En se croyant imposer une autorité musclée sur l’ensemble des corps constitués, le chef d’Etat major, le général Said Chengriha, se trouve mis en cause par les révélations de l’adjudant-chef Guermit Bounouira, l’ homme de confiance de feu le géénral Gaid Salah, le vrai patron de l’Algérie mors du départ du président Bouteflia et jusqu’à son décès brutal fin 2019.
C’est la cohésion même du haut commandement qui est secoué par l’onde de choc provoquée par la diffusion des vidéos de Guermit Bounouira. Quant aux Algériens, ils découvrent médusés les contenus des révélations de l’officier de confiance de Gaïd Salah diffusés sur les réseaux sociaux par des opposants proches des islamistes et vivant à l’étranger.
Les deux premières vidéos lèvent le voile sur l’alliance entre l’actuel chef d’Etat major et les généraux incarnant l’ancien Etat profond , à savoir les services secrets de l’ex DRS qui sont en partie responsables de la tragédie des années noires 1992-1998. Ce sont les les généraux Toufik (patron du DRS), Djebbar Mehenna (conseiler du présideent algérien), Abdelkader Heddad alias Nacer Al Jen, Yahya Ali Oulhadj.
La chasse aux partisans de Gaïd Salah
Cette alliance, imposée par la conjoncture plus que par intérêt, s’est bâtie sur l’élimination des partisans du général Gaid Salah disparu dans des circonstances obscures. Ils sont considérés comme les premiers bénéficiaires de la déstabilisation suivis du clan du général Ben Ali Ben Ali chef de la garde républicaine ou du clan proche du général Kaidi évincé le 10 novembre dernier. Or, c’est une coagulation des contestations non affichées au sein différents gradés contre leur chef d’état-major Said Chengriha qui ont favorisé les fuites. C’est une manière de montrer sa vulnérabilité.
Les spéculations vont bon train au sein de l’institution comme du côté des observateurs sur l’origine des fuites. Mais, les concernés par le scandale ont déjà procédé à de véritable assainissement au sein de la prison de Blida comme au niveau du tribunal Militaire. Au lendemain de la première vidéo des arrestations en masse au sein du personnel du tribunal militaire à commencer par son directeur et son adjoint (colonel Saâdi et commandant Loucif) mais aussi le personnel militaire de la Prison de Blida.
Des enquêtes sont diligentées en urgence à l’intérieur de la prison. Le chef d’état-major a confié la mission au Général Djebbar Mehenna le tout nouveau directeur général de la sécurité et de lutte contre la subversion (DGSLS). Une structure récente chargée de la coordination entre les services ; chapeautant la DCSA, DGSI, DDSE et dépendant directement de l’État-major. Le choix du général Djebbar Mehenna s’est porté sur la DGSI dirigée par le général Abdelghani Rachedi. Or, une affaire aussi grave concernant l’armée devrait échoir à la DCSA tant qu’elle concerne au premier chef des militaires.
Il est vrai que depuis la réintégration de la DCSA au sein de l’État-major, celle-ci a été complètement investie par les proches de Gaid Salah. Son actuel directeur, Sid Ali ouled Zmirli est affaibli par la maladie, n’a pu faire le ménage au profit de Chengriha des éléments Gaidistes encore en poste.
Par peur de voir l’enquête noyautée par les bénéficiaires des révélations de Bounouira, le général Djebbar Mehenna charge le colonel Heddad Abdelkader alias Nacer Al Jen directeur du CPMI (centre principal militaire d’investigations) Antar réputé pour être quelqu’un d’impitoyable. Il a immédiatement transféré Bounouira de la prison militaire de Blida vers une prison secrète sur les hauteurs d’Alger afin de ne plus avoir de contact qu’avec les éléments de la DGSI. Entre-temps, l’ensemble du dispositif sécuritaire de la prison de Blida a été relevé pour les besoins de l’enquête et remplacé par des nouveaux désignés par la DGSI.
Les arrestations ciblées ont touché le tribunal militaire de Blida où un grand nombre d’officiers sont aux arrêts. Parmi eux le vice procureur de la république le colonel Farid Boukhari. Ces arrestations tous azimuts créent un climat délétère. Une véritable paranoïa s’est installée au sein des hauts gradés de la 1ère région militaire.
Le général Tireche dans le collimateur
Le colonel Abdelkader Heddad alias Nacer El Jen est connu pour sa brutalité et ses méthodes expéditives. Un profile idoine est difficile à dénicher, car de telle manœuvre porte l’empreinte d’un groupe organisé et structuré ayant une stratégie définie et des objectifs à atteindre. Des doutes se sont portés sur un panel d’officiers ayant des profils préétablis.
C’est dans cette logique que le nom du général Lakhdar Tireche s’est dégagé. Il a été désigné par Gaid Salah à la direction de la DCSA entre 2013 à 2018 en remplaçant le général Djebbar Mehenna. Mais auparavant, le général Tireche était le directeur du service des archives de la DRS. Sa nomination à la DCSA en 2013 coïncide avec la réintégration de celle-ci à l’État-major dirigé par le général Gaid Salah. Elle coïncide également avec la période des purges des éléments du général Toufik entre 2013 à 2015 suite aux enquêtes de la DCSA.
Dès sa nomination, le général Tireche s’est entouré de deux officiers ayant travaillé avec lui au service des archives de la DRS : le général Kamel Benmiloud (Caniche) nommé directeur du CPMI et le colonel Mahmoudi Oussama directeur de son cabinet. Ces deux officiers ont participé au tri des éléments proches du général Toufik pour leur mise à l’écart.
