Et de trois! Un deuxième procès est intenté à Nouakchott ce lundi 13 août contre le sénateur et opposant Mohamed Ould Ghadde. En attendant une troisième mise en cause pour des accusations encore en suspens devant le juge d’instruction.
« La haine » ! Ou encore « l’acharnement »! C’est ainsi qu’à Nouakchott de nombreux avocats, la plupart des politiques qui se présentent aux futures élections législatives et les membres les plus en vue de la société civile expliquent l’acharnement du président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, contre le sénateur Mohamed Ould Ghadde, arrêté le 10 août 2017, cinq jours après le référendum auquel il s’était opposé et qui visait à abolir le Sénat dont il était membre.
Cet opposant respecté et courageux est dans le collimateur du régime depuis fort longtemps. C’est lui en effet qui, porte parole de l’opposition au Sénat, avait exigé du président Aziz qu’il déclare l’état de son patrimoine comme cela a été prévu explicitement par la constitution. Et lui encore qui à la tête d’une commission sur les appels d’offre de l’Etat a mis en cause les procédures de favoritisme utilisées par le régime. Depuis, la vindicte du régime contre lui n’a pas cessé, dans des conditions dénoncées deux fois par l’ONU ainsi que par de grandes ONG comme « Human Rights Watch »…
Une fin de non recevoir
Deux groupes d’experts de l’ONU, l’un sur la détention provisoire et l’autre sur la torture, ont dénoncé les conditions dans lesquelles le sénateur Ghadde est détenu depuis un an.
Dans un avis rendu public le 6 août dernier, le comité contre la torture a jugé « arbitraire » la détention de cet opposant mauritanien et demandé « des réparations » en sa faveur en raison des graves préjudices subis. Le sénateur Ghadde a été en effet détenu pendant les quinze premiers jours qui ont suivi son arrestation dans un endroit demeuré secret, ce qui rend irrecevables, notent ses avocats, les poursuites engagées contre lui. D’autre part, l’opposant a été victime d’une « torture blanche », à savoir privé de sommeil pendant des semaines entières. « Seule sa visibilité à l’étranger lui a permis d’échapper à d’autres formes de torture plus brutales, estiment ses avocats, qui continuent hélas d’être pratiquées en Mauritanie ».
Cette injonction de l’ONU n’est pas la seule, loin de là. Au printemps dernier, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire avait précédemment publié l’avis n°33/2018 , affirmant que sa détention était arbitraire et demandé sa libération en rappelant le président mauritanien à l’ordre: « Nous appelons la Mauritanie à respecter ses engagements en matière de droits de l’homme à l’égard de M. Ghadde. Il a été arbitrairement privé de sa liberté en raison de son activisme politique ».
Un nouvel appel a été lancé, fin juin, par les mêmes experts après les commentaires du Président mauritanien, qui avait déclaré publiquement, lors du voyage officiel d’Emmanuel Macron en Mauritanie, que son pays ne comptait pas donner suite à l’avis du Groupe de travail de l’ONU. « Nous sommes préoccupés par toute déclaration publique susceptible de compromettre la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif. Cette séparation doit être préservée, » ont déclaré les experts.
Trois procès pour le prix d’un
En l’espace d’un an, trois procès ont été intentés contre lui. Le premier qui reposait sur le banal quoique dramatique accident de circulation qui avait précédé son arrestation lui avait valu six mois de condamnation avec sursis.
Le deuxième procès qui a débuté jeudi dernier et reprend ce lundi, repose sur des accusations extravagantes de dénonciation calomnieuse. Lorsque le chef de l’état mauritanien avait été l’objet d’une tentative d’assassinat voici quelques années, un sous officier s’était accusé de ce forfait avant de revenir sur ses déclarations. Le reproche fait au sénateur Ghadda est d’avoir déclaré publiquement que la première version du militaire ne correspondait pas à la réalité, ce qui a été donc confirmé par l’intéressé lui même. Pourquoi une telle mise en cause judiciaire pour une telle déclaration? A Nouakchott, on se perd en conjectures. Seule une volonté d’acharnement du pouvoir peut expliquer une mise en cause judiciaire pour des faits aussi ténus. A moins que cette tentative d’assassinat ne masque des agissements frauduleux et immoraux du chef de l’état et qu’il faille dissuader quiconque de se pencher sur ce dossier.
Restent des accusations de « corruption », qui valent sénateur Ghadda d’être accusé, comme bon nombre de militants associatifs et humanitaires d’avoir été aidé par l’homme d’affaires Mohamed Bouamatou, adversaire irréductible du régime du président Aziz. « Le délit de mécénat » est en effet la dernière trouvaille juridique d’un régime qui traite par le mépris les droits humains universels tels qu’ils sont défendus par l’ONU et les grandes ONG.
La surprise reste que les diplomates occidentaux soient aussi silencieux face aux violations répétées des libertés publiques dans un pays supposé ami et partenaire. Pour combien de temps encore?
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