Liban, l’embrasement de Tripoli pourrait s’étendre au reste du pays

Une vive tension est perceptible ce jeudi après-midi dans la capitale du Liban-Nord, Tripoli, où de nouvelles escarmouches se sont produites, pour la quatrième journée consécutive, entre des manifestants, hostiles au confinement et les forces de l’ordre. Sur fond d’un possible embrasement dans le reste du Liban.

Une chronique de Michel Touma

Les nouveaux incidents interviennent après le décès, ce jeudi matin, d’un habitant de la région qui avait été grièvement blessé lors de graves incidents survenus dans la soirée de mercredi dans la ville, principale bastion sunnite du Liban-Nord. Les rassemblements populaires et les manifestations avaient débuté au début de la semaine à Tripoli dans un climat de tension sociale exacerbé par un confinement généralisé et total décrété par le gouvernement pour lutter contre la pandémie de coronavirus.

La mesure fort impopulaire devait s’achever lundi dernier mais il a été prolongé jusqu’au 8 février.

DES DÉPUTÉS VISÉS


Cette décision a concrètement constitué l’étincelle qui a provoqué une vaste fronde populaire, les habitants de la ville soulignant qu’ils n’étaient plus en mesure de supporter une nouvelle fermeture qui ne fait qu’aggraver leur situation socio-économique déjà suffisamment éprouvante.La région du Liban-Nord, et plus particulièrement plusieurs quartiers de la ville de Tripoli, vit depuis de nombreuses années – en réalité depuis des décennies – dans une situation de misère totale accentuée par l’absence de politique de soutien gouvernementale.

De nombreux habitants de Tripoli vivent de revenus très modestes basés sur une activité quotidienne ponctuelle et limitée axée essentiellement sur la vente de produits de petite consommation. Un confinement prolongé aggrave de ce fait dangereusement leur situation de misère chronique. Rien d’étonnant par voie de conséquence que la décision de prolonger la fermeture ait provoqué une réaction de colère qui s’est traduite par la fermeture des routes au moyen de pneus enflammés, parallèlement à des actes de vandalisme visant le Sérail de la ville (siège des administrations publiques de la région) ainsi que les domiciles de certains députés.

Durant toute la soirée et la nuit de mercredi,
Beyrouth a été le théâtre de rassemblements
en signe de solidarité avec Tripoli.


Visiblement débordées par l’ampleur de la colère populaire, les forces de l’ordre ont largement fait usage mercredi soir de bombes lacrymogènes, allant même jusqu’à tirer en l’air afin de disperser les manifestants qui lançaient toutes sortes de projectiles sur les forces de l’ordre. Ces échauffourées se sont soldées par près de 200 blessés, dont l’un d’eux a succombé ce matin à ses blessures.

Durant toute la soirée et la nuit de mercredi, de nombreuses régions du pays, notamment dans la capitale Beyrouth, ont été le théâtre de rassemblements en signe de solidarité avec Tripoli. Plusieurs routes ont été coupées à la circulation au moyen de pneus enflammés et de blocs de pierres aux entrées nord et sud de Beyrouth ainsi que dans certains quartiers de la capitale, parallèlement à des localités dans la vallée de la Békaa.

CALCULS POLITIQUES


L’ampleur de la fronde populaire s’explique certes par l’état de misère vécu par la population du Liban-Nord. MAIS Nombre d’observateurs se sont lancés dans des supputations sur une possible manipulation politique de ce vaste mouvement de contestation.

D’aucuns affirment ainsi que ces manifestations sont fomentées par le richissime homme d’affaires Bahaa Hariri, frère et rival du Premier ministre désigné et leader du Courant du futur (formation sunnite), Saad Hariri. Bahaa Hariri a fait récemment une entrée remarquée sur la scène politique libanaise et certains analystes l’accusent d’une possible manipulation populaire.

D’autres milieux locaux avancent, par contre, l’hypothèse d’une manœuvre de Saad Hariri en vue de faire pression sur le président de la République pour accélérer la formation d’un nouveau gouvernement. Avec comme objectif la rapide mise sur pied d’un « gouvernement d’action » susceptible de sortir le Liban de la profonde crise socio-politico-économique dans laquelle il se débat depuis plus d’un an.

LE RISQUE D’ESCALADE

Autre hypothèse avancée par certains observateurs : l’escalade en cours au plan populaire serait l’œuvre de Services relevant du Président de la République, le général Aoun, pour faire pression sur le Premier ministre désigné afin qu’il accepte la formation d’un gouvernement aux conditions posées par le camp présidentiel, allié du Hezbollah.

En tout état de cause, une réalité indéniable ne saurait être occultée dans le contexte actuel : la situation de misère avancée dans laquelle se débat de larges pans de la société au Liban Nord et à Tripoli, et dans le pays d’une manière générale, constitue un terrain fertile pour toute sorte de manipulation politique.
La soirée qui s’annonce pourrait être particulièrement chaude sur le terrain et ouvre la voie à des dérapages sécuritaires et à une nouvelle mobilisation populaire dans d’autres régions du pays

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