Liban, le nouveau gouvernement avance sur un terrain miné par l’Iran

L’équipe de Nagib Mikati a obtenu lundi la confiance du Parlement, mais sa tâche paraît problématique à l’ombre du poids de l’influence iranienne.

Un article de Michel Touma

Ce fut sans doute le débat de confiance le plus court de l’histoire contemporaine du Liban. Il aura suffi d’une seule journée de palabres et de discours retransmis en direct sur certaines chaînes de télévision pour que les députés libanais accordent tard en soirée leur confiance au nouveau gouvernement de Nagib Mikati. Seuls les parlementaires du parti chrétien des Forces libanaises, présidé par Samir Geagea, et quelques indépendants ont dénié la confiance.

La séance de la Chambre a débuté lundi matin, 20 septembre, dans une atmosphère rocambolesque digne des tristes réalités libanaises actuelles. La réunion a été retardée en raison d’une coupure du courant électrique, devenue régulière dans tout le pays. Il s’est avéré de surcroît que le fuel nécessaire pour faire fonctionner le générateur censé fournir l’électricité en cas de coupure du courant n’avait pas été assuré… Et cerise sur le gâteau : le générateur en question était en panne ! Le fait marquant de cet épisode se situe toutefois à un autre niveau : les « responsables » de l’organisation de la séance parlementaire ont eu recours au … Hezbollah pro-iranien pour assurer un générateur de rechange et le fuel nécessaire. Un fuel qui, sans surprise, était … iranien !

Le « hasard » a voulu que quelques jours avant la séance parlementaire une cargaison de fuel en provenance d’Iran, via la Syrie, avait été acheminée dans la vallée libanaise de la Békaa, à grands renforts de manifestations de joie intempestives et, surtout, « explosives », les partisans du Hezbollah ayant accueilli le convoi des camions-citernes à coups de tirs d’armes automatiques et de … roquettes antichars de type RPG ! De là à affirmer que la panne du générateur et l’absence de fuel avaient été orchestrées afin de permettre au Hezbollah de se livrer à une opération de propagande médiatique mettant en relief les avantages de l’aide iranienne au parti il n’y a qu’un pas que se sont empressés de franchir certains milieux de l’opposition hostiles à l’emprise iranienne sur le Liban, par le biais du Hezbollah.

Un terrain miné

En tout état de cause, et bien au-delà de cette gesticulation partisane qui illustre symboliquement l’atmosphère politique dans laquelle se débat le Liban, le gouvernement Mikati peut maintenant se mettre à l’œuvre après avoir obtenu la confiance du Parlement. Une tâche particulièrement ardue et complexe l’attend à bien des égards. Et pour cause : le nouveau gouvernement a été mis sur pied sur base d’un très fragile équilibre qui reflète, certes, une influence iranienne prépondérante, mais qui n’exclut pas pour autant une « présence » occidentale, notamment américaine, au niveau de certains portefeuilles-clés, de sorte que l’équipe ministérielle avancera sans conteste sur un terrain miné.

Certaines sources de l’opposition anti-iranienne ne manquent pas de relever, d’emblée, que la formation du gouvernement, après plus d’un an de blocage et de manœuvres stériles, est intervenue au lendemain d’un entretien téléphonique entre le président Emmanuel Macron et son homologue iranien Raïssi. Ces sources affirment que le déblocage de la crise ministérielle et la naissance du Cabinet Mikati sont le fruit d’un « marché » que le président Macron aurait conclu avec le régime iranien. Une assertion difficile à confirmer de façon tranchée, mais il n’en reste pas moins que la physionomie politique de l’équipe en place illustre un équilibre savamment dosé.

Le Hezbollah a obtenu dans ce cadre un portefeuille qui revêt pour lui une importance primordiale dans le contexte présent : le ministère des Travaux publics et du Transport qui représente l’autorité de tutelle du port et de l’aéroport de Beyrouth. Or le parti pro-iranien contrôle ces deux centres stratégiques qui lui permettent de se livrer à toute sorte de contrebande vers la Syrie ou le marché interne et de faire rentrer dans le pays des marchandises et des équipements loin des regards « indiscrets » des autorités étatiques.

Le tandem chiite (le Hezbollah et le mouvement Amal du président de la Chambre Nabih Berry) a en outre conservé le portefeuille de l’Agriculture auquel il reste attaché depuis plus d’une décennie, les régions au sein desquelles il prédomine étant essentiellement des zones agricoles. Le ministre de l’Information tire d’autre part fierté des éloges qu’il ne cesse de rendre depuis trois ans à Bachar el-Assad et au chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et il en a été de ce fait récompensé en facilitant son entrée au gouvernement. Quant au ministère des Finances, que les deux formations chiites refusent de céder en raison du contrôle qu’il leur assure au niveau des décisions de l’Exécutif, il a été certes octroyé à un chiite mais qui est le bras droit du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, connu pour entretenir des rapports privilégiés avec l’administration américaine.

Le ministre de la Défense est quant à lui proche du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, qui maintient lui aussi des relations régulières et très étroites avec Washington. L’empreinte américaine serait également perceptible au niveau du ministre de l’Economie dont la fonction au stade actuel revêt une importance capitale du fait du rôle central qu’il est appelé à jouer dans les négociations avec le Fonds monétaire international en vue de l’octroi d’une aide urgente au Liban.

D’une manière globale, le Hezbollah et ses alliés disposent à l’évidence d’une majorité confortable au sein du gouvernement, mais le camp prooccidental détient malgré tout des portefeuilles stratégiques, sans compter que le Premier ministre lui-même est proche du camp occidental. La dissonance qui risque d’émerger rapidement au sein de cet Exécutif a été mise en relief dès les premiers jours du gouvernement à la suite de l’affaire de l’envoi au Liban, via la Syrie, sans concertations préalables avec les dirigeants libanais, des cargaisons de fuel susmentionnées. Le chef du gouvernement s’est dit « peiné » par l’initiative de Téhéran, relevant qu’elle constitue une atteinte à la souveraineté de l’Etat libanais. Le gouvernement iranien s’est empressé de réagir aux propos de M. Mikati, affirmant que c’est à la demande des autorités libanaises que les cargaisons de fuel iranien ont été acheminées au Liban. Ce que le Premier ministre a démenti d’une façon formelle et sans équivoque, donnant ainsi un avant-goût des contradictions sérieuses et profondes qui risquent d’entraver l’action de son équipe ministérielle et l’application de son problématique plan de redressement. Il faudra cependant un peu plus que ce timide échange aigre-doux entre Téhéran et le chef du gouvernement pour convaincre certains pays du Golfe, Arabie saoudite en tête, de mettre fin à la politique de boycott de l’Etat libanais appliquée depuis que les hautes sphères du pouvoir au Liban ont laissé le champ libre au Hezbollah pour qu’il développe son attitude belliqueuse à l’égard des monarchies pétrolières en conflit avec le régime des mollahs en Iran.