« Monsieur Touadéra, vous vous êtes accaparé le pouvoir de l’État »

Une lettre ouverte publiée sur le site internet d'information Alwihda interpelle vivement le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra accusé de "recycler" les anciens proches de l'ex président Bozizé

Monsieur le Président de la République,
Très respectueusement :La direction dans laquelle vous avez décidé de conduire le pays incite à l’inquiétude. Et c’est un euphémisme. Pis, elle réveille chez nos compatriotes de terribles souvenirs qu’ils auraient préféré enfuir le plus profondément possible dans un coin inaccessible de leur mémoire, notre mémoire collective. Cette direction, disais-je, rappelle aussi, malheureusement, que dans le contexte actuel où notre pays, la République centrafricaine, tente de sortir de la plus grave et la plus douloureuse crise de son histoire politique, votre élection à la magistrature suprême de l’État ne pouvait tomber plus mal. Personnellement, je l’avais regretté. Très sincèrement. Je vous le dis. D’ailleurs, je demeure convaincu que nos compatriotes, y compris ceux qui vous ont soutenu, la regretteront. Amèrement. Mais comme vous le savez, aucun « si » n’a d’issue et que les « si » arrivent toujours trop tard.

Aujourd’hui, manifestement, l’avenir parait fort sombre. Des avis de tempêtes se multiplient pour cause de vos multiples errements. Les nuages s’amoncèlent au-dessus de nos têtes à cause de vos certitudes coupables mais hélas, vous ne vous en apercevez guère. Il est fort regrettable que vous ne soyez pas sorti, près de trois mois après, de l’euphorie de votre soi-disant victoire pour prendre la mesure des enjeux et trouver des réponses adéquates aux nombreuses problématiques qui se posent avec une acuité pressante à la communauté nationale et qui se complexifient à chaque instant.

À ce stade de mon propos et pour être tout à fait honnête, je dois vous avouer (même si vous l’aurez compris) que je m’étais rigoureusement gardé de vous accorder mon suffrage. Je n’ai d’ailleurs pas plus donné ma voix à votre challenger du second tour de la présidentielle. En fait, j’avais choisi de ne pas choisir entre la peste et le choléra, même si, là encore, ce fut un choix. Deux raisons fondamentales sous-tendaient ma démarche.

D’abord, parce que je me méfiais et que je continue invariablement de me méfier de vous. Pour moi, vous êtes un homme dangereux. Souffrez que je vous dise que c’est votre absence d’opinion, même sur les sujets les plus brulants, qui renforce votre dangerosité à mes yeux. Vous êtes un homme incolore, inodore et sans saveur. Vous êtes comme l’eau. Or, l’eau peut être un liquide dangereux pour les hommes qui peuvent s’y noyer.

Cela dit, vous apparaissez comme quelqu’un qui n’a pas de position mais en réalité et, pour peu que l’on vous connaisse, votre opinion, c’est vous-même. Votre parti, ce sont vos intérêts personnels que vous placez au dessus de l’intérêt général. C’est d’ailleurs une constance chez vous. Vous me diriez que c’est humain et que sous le ciel centrafricain vous ne faites pas l’exception. Je vous le concède volontiers.

Ensuite, je n’ai pas oublié, et de nombreux Centrafricains avec moi, que vous êtes celui qui, en tant que Premier ministre, s’était accommodé durant cinq longues années, des dérives ayant conduit à la rébellion Séléka. Vous portez incontestablement une part de responsabilité non-négligeable dans la descente aux enfers de notre pays. Par votre couardise, vous avez créé les conditions objectives de la catastrophe qui nous a frappé. Mais comme vous n’avez pas eu le courage de faire acte de contrition sans lequel il n’y a point de rédemption, j’ai compris qu’en dépit de vos prétentions, vous n’avez tiré aucune leçon de ce passé détestable.

Monsieur le Président de la République,

Malgré mon refus de vous accorder mon vote, je n’ai point hésité à vous prêter allégeance. En démocrate authentique et en républicain incorrigible, je vous ai reconnu comme étant le chef de l’État légitime de notre pays. Mieux, j’ai adressé de nombreuses prières à Dieu afin qu’il lui plaise de vous faire grâce de la clair-voyance indispensable dans la conduite des affaires de l’État. Vous comprendrez donc que je ne nourris aucune animosité personnelle contre vous. Vous comprendrez également que la situation du pays est si fragile que nous allons, désormais, doubler de vigilance.

C’est fort de cela que je vous écris ces lignes pour tirer la sonnette d’alarme afin de nous éviter de retomber dans l’agonie. Je vous adresse cette lettre ouverte non point dans une démarche belliciste, encore moins dans un esprit de rancune, loin s’en faut, mais pour vous rappeler à temps que les problèmes viendront et que les crises majeures naitront simplement du fait que vous avez pris la mauvaise route.

