L’armée algérienne en quête d’une sortie de crise controlée

Après l’échec des tentatives du président Tebboune, élu le 12 décembre 2019, pour créer un cadre politique légal, l’institution militaire multiplie les initiatives qui permettraient de donner au régime une façade respectable.

Début décembre, une réunion avait lieu sous la présidence du général Chengriha, chef d’état major, qui rassemblait  les chefs des services algériens et les patrons de l’armée. L’objectif de cette rencontre était de combler le vide politique qui caractérise l’Algérie aujourd’hui à travers des initiatives ciblées en direction de la société civile.
Le 21 décembre à Ain Naädja et dans la foulée, un colloque était organisé, toujours à l’initiative de l’armée, contre « les campagnes médiatiques hostiles » orchestrées contre le pouvoir. Des « stratégies de réponse et de  confrontation » étaient proposées. « Il s’agit, déclarait le général Chengriha,  de mobiliser tous les secteurs sans exclusive au premier rang desquels le secteur des medias pour faire face aux plans hostiles ». Il faut, estimait le chef de l’armée, « consolider le front intérieur ».
L’institution militaire algérienne, confrontée à une mobilisation populaire qui n’a pas faibli depuis trois ans, tente de créer aux forceps un décorum politique qui puisse présenter un semblant de légitimité. C’est le général Chengriha, omniprésent sur les chaines télévisées, qui est désormais en première ligne, même pour recevoir la coup de football remportée par l’équipe nationale lors du championnat inter arabe (voir l’image ci dessous)

Des recettes éprouvées

Parallèlement, un groupe de réflexion vient de se constituer à la Présidence algérienne pour lancer de nouvelles initiatives politiques. Détail significatit, cette instance est désormais sous la coupe du conseiller aux « affaires réservées », le colonel Mohammed Chafik Mesbah. Il s’agit d’un ancien gradé des services secrets de l’ex DRS. La Présidence elle même est désormais sous haute surveillance.
Après avoir été décimé depuis 2015, le DRS reprend la main sur de nombreux leviers au sein de l’institution militaire, avec une réelle capacité à créer des espaces politiques viables. Ses recettes? une répression ciblée, une corruption généralisée et un dialogue sélectif. Ce que ces militaires sans états d’âme ont expérimenté avec succès, sous la férule du général Mediene (dit Toufik), durant la décennie noire (1992-1998) 
 

Les ratés de Tebboune

Traditionnellement en Algérie, l’institution militaire possède la réalité du pouvoir mais ne l’exerce qu’à l’abri d’une façade civile représentée notamment par la Présidence de la République. Porté au sommet du pouvoir par l’arméeen décembre 2019, le président Tebboune a tenté de bâtir un socle institutionnel rénové en faisant adopter, par référendum, un nouveau texte constitutionnel. La communication de la Présidence tentait de distinguer le bon grain de l’ivraie. À savoir le Hirak « authentique » du Hirak « anarchiste » qu’il s’agissait de combattre.

À l’appui de cette nouvelle donne, la Présidence a tenté de débaucher un certain nombre de personnalités et de mouvements politiques. La prise de guerre la plus sérieuse de Tebboune aura été le mouvement kabyle traditionnellement d’opposition, le FFS, qui rentre alors dans le rang.

« L’essentiel est le résultat », a voulu croire le président Tebboune dans une récente interview télévisée. Les tentatives de récupération du Hirak qui se traduisent par la cooptation des figures tels que Samir Bellarbi, ou Rachid Nekkaz à leur sortie de prison, se sont multipliées. Seul souci, les objectifs de pacification politique de la Présidence n’ont pas été atteints. Cette stratégie a marqué le pas face à la détermination des mobilisations populaires et à l’usure de la classe politique. De plus, le choix stratégique du Hirak, monstre à mille têtes,  de refuser toute structuration, l’a affaibli mais lui a permis d’échapper à une décapitation radicale.

Le Hirak, affaibli mais présent

Pour les maîtres de l’appareil sécuritaire, il s’agit de siffler la fin de la récréation. L’heure est à la prise en charge totale du champ politique, quitte à reprendre parfois la rhétorique du Hirak. C’est dans cette logique que des anciens réseaux, mis en veille depuis l’éviction de Bouteflika, ont été réactivés de nouveau au sein de la société civile pour le lancement des initiatives politiques à venir.

Ainsi des ex activistes du Hirak instrumentalisés par les militaires ont appelé à l’organisation d’un « Congrès pour la volonté populaire » en janvier 2022.  Il s’agit pour ces ralliés au pouvoir militaire de noircir le tableau économique du régime pour se substituer aux agitateurs du Hirak. Au nom de « l’unité nationale »,  des termes que ne réfuterait pas le général Chengriha

Bien qu’affaibli par une répression sans précédent (1), le Hirak, adossé à une diaspora active et omniprésent sur les réseaux sociaux, représente encore une grave menace pour un système recomposé à la hâte. La population dans sa grande majorité tourne le dos à une feuille de route politique qui a fait long feu. Les records d’abstention signent cette désaffection grandissante. 

En s’installant définitivement aux commandes du pays, l’institution militaire algérienne, minée par les purges incessantes, les guerres claniques et l’instabilité régionale, prend un risque considérable d’implosion.

(1) Plus de 325militants connus du Hirak sont détenus dans les prisons algériennes

Guerres de clan au sein de l’armée algérienne (suite)

L’image de la semaine: le général Chengriha, le seul vrai patron à Alger

 

1 COMMENTAIRE

  1. « De plus, le choix stratégique du Hirak, monstre à mille têtes, de refuser toute structuration, l’a affaibli mais lui a permis d’échapper à une décapitation radicale. » Tout est bien résumé dans cette phrase, le Hirak 3.0 qui va se greffer au tourbillon de effondrement économique qui s’annonce avec la levée des subventions notamment celles concernant l’énergie. Le peuple n’a plus rien à perdre cette fois devant ce régime sanguinaire qui s’attaque aux démunis en les terrorisant.

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