Le nouveau virage répressif  de la Côte d’Ivoire

Un nouveau projet de loi adopté en commission par l’Assemblée nationale prévoit de pénaliser toute prise de position contre une décision de l’Autorité. C’est une réponse à la mobilisation populaire contre la décision qui condamne Laurent Gbagbo à l’inéligibilité et un nouveau tour de vis contre la liberté d’expression à 14 mois de l’élection présidentielle.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a initié un projet de loi pour le moins liberticide puisqu’il modifie l’article 185 de la loi pénale qui punit désormais d’une peine de prison toute personne qui « lance des appels au public dans le dessein de faire désapprouver l’Autorité et de provoquer la solidarité avec un ou plusieurs condamnés », assure le texte qui sera adopté en séance plénière ce mercredi jeudi 6 juin 2024 à l’Assemblée nationale.

A l’approche de l’élection présidentielle qui aura lieu dans 14 mois, ce texte n’est pas arrivé sur le bureau des parlementaires ivoiriens par hasard. C’est une réponse personnalisée à l’ancien président Laurent Gbagbo qui ne reconnaît pas la décision du tribunal de première instance d’Abidjan qui l’a condamné le 18 janvier 2019 à 20 années de prison par contumace. Depuis son retour de la Cour pénale internationale qui l’a acquitté des charges de crimes contre l’humanité, Gbagbo dénonce régulièrement cette décision qu’il qualifie de parodie de justice alors que son éligibilité à la prochaine élection présidentielle s’en trouve remise en cause. Ses partisans se mobilisent en conséquence un peu partout pour s’y opposer et forcer ainsi le président Ouattara à réinscrire l’ancien président de la République sur la liste électorale.

Vers de nouvelles violences

Mais avec ce nouveau tour de vis répressif, l’histoire risque de se répéter en Côte d’Ivoire où la contestation du 3è mandat d’Alassane Ouattara avait fait 80 morts et plus de 300 blessés dans les rangs de l’opposition. Mardi, le président du groupe parlementaire du Parti des peuples africains (PPA-CI), Hubert Oulaye, a donc dénoncé une atteinte grave à la liberté d’expression en faisant remarquer que « si au cours d’un meeting, dans une adresse écrite ou orale, un leader politique dénonce la condamnation d’un membre de son parti politique condamné pour troubles à l’ordre public, il aura désapprouvé l’Autorité et sera passible de poursuites judiciaires », a-t-il résumé. Car il suffit désormais aux tribunaux ivoiriens de faire la preuve que l’accusé a critiqué ou s’est opposé à la décision de l’Autorité pour qu’il soit passible de prison.

Ainsi, tout doucement, la Côte d’Ivoire glisse vers une nouvelle vague de violences dans un contexte où le président Ouattara pourrait rempiler pour un quatrième mandat totalement illégal mais tout à fait légitime aux yeux de ses militants qui le considèrent de toute façon comme le candidat naturel du parti présidentiel. Jusqu’ici, le président Ouattara avait gardé le silence sur ses intentions. Mais pas pour longtemps puisqu’il doit finalement prendre la parole le 18 juin prochain devant les deux chambres du parlement réunies en congrès à Yamoussoukro. En 2019, Alassane Ouattara s’était déjà offert la même tribune à un an de l’élection présidentielle. Mais sa promesse de ne pas se présenter à un troisième mandat n’avait pas tenu longtemps. La mort de son premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, appelé à lui succéder, l’avait en effet fait rétropédaler.

Encore dans l’inconnu ?

D’ailleurs, depuis l’annonce de cette prise de parole, les Ivoiriens se perdent en conjectures et particulièrement ceux d’entre eux qui croient que le président Ouattara pourrait finalement prendre sa retraite pour faire de la place à une nouvelle génération. C’est aussi ce qu’opinent des partisans du président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo. Ce dernier n’arrive toujours à améliorer ses relations avec une partie des cadres du RHDP qui « fait fuiter de fausses informations », pour décourager Alassane Ouattara de faire de lui son successeur désigné, a estimé l’un d’entre eux.

Plusieurs sociétés appartenant au président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo se sont retrouvées sur la sellette ces derniers mois en raison de contrôles fiscaux plutôt serrés. Le fait que le statut de président de l’Assemblée nation nationale et d’ancien directeur exécutif du RHDP du concerné n’ait pas ramolli l’administration fiscale comme cela se passe généralement dans ces cas-là avait accrédité la thèse d’un règlement compte politique, ce que n’a pas formellement démenti l’entourage de Bictogo qui croit en revanche à une crise de jalousie d’une partie de la cour du président. En tout cas, malgré son inéligibilité, Alassane Ouattara reste toujours le maître des horloges en Côte d’Ivoire où sa dernière banderille sur la non contestation des décisions de l’Autorité risque de projeter le pays encore plus dans l’inconnu.