À mon humble avis, même si je peux me tromper, vous avez choisi la mauvaise option. En attestent vos agissements en tant que président de la République. En effet, pour l’heure et jusqu’à preuve du contraire, tout semble converger vers une seule conclusion : vous vous êtes accaparé le pouvoir de l’État pour vous même et pour une poignée de vos proches à l’instar de votre mentor en politique, François Bozizé. À la seule différence qu’après le coup d’État du 15 mars 2003, le président Bozizé, lui, avait eu la bonne idée de s’entourer de presque toutes les intelligences du pays afin de renforcer son régime. Ce n’est que bien plus tard, justement à partir de votre nomination à la Primature, qu’il s’est essayé au tribalisme à outrance et on a vu où cela nous a conduit.

À peine les Centrafricains vous ont-ils élu que vous avez oublié vos slogans de campagne. Où en sommes-nous avec votre formule « le président de toutes les ethnies » quand vous vous employez à nommer dans la haute administration les membres de votre cercle familial ? Ainsi, vous ne vous êtes pas encombré du « qu’en dira-t-on » en nommant par exemple votre cousin Pierre Mapouka ou encore votre neveu Frédéric Théodore Inamo, respectivement inspecteur général d’État et directeur général des douanes. D’ailleurs, nous savons que toutes vos nominations passent d’abord sous la censure de François Bozizé qui vous indique les noms des personnes à nommer. En témoigne les dernières nominations au sein de l’armée !

D’ailleurs, dès le lendemain de votre investiture, c’est aux vôtres que toutes affaires cessantes, vous avez tenu à distribuer le bifteck républicain. Après avoir nommé un de vos hommes-liges comme directeur de cabinet, vous n’avez nullement hésité à confier la tête du gouvernement à votre autre vous-même de tous les temps, contrairement à toutes les prévisions et sans même préalablement aviser vos alliés du second tour. Ce qui aurait pu provoquer une rupture fracassante et prématurée au sein de ce qui pourrait être considéré comme la majorité présidentielle. D’autant que ce Premier ministre est qualifié par la communauté internationale de Bangui comme un homme dangereux.

Comme si cette crise ne suffisait pas, vous publiez la liste d’un gouvernement de bras cassés dans lequel sont exclues certaines entités qui vous ont pourtant apporté leur soutien et sans lesquelles votre victoire n’aurait pas été possible. Après quoi, vous attendiez pas moins de 45 jours pour nommer votre cabinet. Ce gouvernement bis de la présidence ressemble à s’y méprendre à la convergence KNK. Un recyclage pur et simple des anciens personnalités dont on connait leur incompétence notoire et dont on n’ignore leur mauvaise tendance à confondre les deniers de l’État avec leurs poches. C’est à croire que si l’on enlève votre masque, l’on découvrira inévitablement l’affreux visage de François Bozizé. Pour s’en convaincre, vous rameniez votre acolyte Youssoupha Mandjo à l’élevage (qui était déjà ministre de l’élevage du temps de Bozizé) parce que vous entendez reconstituer votre cheptel bovin entièrement décimé par les miliciens Séléka. Personne n’est dupe. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ne soyez pas surpris de reprendre le chemin de l’exil demain, tant, les Gambi, Gouandjika et autres Wyllibiro Sacko vous auraient conduit dans le mur.

Et ce, à un moment où, pour la plupart des observateurs, la pire des choses qui puisse arriver à notre pays c’est que Touadéra se « bozézise » ou qu’il se prennent pour un Bozizé light. Autrement, que le « touadérisme » si tant est qu’il existe ne se confonde avec le « bozizisme » dont les caractéristiques sont autre autres : une politique d’exclusion, le tribalisme à outrance, le népotisme, la prévarication ou encore une gestion patrimoniale de la chose publique.

Monsieur le Président de la République,

Vos actes régaliens témoignent simplement de votre incompétence politique et de votre inculture en matière de gestion de la chose publique. Vous donnez le sentiment de n’avoir pas été préparé pour assumer pleinement les fonctions de président de la République. J’affirme avec force que vous n’êtes pas un vrai chef; raison pour laquelle, reprenant à mon compte une expression du président Jacques Chirac devenue célèbre, vous ne pouvez pas « cheffer ! » Et comme dirait Léo Ferré à André Breton, vous n’êtes que ça en définitive : un amorphe leader, un piètre politicien qui use et abuse du double langage et qui s’en donne au cynisme en pensant ainsi affaiblir alliés et adversaires politiques. Sinon, comment comprendre votre attitude vis-à-vis de ceux qui vous ont spontanément apporté leur soutien entre les deux tours de la présidentielle ? Vous les traiter non pas comme vos alliés, c’est-à-dire des gens avec lesquels vous devez partager le pouvoir mais plutôt comme des adversaires. Ceux qui vous conseillent cette option suicidaire et dont on n’ignore la crasse d’esprit, vous trompent comme ils ont maintes fois trompé vos prédécesseurs. Quand viendront les difficultés, ils n’hésiteront pas à abandonner le navire en perdition.

