Témoin engagé en faveur d’une Algérie réconciliée avec elle même et démocratique, Djaffar Amokrane revient, dans un premier papier, sur le jeu politique complexe qui s’éternise entre le peuple mobilisé, l’institution militaire et les réseaux de l’ancien DRS (police politique algérienne).
« Il faut beaucoup de force de caractère pour détacher son esprit des sens et dégager sa réflexion des idées reçues ».Cicéron.
L’histoire de l’Algérie démocratique débuta un 22 février par un« NON » au cinquième mandat. Depuis, les partisans de ce non naissant ont emprunté le sentier des défis, traversé les barrières de la peur et emprunté les habits de révolutionnaires déterminés. Le surgissement de cette conscience citoyenne draine derrière elle une mobilisation jamais égalée de la jeunesse, mais aussi du reste de la société algérienne.
Un dramatique face à face
La dynamique populaire est désormais enclenchée, éprise de valeurs et armée de détermination, qui ébranle l’ordre établi, fissure les centres périphériques du pouvoir, désoriente les clientèles politiques et déstabilise jusqu’aux opposants traditionnels. Hélas, le Hirak entre aujourd’hui dans les brumes de l’automne avec une visibilité affaiblie par les intrusions intempestives de courants politiques souterrains et les arrestations souvent aléatoires..
Face à cette situation inédite, l’Etat Major de l’armée algérienne, qui détient l’essentiel du pouvoir, a décrété l’organisation d’élections présidentielles pour le 12 décembre afin de couper court à toutes les surenchères venues de l’Etat profond et de ses relais. Du coup, l’option d’un sortie de crise sans rupture franche a écarté toute transition longue,, telle qu’elle est revendiquée par la pression populaire. Nous voici entrés dans une phase d’affrontement entre deux scénarios antagonistes.
Comment, sans accord, imaginer un président élu en décembre avec un quitus de 10 à 15% de participation, un pourcentage donné par des enquêtes menées discrètement ? Quelle sera la légitimité du pouvoir auprès des Algériens et sa crédibilité dans le concert des nations? Comment répondre à la conscience citoyenne née depuis plus de huit mois par un simulacre d’élection? Comment dire aux citoyens, au lendemain du 13 décembre, « circulez il n’y a rien à voir »? Une élection présidentielle imposée à marche forcée ne fait qu’ouvrir les portes un futur incertain.
L’ennemi invisible.
Le malheur est que les réseaux de l’ex DRS, cette police politique qui fut au coeur du système, s’est mué en un troisième acteur du jeu politique actuel. Les discours, chaque mardi, du chef d’Etat Major, Gaïd Salah, dénoncent les réseaux de l’ex DRS, mais sans les nommer. Lequel DRS, sans apparaitre, déploie des prouesses pour canaliser la contestation en la transformant en un réquisitoire contre l’armée nationale, sans laquelle le pays serait menacé d’implosion.
Dans ces règlements de compte incessants, le renseignement militaire (DCSA), le bras armé de l’Etat Major , a procédé à un turn over de ses chefs qui est inédit dans l’histoire des services algériens. En moins d’un an, trois de ses patrons successifs ont été congédiés: l’un est en prison, un second en réserve, et un troisième en liste d’attente pour rendre des comptes.
Le risque d’implosion est omniprésent au sein de la grande muette. Une instabilité pèse sur ses structures les plus essentielles. Le nombre de hauts officiers arrêtés, emprisonnés, en fuite ne cesse d’augmenter, source d’instabilité de l’ensemble du système militaire. Ainsi, cette lutte implacable entre l’Etat Major et les anciens du DRS provoque une déconnexion de la réalité et une absence de projet pour sortir le pays du marasme.
Une Révolution sans leaders
L’ex DRS mise sur l’implosion de haut commandement militaire, alors que ce dernier espère l’essoufflement du Hirak et affiche sa fermeté, sans pour autant disposer de la force politique qui reste le monopole des Hirakistes.
Le duel existentiel entre l’Etat Major et les anciens du DRS ne doit pas s’éterniser aux dépens des intérêts vitaux du pays. L’absence de vision politique plombe l’avenir, tout comme la crise économique et sociale qui est menaçante. Les instances financières internationales attendent l’épuisement des réserves de changes en Algérie pour imposer leur diktat habituel.
Entre Etat Major et DRS, le Hirak demeure la seule force occupant effectivement le terrain, mais hélas dénué de toute représentativité. Fort de sa seule capacité de mobilisation chaque vendredi, le Hirak doit ériger des passerelles pour conquérir un espace effectif dans l’arène politique. A ce titre, il doit disposer d’une représentativité politique issue de ses propres forces, sans tutorat ni prise en charge extérieure. L’avenir de l’Algérie reste sombre, tant que le peuple mobilisé ne dépend pas exclusivement de ses propres forces et n’affiche pas ses propres valeurs.
« Qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouve une excuse » rappelle l’adage algérien.