Le coup d’état institutionnel du président sénégalais provoque un séisme politique

Le président Macky Sall, suivi vingt quatre heures plus tard par le parlement du Sénégal a repoussé, lundi 5 février, la date de l’élection présidentielle qui devait se tenir le 25 février prochain au 15 décembre de cette année. Ce coup de force institutionnel est rejeté à la fois par l’opposition, la société civile et par la rue qui, en ce qui la concerne, devra arbitrer ce dangereux virage pris par la vie politique sénégalaise.

Bati Abouè

L’Assemblée nationale sénégalaise sous haute protection lundi. La journée avait commencé par des jets de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants devant le bâtiment.

A 105 voix pour contre une seule abstention, le projet de loi reportant l’élection présidentielle du 25 février 2024 au 15 décembre 2024 a été voté par l’Assemblée nationale sénégalaise. Aucune voix dissidente n’a pu se faire entendre puisque les 54 députés de l’opposition ont d’abord été évacués manu militari par des dizaines de gendarmes qui ont envahi l’hémicycle où se déroulaient encore nuitamment les débats avant que le vote, mécanique, n’ait lieu. C’est presqu’en mondovision que Macky Sall a donc porté ses derniers coups de boutoir à une démocratie sénégalaise qui ne s’était jamais autant mal portée que sous sa gouvernance puisque depuis juillet 2023, le principal opposant, Ousmane Sonko est toujours en détention provisoire à Dakar après avoir été condamné à deux années de prison pour corruption de la jeunesse, appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’Etat, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, ainsi que pour un inédit vol de téléphone portable…

Son alter égo, Bassirou Diomaye Faye, qui a reçu l’investiture d’une coalition de partis politiques en raison de la dissolution du Pastef, le parti dirigé par Ousmane Sonko, est d’ailleurs également incarcéré à Dakar pour avoir fait un post sur facebook critiquant les magistrats qui ont jugé l’affaire Sonko. A deux jours de l’ouverture de la campagne électorale, ses avocats se sont vus refuser une demande de liberté provisoire qui aurait permis à l’ex-N°2 du Pastef de faire campagne comme tous les autres candidats, vu qu’il n’a pas encore été jugé et condamné.

Mais l’emprisonnement des leaders de l’ex-Pastef dissimule la répression de milliers de sénégalais dont plusieurs centaines croupissent encore dans les prisons du pays. La plupart d’entre eux ont été arrêtés lors des différentes émeutes qui ont éclaté à Dakar et dans le reste du pays, soit à cause des poursuites judiciaires intentées contre Ousmane Sonko, soit parce que le président sénégalais était soupçonné de vouloir briguer un troisième mandat interdit par la constitution. Ces manifestations réprimées souvent avec des armes létales ont fait une quarantaine de morts et ont paralysé pendant des mois la vie économique dont les acteurs espéraient une fin des tensions à l’issue de cette élection présidentielle.

La rue gronde

Malheureusement, le président sénégalais en a décidé autrement en interrompant, d’autorité, le processus électoral à seulement 24 heures de l’ouverture officielle de la campagne électorale. Dans un discours qui restera probablement dans les mémoires comme le début d’un cauchemar pour les sénégalais, Macky Sall a en effet révoqué son décret fixant la date de l’élection présidentielle au 25 février 2024 et annoncé une enquête parlementaire qui devrait, selon lui, faire la lumière sur les « graves accusations » portées contre deux juges du conseil constitutionnel par le PDS, le parti d’Abdoulaye Wade dont le fils, Karim Wade, candidat à cette élection, a été éconduit pour double nationalité française et sénégalaise. Le conseil constitutionnel reproche au fils de l’ex-président de s’être parjuré en déposant un dossier attestant sur l’honneur qu’il n’avait que la nationalité sénégalaise avant de verser un décret signé par le nouveau Premier ministre français, Gabriel Attal, qui le soulage finalement de sa nationalité française.

Pour Karim Wade, un tel désagrément ne lui aurait jamais été causé si le Premier ministre en exercice et par ailleurs candidat de la majorité choisi par Macky Sall n’avait pas corrompu des juges au sein du conseil constitutionnel. Mais le président sénégalais a également instrumentalisé l’inéligibilité d’une quarantaine de candidats à l’élection présidentielle en prenant soin de les recevoir au palais présidentiel et en leur promettant de faire quelque chose pour eux.

Internet coupé

L’annulation sine die du scrutin du 25 février a provoqué une onde de choc dans la société sénégalaise. A commencer chez les 20 candidats qui, en réaction, ont dit leur détermination à débuter la campagne électorale aux dates initialement prévues. Pour cela, ils avaient invité leurs militants au rond-point Saint Lazare. Mais celui-ci a été pris d’assaut au petit matin par les gendarmes qui ont dispersé à coups de gaz lacrymogène les premiers militants arrivés sur les lieux. Cette première journée de heurts et d’accrochages a vu l’arrestation de plusieurs candidats dont l’ex-Première ministre Amina Touré et Anta Ngom Diack, candidate d’un petit parti. D’autres, par contre, ont été molestés. Pour contenir les manifestations et empêcher que l’attention des populations ne soit polarisée sur la grave crise qui vient de s’ouvrir, le gouvernement a coupé le signal de Walf tv, un média indépendant, qui relayait la colère des populations en temps réel, et s’en est également pris à internet en suspendant les données mobiles au risque de bloquer une grande partie de l’activité économique.

