Favorable à une intervention en Libye, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian a le soutien de certains pays africains comme le Tchad. D’autres, comme l’Algérie s’y opposent.
Depuis septembre dernier, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, tente de convaincre François Hollande et plusieurs alliés régionaux d’intervenir militairement en Libye. Dans un premier temps, le ministre défendait la nécessité d’une telle opération pour stabiliser le Mali. Aujourd’hui, il s’agit selon lui d’éradiquer le nid djihadiste qui s’est formé dans le pays et menace desormais la sécurité de toute la région.
Difficile de trouver une position claire au sein même des institutions politiques françaises. De leur côté les militaires « veulent y aller » confie à Mondafrique un ancien diplomate français. C’est peu dire. Dans le cabinet du ministre de la défense à l’hôtel de Brienne, une carte épinglée au mur délimite précisément les zones libyennes sur lesquelles l’armée porte une attention tout particulière.
Pourtant, cet élan interventionniste porté par le ministère de la Défense demeure pour l’instant à l’état de d’hypothétique projet, vivement rejeté par le ministère des Affaires étrangères. Pour l’heure, le président François Hollande se dit lui aussi défavorable à une intervention.
Le Drian et ses alliés
Jean-Yves Le Drian peut cependant compter sur plusieurs alliés au Sahel. A l’occasion du sommet africain pour la sécurité qui s’est tenu mi-décembre 2014, les présidents du Tchad Idriss Deby et du Niger Mahamadou Issoufou ont été les premiers à se positionner clairement en faveur d’une intervention.
Pour Déby, autrefois très proche de Mouammar Kadhafi dont il a longtemps bénéficié des largesses, les Occidentaux doivent « assurer le « service après-vente » dans une région livrée au chaos depuis l’assassinat de l’ex « Guide » libyen. Le chef d’Etat tchadien considère qu’une intervention est nécessaire afin de régler leurs comptes aux terroristes qui viennent se ressourcer et s’armer dans le sud libyen avant de repartir à l’assaut dans la sous-région et notamment au Mali. Très influent dans cette zone troublée, Idriss Déby pourrait fair pencher la balance en faveur d’une intervention. A Paris, on se montre particulièrement attentif aux positions de N’Djamena devenu l’un des principaux alliés de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel depuis l’intervention de troupes tchadiennes au Mali où elles ont payé un lourd tribut. Ce n’est pas un hasard si le quartier général de l’opération de contre-terrorisme dans le Sahel, Barkhane, est installé dans la capitale tchadienne.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou fait également pression depuis longtemps pour la mobilisiation d’une coalition internationale en Libye. Menacé au sud et à l’est par Boko Haram, le Niger possède également au nord une frontière commune poreuse avec le sud libyen devenu une zone de non droit abritant des membres d’Aqmi et d’Ansar al-Charia. Les nombreux va-et-vient difficilement controlables de part et d’autre de cette frontière suscitent l’inquiétude des autorités nigériennes. Depuis le lancement de l’opération Barkhane en août dernier, l’armée française a bombardé à plusieurs reprises des convois d’Aqmi transportant des armes de la Lybie vers le Mali à travers le nord du Niger. A travers ses interventions répétées sur les medias internationaux pour demander l’envoi de l’armée en Libye, Mahamadou Issoufou s’est placé aux avants-postes du camps interventionniste.
Plusieurs autres pays africains se sont également officiellement alignés sur cette position. Le 19 décembre dernier lors de la réunion du « G5 du Sahel » à Nouakchott, la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso qui font tous partie du dispositif antiterroriste Barkhane ont appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à mettre en place avec l’Union africaine une force internationale destinée à intervenir.
Ils ont été rejoints par l’Egypte du général Sissi profondément anti-islamiste et qui s’inquiète de l’instabilité et des trafics aux abords de sa frontière ouest.
L’axe Alger-Tunis contre l’intervention
A l’inverse, l’Algérie s’oppose à ce projet, préférant organiser des contacts politiques entre les différentes factions libyennes pour parvenir à une solution politique. « Il faut un dialogue. Si les islamistes et les autres se sont mis d’accord pour lutter contre Kadhafi, ils peuvent de nouveau se mettre d’accord » a suggéré le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra au micro de RFI.
Alger n’a pourtant pas toujours tenu cette position. Pas plus tard qu’en septembre dernier, le chef d’Etat major algérien Ahmed Gaïd Salah proche du président égyptien Sisi penchait en faveur d’une intervention. Le retour à la position non interventionniste traditionnelle de l’Algérie s’explique notamment par la reprise en main d’une partie de la politique extérieure du pays par le DRS, les puissants et redoutés services algériens. Avant d’en devenir le patron, au tout début des années 1990, le général Mohamed Mediene avait d’ailleurs occupé le poste d’attaché militaire en Libye. A l’époque, il s’était déjà fermement opposé à toute intervention contre Mouammar Kadhafi dans un rapport d’informations rédigé à la demande des autorités américaines.
Alignée sur la position algérienne, la Tunisie craint qu’une intervention militaire chez son voisin n’entraine l’afflux massif d’éléments djihadistes sur son territoire. De nombreux tunisiens se trouvent par ailleurs en Libye ou y passent après avoir combattu en Irak et en Syrie. L’élection en décembre dernier du nouveau président tunisien Béji Caïd Essebsi, historiquement proche d’Abdelaziz Bouteflika qu’il avait accueilli pendant la guerre d’indépendance renforce d’autant plus cet axe Alger-Tunis anti interventionniste.
De leur côté, Washington, Londres, les instances dirigeantes de l’ONU et de l’Union Africaine continuent à faire la sourde oreille. Un nouveau théâtre d’opération n’est pas leur priorité. On aurait pourtant tort de sous-estimer le savoir-faire de Jean-Yves Le Drian. Après le Mali, la Centrafrique et l’Irak, le socialiste devient un expert de la mobilisation guerrière.