La situation inédite qui voit de nombreux gradés emprisonnés s’explique par la volonté du haut commandement militaire d’éliminer les factieux et de redonner à l’armée son unité
Les généraux algériens sont nombreux désormais à être détenus. Voici deux jours encore, le général Bouazza, puissant patron du contre espionnage, était écarté puis emprisonné.
Ces derniers mois, une terrible instabilité s’est emparée des services de sécurité algériens. On a assisté à un incessant turnover depuis le limogeage en 2015 du légendaire chef de l’ex DRS (services algériens), le général Mohamed Mediene, alias Toufik. Un grand nombre d’officiers supérieurs est mis à la retraite, arrêté, jugé, ou en fuite à l’étranger. Du jamais vu au sein d’une institution militaire qui avait l’habitude de régler ses problèmes en interne et dans le plus grand secret !
Depuis cet automne, la guerre souterraine entre clans s’est accentuée encore avec la disparition brutale du général Ahmed Gaid Salah. Une recomposition est à l’oeuvre où une partie de l’ancien DRS, notamment certains cadres aguerris, a rallié le haut commandement militaire ou la Présidence, en permettant la mise à l’écart des clans tentés par l’élimination brutale de la vieille garde.
Les hauts gradés, dans leur majorité, ont finalement opté en faveur d’une cohésion de l’institution plutôt que pour un saut de génération brutal.
Gaïd Salah, la concentration du pouvoir
Jusqu’à son décès en décembre dernier, l’ex vice-ministre de la défense et chef d’Etat major, Gaïd Salah, avait réussi à concentrer les pouvoirs militaire et politique, après la mise à l’écart du président Bouteflika. Sous la pression des revendications du Hirak, un prétexte inespéré, le génral Toufik diabolisé était emprisonné et l’appareil sécuritaire, sinon réorganisé, d umoins purgé des éléments soupçonnés de connivences avec l’ancien DRS..
La disparition du général Ahmed Gaid Salah a changé la donne en chamboulant une nouvelle fois les rapports des forces au sein de l’institution militaire. Une logique de concurrence entre services s’est manifestée au grand jour. Des centres de décisions, sur fond de réseaux clientélistes, font leur apparition, favorisés sans doute par la position instable du nouveau chef d’Etat major, Saïd Chengriha. Nommé à titre intérimaire, ce général major de 74 ans ne bénéficie pas, comme son prédécesseur, du titre de vice ministre de la défense (le Président conservait en Algérie le titre de ministre).
C’est dans ce climat incertain qu’un trio de généraux, composé des géénraux Ouassin Bouazza ,patron de la DGSI (contre espionnage), Abdelkader Lachkham, directeur central des transmissions, et Mohamed Kaidi, va tenter d’accélérer le cours de l’Histoire. Deux d’entre eux, Bouazza et Kaidi, avaient opté pour la candidature de l’ancien ministre de la Culture de Bouteflika, Azzedine Mihoubi, contre Abdelmadjid Tebboune, adoubé par le chef d’état major d’alors, Gaïd Salah. Ce qui valut aux deux généraux un sévère avertissement du chef des armées.
Au lendemain de l’intronisation de Tebboune comme Président, le même trio de comploteurs croit son heure arrivée, comme Mondafrique l’avait raconté. Ce qui lui a valu une interdiction totale en Algérie.
La colère des Chefs des régions
Face aux risques de déstabilisation, de nombreux chefs de régions contestent la position « intérimaire » du successeur de GaId Salah, qui fragilise la cohésion des politiques menées au niveau régional et instaure un jeu d’équilibre pervers.