La Cedeao appelle au dialogue

Face à la situation politique qui se dégrade rapidement, la Cedeao s’est presque discréditée à vie en prenant « note » des tensions politiques au Sénégal et en appelant au dialogue toutes les parties prenantes. Pas de rodomontade et de menaces de représailles en revanche contre Macky Sall qui est à l’origine de cette crise politique fictive et qui est, d’ordinaire, le premier à donner des leçons de démocratie aux pays dirigés par des putschistes. Même les Etats-Unis se sont contentés de demander qu’une nouvelle date de l’élection présidentielle soit fixée parce que, dans la tête des dirigeants de ces institutions ou de ces pays qui redoutent l’influence de la Russie, il y a de bons et de mauvais putschistes. C’est d’ailleurs pourquoi au moment où Paris vitupère régulièrement contre les trois états du Sahel et leurs présidents putschistes, elle reste silencieuse devant des voies de fait telles que celles opérées au Gabon par le commandant de la garde républicaine Brice Oligui Nguema qui a interrompu le processus de proclamation des résultats de l’élection présidentielle pour renverser Ali Bongo le 30 août 2023. Le président français a également supervisé personnellement l’intronisation de Mahamat Idriss Déby Itno à la mort de son père dans des conditions restées troubles et a également soutenu en Côte d’Ivoire le troisième mandat d’Alassane Ouattara qui n’a été possible qu’à l’issue d’une répression sauvage qui vit des milices urbaines proches du régime d’Abidjan étêter un jeune opposant à Daoukro, dans le village d’Henri Konan Bédié.

Alors que l’organisation sous-régionale est confrontée à la sortie des Etats du Sahel, cette nouvelle crise politique qui plus est provoquée par l’un de ses plus ardents défenseurs ne peut qu’être d’un mauvais effet pour sa crédibilité. D’ailleurs, après l’adoption du projet de loi reportant officiellement la date du scrutin, un des opposants sénégalais a blâmé le silence de la Cedao, de la France et de l’Union européenne qui préfèrent soutenir les incertitudes d’une crise politique dangereuse plutôt que de donner le change à Ousmane Sonko à travers le candidat qu’il a choisi.

Plusieurs démissions au sein de l’exécutif  

Mais même s’il est soutenu par la communauté internationale, le président sénégalais risque de se retrouver isolé dans son pays. Parmi les réactions courroucées à son coup de force, on note en effet celle de l’archevêque de Dakar, Benjamin Ndiaye, qui se dit « bouleversé comme tous les sénégalais par le report du scrutin », celle du Khalife général des mourides et plusieurs organisations religieuses qui ont exprimé leur désapprobation, ou encore Youssou Ndour qui dit s’opposer au report de l’élection présidentielle. Au sein de l’exécutif sénégalais lui-même, des voix discordantes se sont rapidement fait entendre, notamment celles du Premier ministre Amadou Ba opposé au report de l’élection. D’autres ont franchi le pas en démissionnant. Il s’agit du ministre secrétaire général du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly qui dit ne pas avoir « de mots pour qualifier ça » et de la Pr. Eva Marie Coll Seck qui quitte son poste de président du Comité national de l’initiative pour la transparence dans la gestion des industries. Parallèlement, 116 universitaires sénégalais s’inquiètent et dénoncent, dans un texte collectif intitulé « Restaurer la République », un « plan de liquidation de la démocratie sénégalaise que le régime en place déploie depuis une douzaine d’années ». Ce plan trouverait « son bouquet final dans cet acte d’annulation du processus électoral pour des accusations de corruption à ce jour non étayées »,expliquent-ils.

A Dakar, les heurts ont repris dès ce mardi à l’appel de personnalités de l’opposition qui conjurent les populations à la désobéissance civile. Evincée par la majorité parlementaire, celle-ci n’a en effet plus que la rue pour tenter d’arbitrer cette grave crise politique qui ouvre le pays à toutes les aventures

 

 

 

 

15 Commentaires

  1. Nous sommes des Sénégalais et voir ces genre d’article qui manipulent l’opinion publique sur la situation du pays et vraiment désolant.
    Les élections présidentielles sont repoussés car il y a deux institutions Sénégal qui sont en désaccord,
    Le président Macky Sall appel au dialogue pour sortir notre pays de cette impasse.

  2. Le Sénégal est un pays démocratique et libre
    Le président Macky Sall a pris une décision difficile mais il a été constant dans toutes ces décisions.
    Aujourd’hui il appelle au dialogue le mieux à faire c’est de répondre pour sortir de cette impasse

  3. Il suffit juste de voir le bon côté des choses ce report est une opportunité de dialogue d’élucider les failles afin d’avoir des élections transparentes il n’y a aucun conflit

  4. Le coup d’état institutionnel du président sénégalais est une grave violation de la démocratie et de l’ordre constitutionnel.

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