« Le loyer est cher, mais le jeu en vaut la chandelle », assure Souleymane El Omrani, chargé de la communication pour le PJD, le parti islamiste marocain. Ce dernier dépense en effet 16000 dirhams (environ 1600 euros) par mois pour régler le loyer de ses locaux consacrés à la communication des élections législatives du 7 octobre prochain pour lesquelles le PJD est donné favori, du moins par les sondages de cet été.
Autant de perspectives qui réjouissent visiblement le monsieur Communication du PJD, dont les yeux brillants comme des billes percent derrière une fine monture de lunettes et une petite barbe soignée. Avec assurance, il guide les visiteurs curieux à travers les deux appartements d’un immeuble marbré près de l’avenue Témara – Hassan II où le PJD a installé, en novembre 2015, sa « machine à liker ».
Avec plus d’un million de fans sur Facebook, 80 000 followers sur Twitter et en moyenne 50 000 visites enregistrées sur le site web par jour, le parti islamiste est devenu un virtuose de l’internet et des réseaux sociaux. Compressés, dans d’étroits compartiments de meubles de bureau façon « open space », une dizaine de trentenaires cessent un instant de pianoter sur leurs claviers pour saluer. « Et ici, le service de la presse électronique écrite » poursuit El Omrani, moulé dans son costume d’accompagnateur moderne. Sur une étagère de son vaste bureau, un pavé sur le « team building » trône en évidence.
Une stratégie payante. Fort de 107 sièges sur 395 à la Chambre des représentants depuis 2011, le parti dit « de la lampe », parait en effet avoir consolidé son influence auprès des classes moyennes urbaines. Aux élections régionales et communales de septembre 2015, le PJD s’était déja imposé en arrivant en tête dans trois des quatre régions les plus peuplées du pays, dont celles dont dépendent les grandes villes de Casablanca, Rabat et Fès. Pour le Premier ministre islamiste Abdelilah Benkirane, leader du PJD, il s’agit donc cette fois de transformer l’essai en remportant de nouveaux sièges. Le scénario parait plausible, à deux réserves près: l’interdiction des sondages ordonnée par le Ministère de l’Intérieur fin aout brouille désormais les pronostics. Un consensus semble par ailleurs émerger au sein de la classe politique sur le thème, « Tout sauf le PJD ». Si cette coalition bataille en ordre de marche, le succès annoncé du parti islamiste pourrait bien en être affecté.
Moderne, forcément moderne
Certes, la campagne électorale ne débute officiellement que le 24 septembre. Mais l’agitation en coulisses est déjà palpable. La revue papier du parti, « Justice et développement », qui avait cessé d’être diffusée, est ressortie du placard pour l’occasion avec six journalistes dédiés à sa rédaction. Derrière une porte grise capitonnée, le studio d’une web radio a été décorée en orange et bleu, les couleurs du parti. Cela sent le plastique neuf d’une moquette tout juste posée.
A deux pas, une cabine au décor futuriste accueille la toute nouvelle salle d’enregistrement de la web TV qui arrache un sourire de fierté à El Omrani. Une ligne résolument moderne contrebalancée par une image plus spartiate savamment entretenue par le parti. Depuis sa création, le site internet du PJD, de loin plus visité de toutes les plateformes politiques n’a quasiment rien changé à sa sobriété d’origine. Il faut rester « maroco-marocain » souffle un militant. L’astuce a permis au site de se hisser au 130ème rang du classement « Alexa » des sites les plus consultés au Maroc. « Loin devant celui du PAM qui arrive tout juste à la 700ème place » glisse, piquant, El Omrani.
En confiant la gestion de sa communication à la société « Ahdad al Media » créée par des cadres du parti, le PJD garde son image sous contrôle. Désormais, seules quelques activités sont ponctuellement sous-traitées à des agences extérieures. En tout, 28 salariés permanents travaillent d’arrache pied pour faire la publicité du parti. A cet arsenal promotionnel bien rodé s’ajoute la personnalité du secrétaire général du parti Benkirane, orateur de choc dont les interventions battent des records de vues sur internet. « Depuis son arrivée au poste de premier ministre, c’est le Benkirane show tous les jours » explique un journaliste marocain. Avec plusieurs innovations à la clé. Chaque samedi, le leader islamiste organise notamment des réunions avec les cadres du parti retransmises en direct sur YouTube et Facebook. L’heure est à la campagne permanente qui a dopé les énergies du PJD.
Le PAM en ordre de marche
Non loin de là, dans les locaux du PAM situés dans l’ancien quartier de la médina de Rabat, on prépare la contre attaque. Une web TV, une web radio aussi, et l’ambition de tourner des « capsules vidéo » à proposer clé en main aux chaines de télévision pour diffusion. Le tout, préparé dans des bureaux plus grands que ceux du PJD. Plus récents aussi. Ici, pas de frugalité entretenue. Les couleurs vives, les larges fenêtres et le mobilier épuré renvoient l’image d’une start-up installée au dessus du British Council, sur deux étages. L’un pour les conférences de presse, le « media training » et la reception des invités ; l’autre pour les outils de communication du parti. Au total ce sont près de cinquante permanents qui travaillent à la promotion de l’image du parti.
Celui-ci a aussi a créé sa propre société, « PAM news », en charge de bâtir une véritable marque. « Il s’agit d’avoir le même message, de mieux coordonner les actions de communication » affirme, Khalid Adnoun, porte-parole du PAM, ancien d’Al-Jazeera Kids au Qatar vêtu d’une élégante chemise et parfaitement détendu. La revue électronique « Tamaghrabit » (« la marocanité » en arabe) servira bientôt de support à la communication du parti. Autre vitrine incontournable, le portail internet qui a remplacé, en août 2016, l’ancien site, fait lui aussi la part belle à une maquette dans l’air du temps.
Le combat des chefs
Reste que le secrétaire général du PAM, Ilyas Al Omari, président de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima au nord du pays, peine à se forger une image de bête de scène susceptible de concurrencer celle de son adversaire islamiste. Un constat que ses supporters rejettent. « C’est un homme habitué aux médias et sérieusement coaché avant chaque intervention. Il tiendra la distance sans démagogie » assure Adnoun. En tant que patron d’un groupe de presse composé de six journaux, Ilyas Al Omari n’est pas étranger à l’univers médiatique.
Son challenger, est certes nettement plus charismatique. Mais cet atout pourrait se transformer en handicap si le leader islamiste, emporté par son élan et ses préjugés religieux, cède à quelques facilités de langage et transgresse les règles du jeu du pluralisme marocain dont l’arbitre reste le Palais.