Le 17 mars, un chef de région, imposé par ses pairs, Ammar Atamnia, est imposé au poste de commandant des forces terrestres. Les grands féodaux de l’armée marquent leur territoire. Un nouveau coup va conforter leur influence. Voici une semaine, un des trois généraux comploteurs, Mohammed Kaidi est nommé à la tète du « département préparation et emploi » qui sous l’autorité directe de l’état major coiffe l’ensemble des services de renseignement. Cette prise de guerre décisive de l’état major fait éclater le trio des ambitieux. Dans la foulée, le général Bouazza, chef de la DGSI, est arrêté le 13 avril par les agents de la DCSA (renseignement militaire).
Quant au patron des transmissions au sein du Ministère de la Défense Nationale, le général Lachkham, son sort a été scellé le 15 mars par le transfert du centre d’écoute de Reghaia, qui dépendait de ses services, à la présidence, mais sous contrôle d’un officier de la DCSA (renseignement militaire). On peut imaginer que Lachkham est aujourd’hui plus près de la porte que de l’augmentation !
Le poids du renseignement militaire
La cohésion de l’armée, qui passait par la mise à l’écart des dissidents, se traduit par la mainmise du renseignement militaire sur l’ensemble du monde des services algériens. La nomination du général Sid Ali Ouled Zmirli à la tète de la DCSA, à la place du général Abdelwahab Belbouri, dit Nabil, est un signe qui ne trompe pas. Après une mise à l’écart brutale voici trois ans, le retour de ce pur produit du monde du renseignement traduit une reprise en main.
Autre signe fort, le général Mohamed Bouzit, alias Youssef, est nommé à la DDSE (direction de documentations des services extérieurs), l’équivalent de la Dgse française. Il remplace le colonel Mohamed Kamel Remili, dit Rachid, un esprit brillant qui après un bref passage à Washington comme attaché de défense et un poste de confiance auprès de Gaïd Salah, avait été recasé à la tète des services extérieurs. IL est prié aujourd’hui de démissionner de ses fonctions opérationnelles pour cause, dit-on, de collaboration avec le trio (1) .
Le dernier maillon dans restructuration est la nomination, au poste du directeur par intérim du service du contre-espionnage, du général Abdelghani Rachedi qui remplace ainsi le général Ouassini Bouazza. Le Général Rachedi n’est pas issu des services du renseignement proprement parlant, mais de l’armée de terre, le coeur du pouvoir militaire. Ses fonctions antérieurs de directeur des hautes études dans la sécurité dépendant de l’ANP le préparent effectivement à ses nouvelles fonctions.
Des réseaux persistants
Il est possible qu’un poste de ministre délégué à la défense ou même vice-ministre à la défense soit octroyé à un militaire. Mais c’est la nomination d’un chef d’Etat major permanent qui imposerait une certaine efficacité dans l’exécution des décisions. « Un tel choix, indique à Mondafrique une source au sein de l’armée, maintiendrait l’homogénéité de toute l’institution militaire dans une démarche de verticalité ». Et d’ajouter: » L’arrestation du général Bouazza, et la mise à l’écart du Général Lachkam, sont des moyens de parer à des crises futures ».
Les réseaux des deux généraux au sein de l’armée sont encore bien vivants. Des généraux en fonction seront mis à l’épreuve des enquêtes, tel que les généraux Ammar Amrani et Ali Akroum. Le premier est un haut responsable de la sécurité défense du territoire au sein de l’armée de l’air, tandis que le second est le directeur central de la logistique et de l’importation au sein de l’armée.
Quand prendront fin les purges au sein d’une institution militaire paralysée? Et à quel moment l’armée algérienne retrouvera sa capacité à négocier avec une société algérienne plus mobilisée et responsable que jamais un compromis historique? En pleine crise du coronavirus, un test de la capacité de l’armée à défendre les citoyens mais un frein aux mobilisations populaires, personne ne peut imaginer avec la moindre certitude ce que sera l’avenir politique de l’Algérie.
(1) Le général Youssef est l’un des artisans de la coopération dans le renseignement avec les Emiratis et les Saoudiens. Il maitrise également le monde du renseignement militaire pour avoir opéré comme responsable de sécurité militaire dans plusieurs régions du pays.