La relation entre l’adjudant-chef Guermit bounouira et le général Lakhdar Tireche est connue. Les deux se connaissent parfaitement bien étant donné que le premier est issu de Theniet El Had (Tissemssilt) alors que le second est Ksar Chellala dans la wilaya de Tiaret.
La réaction des enquêteurs dénote l’encombre dans lequel se trouve le haut commandement. Soucieux de trouver un coupable afin de parer à ce revers et relever le moral des troupes. Le choix s’est porté sur haut gradé répondant aux critères pouvant corroborés les suspicions.
Le Président Tebboune, un franc soutien à Chengriha
Sans qu’elle ne coïncide avec une date symbolique, le président Tebboune s’est rendu au siège du ministère de la défense ce mardi 18 janvier. C’est en sa qualité de chef des forces armées et ministre de la défense qu’il est reçu par le chef d’Etat-major le général Said Chengriha, le Commandant de la Garde Républicaine, le Secrétaire Général du Ministère de la Défense Nationale, les Commandants de Forces et de la Gendarmerie Nationale, le Commandant de la 1ère Région Militaire, le Contrôleur Général de l’Armée, ainsi que les Chefs de Départements du Ministère de la Défense Nationale et de l’État-Major de l’Armée Nationale Populaire.
L’ombre des vidéos de Guermit Bounouira planent dans les esprits de l’ensemble du haut commandement présent au MDN. Un déploiement cérémonial qui affiche une apparente solidarité du corps au sein d’une institution qui a subi d’imprévus soubresauts. La visite du président Tebboune est une aubaine pour l’état-major. Elle marque ainsi un soutien de la présidence à l’armée dans un jeu de rôle qui cache les vraies raisons du malaise.
Jusque-là, le protocole est respecté. Le couac est le suivant : le général Chengriha ne prend pas la parole seulement pour souhaiter la bienvenue à son supérieur hiérarchique mais se lance dans un discours fleuve. Il devait laisser le discours du président prendre toute son importance. « C’est le plus fort qui prend en premier le droit à la parole » dixit l’adage populaire. Le général Chengriha n’a fait que mettre en application cette maxime.
Le discours politique de Chengriha
Il déclare : « Il ne fait pas de doute que cette visite revêt une symbolique particulière, en ce sens qu’elle intervient en ce début d’année 2022, pour laquelle nous nourrissons l’espoir qu’elle soit empreinte de vigueur, d’effort et de nouveaux exploits prometteurs, qui s’ajouteront à ceux que vous avez déjà réalisés lors des deux dernières années ».
La visite d’un président cumulant officiellement les fonctions de chef des forces armées, de ministre de la défense « revêt une symbolique particulière » est une incohérence protocolaire. S’il est ministre de la défense, il ne doit être que chez lui au MDN. L’abaissement de Tebboune a atteint tous les niveaux d’humiliations. Le discours de Chengriha était diffusé par vidéoconférence, à l’ensemble des Commandements de Forces, des six Régions Militaires, des grandes unités et des Écoles supérieures implantées en territoire national.
Profitant de l’auditoire et de la diffusion, le général Chengriha se lance dans un discours aux allures purement politique évoquant l’économie, la finance, la sécurité alimentaire et promet de mettre l’Algérie sur le chemin du progrès et du développement. « En effet, vous aviez annoncé, Monsieur le Président, que 2022 sera l’année de l’économie par excellence, notamment à travers, la diversification de nos ressources financières, la concrétisation de notre sécurité alimentaire et notre autosuffisance dans les domaines à caractère stratégique, l’objectif étant de remettre l’Algérie sur les rails du développement et du progrès ». disait-il.
Il évoque la question sécuritaire qui la lie à l’économie en suggérant que : « à ce titre précisément, nous sommes entièrement convaincus que la sécurité et l’économie sont interdépendants l’un de l’autre, la sécurité étant une condition intrinsèque au développement de l’activité économique, tandis qu’une économie forte contribue largement à la sécurité et à la stabilité ».
Le dessein des ennemis selon le général Chengriha
Sans évoquer les vidéos de Bounouira, le général Chengriha cite dans son discours d’intensification de campagnes hostiles au pays. Or les vidéos ciblent les généraux importants détenant un pouvoir sans limite. Il produit une dialectique discursive aux relents nationalistes.
« Devant l’impossibilité de la concrétisation de leur dessein, les ennemis ont eu recours à l’intensification des campagnes hostiles à notre pays, visant à entraver ses efforts louables en direction des peuples opprimés et en faveur des causes justes. A cela s’ajoute leur vaine tentative de démoraliser notre valeureux peuple et de briser le lien sacré qui le relie à sa glorieuse histoire ». « Ces desseins macabres et ces campagnes de propagande seront voués à l’échec total, tant qu’il y a des hommes dévoués à la patrie et fidèles à leur engagement. »
Il termine son discours par un mécanisme de défense qui trahit sa pensée en réitérant à sept reprises le vocable fort. « En effet, Monsieur le Président, nous sommes forts. Forts par notre foi, forts par notre conviction, fort par notre intégrité, forts par nos capacités, forts par notre détermination, forts par notre dévouement à l’Algérie et à la mémoire des millions de nos valeureux martyrs. Oui, nous sommes forts et, pour cette raison, les ennemis de l’Algérie ne réussiront jamais à parvenir à leurs fins abjectes ».