Rien n’est plus détestable que le non respect de la parole donnée ! Or vous, vous faites de la non tenue des engagements une marque de fabrique. Ainsi, croyez-vous humilier vos partenaires mais en réalité vous sciez vous-même la branche sur laquelle vous êtes assis, en réduisant comme peau de chagrin la base politique de votre propre régime. À titre d’exemple, vous aviez promis une contribution financière aux leaders ou groupements politiques qui vous ont rejoint à l’issue du premier tour de la présidentielle afin de soutenir leurs candidats aux législatives qualifiés pour le second tour. L’idée, absolument louable, était de vous constituer une majorité sûre. À l’heure où j’écris ces lignes ces derniers attendent toujours cette contribution financière; est-ce sérieux de votre part ? plus grave, vous n’avez pas pris la peine de les informer d’un éventuel changement de décision. Manquant de courtoisie et, finalement, de respect pour vos alliés, vous ne les avez même pas préalablement informé de votre décision de nommer votre Premier ministre. Sentant venir le danger d’une rupture précoce entre vous et vos alliés, vous aviez organisé une réunion à la présidence de la République au cours de laquelle vous déclariez que votre choix aurait été dicté par l’urgence; que le Premier ministre ne tiendrait que le temps d’une mission à Washington et qu’il constituera un gouvernement de large ouverture. Même là encore, il n’en fut rien. Et je passe sur les circonstances rocambolesques dans lesquelles votre Premier ministre à former son gouvernement: il demandait aux entités de lui envoyer des noms par SMS. Quelle sacrée blague !

Même vis-à-vis des groupes armés, vous affichez une arrogance puérile. Ce qui est suicidaire. D’autant que de nombreux diplomates vous ont mis en garde contre une option revancharde qui compromettrait le processus du DDRR.

Pis, au lieu de vous assoir et de vous occuper des affaires du pays qui traverse encore une crise sans précédant, vous vous êtes découvert un nouveau métier : voyageur infatigable. Vous multipliez les déplacements inutiles qui vous permettent au passage de vous servir dans les caisses de l’État. Votre objectif, en définitif, est de vous remplir les poches assez rapidement. Chose très rare dans les annales politiques, à la place du ministre des Affaires étrangères, vous préférez votre directeur de cabinet avec lequel vous réalisez les affaires louches. Or, dans tous les pays du monde, c’est le directeur de cabinet du chef de l’État qui tient la maison, comme on dit. Il traite les dossiers, élabore les stratégies, reçoit les personnalités qui en font la demande etc. Mais à quel moment Firmin Ngrebada fera son job de directeur de cabinet s’il passe le clair de son temps entre deux avions en votre compagnie ? Il est temps que vous vous ressaisissez.

Monsieur le Président de la République,

Que voulez-vous laisser en héritage ? Une autre catastrophe ? La rébellion Séléka que vous avez contribué à créer ne vous a-t-elle pas suffit ?

Si vous continuez à glisser sur cette pente dangereuse de l’exclusion, d’arrogance puérile et du tribalisme revanchard, qui sait si vous ne serez pas amené à accepter sous la contrainte de la violence armée, des mesures humiliantes que celles que vous n’aurez pas eu la volonté de prendre vous-même. Pourquoi voulez-vous que l’on vous impose ce que vous pouvez engager vous même ?
Le jour où vous verrez les négociateurs de la CEEAC ou les diplomates de l’Union africaine, y compris ceux de la communauté internationale, vous imposer leurs diktats parce que votre politique d’exclusion aura conduit le pays vers une énième violence armée, vous n’aurez plus que vos yeux pour pleurer.

À qui reprocherez-vous votre imprévoyance ?

C’est pourquoi, contre le « sang et les larmes » (pour reprendre la célèbre formule de Churchill) qui viendront inéluctablement à cause de votre politique hasardeuse et désastreuse, j’use de ma liberté de vous dire la vérité. Je vous engage à engager une politique de large consensus. Vous-en tirerez profit. Inévitablement. Car les Centrafricains qui ont trop souffert ces derniers temps entendent de la part de leur dirigeant une politique audacieuse qui privilégie surtout l’intérêt général et non des calculs politiciens à courte vue.

Meilleures salutations.