Le Sénégal entame une semaine à très hauts risques

Plus d’une semaine après la décision de Macky Sall de reporter la présidentielle normalement prévue pour le 25 février, le Sénégal s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise. Le bilan de la répression des manifestations contre le report qui affiche déjà trois morts pourrait s’alourdir cette semaine alors que le président Macky Sall a agité le chiffon rouge d’un coup d’Etat militaire.

Un mort à Dakar, un mort à Saint-Louis et une autre victime à Ziguinchor : depuis l’annonce inattendue samedi 3 février par le président sénégalais Macky Sall du report de l’élection présidentielle, le Sénégal a enregistré la mort de trois personnes dans les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Le tribut humain payé à la contestation de la décision unilatérale de Macky Sall de repousser le scrutin présidentiel jusqu’en décembre 2024, soit bien au-delà de la fin de son mandat le 02 avril, pourrait s’alourdir dès ce mardi avec la manifestation prévue à Dakar par une coalition formée par les partis d’opposition et la société civile. Alors que le préfet de Dakar a interdit la manifestation au motif qu’elle poserait des « troubles à l’ordre public et entraverait la circulation », ses organisateurs ont annoncé son maintien. Ils se disent prêts à aller à la confrontation avec les forces de l’ordre dont la brutalité est désormais dénoncée par des nombreuses ONG des droits de l’homme tels que Amnesty international et la rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO).

 Religieux dans la contestation

La mobilisation contre la décision de Macky Sall de reporter la présidentielle et de prolonger son bail à la tête du Sénégal dépasse très largement les cercles traditionnels de la contestation politique. Fait rarissime au Sénégal : des religieux et des hommes d’affaires s’opposent désormais ouvertement au report de la présidentielle. Dans une déclaration commune rendue publique lundi à Dakar, des hommes d’affaires ont déploré la page d’incertitudes dans laquelle la décision de repousser la présidentielle faisait entrer le Sénégal, soulignant leurs craintes de voir les investisseurs prendre d’autres destinations.

La mobilisation la plus forte est venue du milieu universitaire sénégalais habituellement en retrait sur les questions politiques. « La situation de ce pays exige que nous prenions la parole publiquement, bien au-delà des nos tribunes dans les médias et de nos amphithéâtres. Les universitaires que nous sommes nous engageons résolument pour la démocratie et la république en nous opposant à une tentative de confiscation du pouvoir par le président Macky Sall », a martelé lundi à Dakar Ndèye Astou Ndiaye, porte-parole du Collectif des universitaires pour la démocratie (CUD), une organisation naissante qui revendique déjà plus de 200 enseignants-chercheurs, toutes disciplines confondues.

L’artiste et ancien ministre Youssou Ndour

Youssou Ndour lâche Macky Sall

Alors que la contestation de sa décision ne faiblit pas,  le président sénégalais doit affronter des défections en cascade dans son propre camp. Après la ministre d’Etat Awa Marie Coll Seck, qui a renoncé à ses fonctions de présidente du Comité national de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) « pour rester en adéquation avec ses convictions personnelles et ses valeurs », le secrétaire général du gouvernement Abdou Latif Coulibay a jeté, lui aussi, l’éponge. Il fut compagnon politique de Macky Sall depuis 2012.  Le chanteur Youssou Ndour, ancien ministre de la Culture et du Tourisme de Macky Sall s’est dit opposé à sa décision de reporter le scrutin présidentiel. « Nos rendez-vous démocratiques s’imposent à nous tous et le peuple souverain sera le dernier juge », a protesté lundi à Dakar la star de la musique sénégalaise.

La mobilisation contre la prolongation du mandat de Macky Sall a gagné en outre des partis membres de la coalition présidentielle. Le Parti indépendant des travailleurs (PAI) et le Rassemblement des travailleurs africains-Sénégal (RTA-S) s’opposent désormais autant à la volonté du président de reporter le scrutin qu’à son rapprochement avec le Parti démocratique sénégalais (PDS) pour obtenir le soutien de celui-ci en échange du repêchage de Karim Wade pour la présidentielle de décembre prochain. Comme si cela ne suffisait pas, le président Macky Sall a annoncé le 7 février que le Premier ministre Amadou Ba sera bel et bien le candidat de la majorité à l’élection présidentielle.

Cette confirmation de l’investiture du PM suscite la colère de tous ceux qui, dans le camp présidentiel, espéraient que Macky Sall saisirait l’occasion du report du scrutin pour trouver un nouveau candidat offrant plus de garanties de victoire qu’Amadou Ba. La décision du président sénégalais de maintenir l’investiture du PM est d’autant plus incompréhensible pour son entourage que des sondages non officiels le donnaient la veille du report battu à la plate couture par Bassirou Diomaye Faye le candidat du Parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) de l’opposant Ousmane Sonko. Derrière la décision de maintenir, contre toute logique, Amadou Ba comme candidat du camp présidentiel, certains voient une nouvelle manœuvre de Macky Sall de sortir une autre surprise pour se maintenir au pouvoir, après la présidentielle du 15 décembre 2024.

Chiffon rouge du coup d’Etat

Acculé par les opposants au report et confronté à des démissions en cascade, le président sénégalais a mis en garde dans une interview à l’agence de presse américaine Associated Press (AP) contre la possibilité que la classe politique soit balayée par des « forces organisées ». « Si les acteurs politiques ne sont pas capables de s’entendre sur l’essentiel, d’autres forces organisées le feront à leur place. Et là, ils perdront le pays, a mis en garde Macky Sall. Il faut contester, mais ne pas dépasser les limites qui permettent de maintenir la trajectoire démocratique. Car si nous ne sommes plus dans la démocratie, nous sommes dans autre chose Tout le monde y a vu une allusion claire aux risques d’une prise de pouvoir par l’armée. 

Il est désormais certain que Macky Sall, que l’on voyait rebondir dans une carrière internationale après son départ du pouvoir, a raté sa sortie.