dont les activités malveillantes, notamment de trafic de drogue, sont contrariés par la présence de la communauté internationale. Elles doivent donc accroitre leur coopération avec les forces maliennes et celles des groupes armés décidés à avancer pour contrecarrer ces plans.

M. Comment se positionnent les Etats-Unis ?

M.M. Comme les autres pays de la communauté internationale, les États unis soutiennent le processus de paix et de réconciliation entre les maliens. En tant que puissance militaire, leur soutien semble nécessaire pour la mise en œuvre de la loi de programmation militaire malienne qui nécessite un financement de plus de 2 milliards de dollar sur 5 ans.

M. Comment jugez-vous le bilan politique et économique d’Ibrahim Boubacar Keïta après près de trois ans au pouvoir ?

M.M. Le Mali connait depuis quelques années un taux de croissance assez élevé, le second dans la zone UEMOA après la Côte d’ivoire. Quand j’étais Premier ministre, nous avons atteint le taux historique de 7% de croissance du PIB. Une embellie qui, malheureusement pour l’instant, n’est pas encore perceptible pour les maliens. La question démographique reste par ailleurs très préoccupante. La population du Mali croît à 4% chaque année, ce qui est difficilement supportable pour le pays. Il faut par ailleurs évidemment améliorer la gouvernance, combattre de manière plus radicale la corruption et toutes les formes de fraudes.

M. On vous prête des ambitions présidentielles. Comptez vous vous présenter aux prochaines élections ?

M.M. En tant que responsable politique et Président de parti, c’est bien normal d’avoir des ambitions. Il ne serait pas étonnant que le parti Yelema soit sur la ligne de départ des prochaines élections générales de 2018. Mais pour l’heure, ce sont les élections locales qui nous occupent. Nous comptons accompagner l’implantation du parti dans le pays à travers des centaines de candidats sur tout le territoire. Je suis candidat aujourd’hui à la mairie de Bamako après avoir occupé les fonctions de maire d’une commune de la capitale, de Ministre de l’urbanisme et de Premier ministre. C’est un challenge intéressant.

 

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