À quelques jours de la Présidentielle du dimanche 11 avril qui devrait voir la réélection programmée de Driss Déby, les autorités multiplient les mauvais traitements, les passages à tabac et les atteintes au droit de réunion
(Nairobi, le 8 avril 2021) – Les forces de sécurité tchadiennes ont exercé une répression implacable contre les manifestants et l’opposition politique à l’approche de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, compromettant ainsi la possibilité pour les Tchadiens de choisir librement leurs représentants élus, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’actuel président Idriss Déby Itno, qui dirige le Tchad depuis la destitution du dirigeant autocrate Hissène Habré en décembre 1990, se présente pour un sixième mandat.
Depuis février, une coalition de groupes non gouvernementaux, de syndicats et de partis politiques d’opposition a organisé des manifestations pacifiques dans la capitale, N’Djaména, et dans d’autres villes du pays, malgré l’interdiction des rassemblements publics imposée par le gouvernement. Des témoins ont décrit comment des membres des forces de sécurité ont passé à tabac des manifestants avec des fouets, des bâtons et des matraques ; extrait de force un blessé d’une voiture et battu d’autres passagers ; arrêté arbitrairement des dizaines de personnes ; et tué la mère d’un chef de l’opposition, lors d’une attaque contre le domicile de celui-ci. Un manifestant a également déclaré qu’il avait été soumis à des décharges électriques pendant sa détention.
« Alors même que de nombreux Tchadiens descendent courageusement dans la rue pour réclamer pacifiquement le changement et le respect de leurs droits fondamentaux, les autorités tchadiennes répondent en écrasant la dissidence et éradiquant l’espoir d’une élection équitable ou crédible », a déclaré Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les autorités devraient respecter les libertés d’expression et de réunion, veiller à ce que la police fasse preuve de retenue lors des manifestations de l’opposition, et enquêter d’urgence sur l’agression mortelle contre la famille d’un dirigeant de l’opposition et sur d’autres allégations d’abus ».
Entre le 22 et le 30 mars, Human Rights Watch a mené des entretiens par téléphone avec 24 activistes des droits humains, des manifestants, des dirigeants et membres de partis d’opposition, des avocats et des journalistes. Human Rights Watch a également analysé des vidéos et des photographies, et examiné les informations publiées dans plusieurs médias et par des organisations nationales et internationales de défense des droits humains. Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec le ministre tchadien de la Justice, Djimet Arabi, le 7 avril. Il a expliqué que les forces de sécurité avaient agi avec « professionnalisme » pendant les manifestations. Il a ajouté qu’elles avaient la responsabilité de mettre fin aux manifestations qui avaient été interdites et qui « engendraient parfois de la violence et le désordre public, avec des manifestants brûlant des pneus sur diverses routes ».
Les recherches de Human Rights Watch ont montré que les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants pacifiques à N’Djaména les 6 février, 15 février, 20 mars et 27 mars, blessant des dizaines de manifestants et de passants. Elles ont également procédé à l’arrestation arbitraire d’au moins 112 membres et sympathisants de partis d’opposition et d’activistes de la société civile, dont certains ont été roués de coups et soumis à d’autres mauvais traitements. Lors d’une attaque brutale contre le domicile de Yaya Dillo, un dirigeant de l’opposition politique et candidat à la présidence, le 28 février, les forces de sécurité ont tué sa mère âgée de 80 ans, et blessé cinq autres membres de sa famille.
Le ministre de la Communication, Chérif Mahamat Zene, a déclaré dans un communiqué du 28 février que l’objectif du raid était d’arrêter Dillo, qui était sous le coup de deux mandats d’arrêt auxquels il ne s’était pas conformé. Il a ajouté que Dillo avait « [opposé] une résistance armée » et que deux personnes avaient été tuées et cinq autres blessées lors des tirs d’armes, dont trois membres des forces de l’ordre. Les témoins avec lesquels s’est entretenu Human Rights Watch rejettent toutefois cette version des faits, et maintiennent qu’il n’y a pas eu de réponse armée au domicile de Dillo.
Les manifestants ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils protestaient pour demander un changement politique et mettre fin aux injustices sociales et économiques. Ils ont cité les taux effarants de pauvreté, qui se perpétuent malgré les vastes ressources pétrolières dont dispose le pays. Le Tchad est en dernière position dans l’indice du capital humain 2020 de la Banque mondiale, tandis que le Programme des Nations Unies pour le développement a classé le Tchad à la 187ème position sur 189 pays dans son indice de développement humain 2020.
« Nous sommes une nation riche en pétrole, mais la population reste désespérément pauvre parce que les ressources sont mal utilisées », a déclaré à Human Rights Watch Mahamat Nour Ibedou, un éminent défenseur tchadien des droits humains. « En marge d’une élite immensément riche composée de quelques personnes proches du gouvernement, il y a toute une population qui lutte pour sa survie, vit dans des conditions désastreuses et ne mange qu’une fois par jour ».
Dix-sept personnes ont déposé leur candidature à l’élection présidentielle. Le 3 mars, la Cour suprême du Tchad a déclaré que seuls 10 d’entre eux avaient été autorisés à se présenter, rejetant les autres candidats au motif que leurs partis n’étaient pas « légalement constitués ».
Après le raid meurtrier au domicile de Yaya Dillo, certains candidats se sont retirés, notamment Saleh Kebzabo, président du parti d’opposition de l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR), qui a dénoncé le climat d’insécurité et la « militarisation évidente du climat politique » et appelé au boycott des élections. Après l’attaque de son domicile, Dillo, dont la candidature n’a pas été acceptée a choisi d’entrer dans la clandestinité.
Les partis d’opposition ont également accusé le gouvernement d’utiliser la réglementation sur le Covid-19 pour bloquer le bon déroulement de leurs campagnes électorales et interdire les rassemblements politiques, notamment en imposant un confinement strict à N’Djaména du 1er janvier au 10 mars 2021.
L’usage excessif de la force contre des manifestants viole non seulement leurs droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, mais aussi l’interdiction absolue d’infliger des traitements inhumains et dégradants et de pratiquer la torture.
Pour plus d’informations sur la récente répression au Tchad, veuillez voir ci-dessous.
Pour lire d’autres communiqués de Human Rights Watch sur le Tchad, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa/