Acteur et réalisateur africain de renom, l’ivoirien Sidiki Bakaba connu pour son amitié avec l’ancien chef d’Etat Laurent Gbagbo est tombé de sa chaise en ouvrant, le 1er juin, le recommandé du Tribunal de Grande Instance de Paris.
Convoqué chez la juge d’instruction Emmanuelle Debos le 6 juillet à la demande des autorités judiciaires de Côte d’Ivoire, les charges qui lui sont reprochées sont lourdes : « meurtre, menaces de mort, complicité de violences (…), atteinte à la liberté individuelle ». Des accusations portant sur des faits « commis le 8 avril 2011 ou, en tout cas, courant 2011 » selon la lettre.
De la victime au bourreau
Ce fut l’une des périodes les plus troubles de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, lorsque, à l’issue, des présidentielles de 2010, Laurent Gbagbo avait refusé de reconnaître la victoire très contestée d’Alassane Ouattara. Une guerre civile sanglante avait alors plongé le pays dans le chaos, déclenchant l’intervention de la France et de l’Onu qui avaient délogé l’ex président le 11 avril 2011. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, 3000 personnes ont perdu la vie lors de ces affrontements.
A l’époque, Sidiki Bakaba préside depuis dix ans le prestigieux Palais de la Culture d’Abidjan. A la tête de l' »Actors Studio d’Abidjan », il forme par ailleurs de jeunes acteurs au métier. Soutien indéfectible de Laurent Gbagbo, son domicile est situé dans le quartier chic de Cocody tout près de la résidence présidentielle. Quand les violences éclatent dans la capitale ivoirienne, il filme les affrontements, l’arrivée des forces françaises et celle des soldats de l’Onu, mais aussi, à la résidence de Laurent Gbagbo où il se réfugie, les conciliabules, les inquiétudes des dirigeants de l’époque. Une démarche semblable à celle de 2004, lorsque pour son son documentaire « La victoire aux mains nues », Sidiki Bakaba avait capté la colère de centaines de jeunes ivoiriens s’opposant à l’offensive des forces françaises suite au bombardement de la base française de Bouaké.
Rebelote lors de la crise de 2011 affirme l’acteur ivoirien. « Quand les hostilités ont commencées, ma rue a été particulièrement visée par les bombardements de l’ONU, à tel point que je devais enjamber les cadavres pour rentrer dans ma maison. J’ai pris alors la résolution de filmer pour qu’il reste des traces de ces évènements devant l’Histoire » écrit-il dans une lettre adressée au Secrétaire général de l’Onu à New York, le 6 juin dernier.
La suite des évènements de l’époque, Sidiki Bakaba l’a racontée des dizaines de fois aux journalistes. Le bombardement de l’hélicoptère français sur la résidence présidentielle, les coups de crosse de kalachnikovs assénés par les milices « dozos », le poignard qui l’atteint à l’épaule, les morceaux d’obus que les médecins lui retirent du corps. Les soldats français qui le sauvent du peloton d’exécution des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) soutenant Ouattara. Enfin, l’exil en France grâce aux démarches de son épouse déjà présente sur place. Un récit encore jamais remis en cause qui lui valu longtemps l’image d’une victime. Jusqu’à ce que la convocation au TGI de Paris menace de le faire passer du côté des bourreaux.
Une épine dans le pied de Ouattara
Le conseiller d’Alassane Ouattara à l’époque, Joël N’guessan, avait déjà lancé les hostilités en juin 2015 par voie de presse. Dans plusieurs interviews il avait accusé le réalisateur d’avoir menacé de l’abattre avec un pistolet et d’avoir filmé – en montrant des signes d’enthousiasme – la tuerie de ses gardes du corps et de son chauffeur. Des allégations dénoncées par Sidiki Bakaba comme une tentative de « détruire son nom ». Aucune poursuite judiciaire n’avait alors été lancée.
Mieux, jusqu’à présent, le réalisateur entretenait des rapports cordiaux avec les autorités de son pays. « J’étais régulièrement reçu à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris où j’intervenais notamment à la radio » explique-t-il. En 2014, c’est même lui qui accompagne la délégation officielle de la Côte d’Ivoire au Festival de Cannes sur invitation des autorités ivoiriennes. Pourquoi l’appeler à comparaitre maintenant ? Inquiet de l’issue du procès Gbagbo en cours à la CPI, le pouvoir ivoirien souhaiterait-il écarter un témoin dérangeant ? Dans les cercles politiques ivoirien, beaucoup le pensent. Incomprise, perçue comme un soutien contre nature, la fidélité inconditionnelle de ce malinké du nord à l’ex chef de l’Etat est, depuis longtemps, une épine douloureuse dans le pied des dirigeants ivoiriens.
Reste que depuis quelques semaines, Sidiki Bakaba agace, pour d’autres raisons, la présidence. En tentant de se faire indemniser pour avoir occupé les fonctions d’ambassadeur itinérant pour la culture, poste accordé par Laurent Gbagbo en octobre 2010 par décret inscrit au journal officiel, le réalisateur s’est attiré les foudres des autorités. Celles-ci ont notamment peu apprécié les courriers adressés par le réalisateur à l’Onu ou au Ministre des affaires étrangères français Jean-Marc Ayrault pour réclamer son dû. « Au nom de la continuité de l’Etat, la logique voudrait que Sidiki Bakaba soit indemnisé » assure l’un de ses proches. Faux répond-on du côté du parti au pouvoir où l’on refuse de reconnaitre les titres accordés par l’ancienne administration. Pourtant, dans une lettre transmise par les services du Ministère des affaires étrangères ivoirien à l’avocat de Sidiki Bakaba, Niangadou Aliou, le 29 décembre 2015, les autorités semblaient donner raison à l’acteur ivoirien. « Le décret de nomination faisant foi, mes services s’attèleront à solliciter auprès du Ministère de la fonction publique et de la réforme administrative le reclassement catégoriel et indiciaire de votre client » indiquait la lettre que Mondafrique a pu consulter.