Le papier à charge paru dans le Journal du Dimanche (JDD) contre l’avocat William Bourdon, inspiré par des courriers privés saisis par le pouvoir mauritanien, suscite l’indignation de nos confrères à Nouakchott, comme le montre la libre opinion d’Ahmed Ould Cheikh, patron du « Calame ».
Ah, les soucis de la presse réputée indépendante en France! On vient de surprendre le « Journal du Dimanche » (JDD), fleuron du groupe Lagardère à Paris, fouillant les poubelles du Palais présidentiel de Nouakchott ! Triste découverte. Après avoir vu ses ventes baisser d’un quart, compressé son personnel et fusionné ses locaux avec ceux d’Europe 1, JDD complète, comme il peut, sa gamelle, en s’avançant imprudemment à défendre une justice aux mains d’une dictature africaine.
Le texte de commande est publié sur une page entière, le dimanche 28 Janvier 2018, dans les colonnes de l’édition-papier de JDD, alors que cet hebdomadaire ignore l’existence de la Mauritanie depuis des années. L’article totalement complaisant envers Ould Abdel Aziz, le président mauritanien connu actuellement pour ses méthodes répressives contre les journalistes, les sénateurs et les syndicalistes, est signé de Pascal Ceaux, « enquêteur expert, spécialisé dans les affaires policières ».
L’article débute par un astucieux message subliminal grâce à une photo du président de l’ONG Sherpa, l’avocat William Bourdon, que l’on découvre « au tribunal de grande instance de Paris ». La photo est suivie, immédiatement, par un commentaire insidieux. « L’association de défense des droits de l’homme est mise en cause pour son rôle auprès de Mohamed Bouamatou ». Un Tribunal, une mise en cause… une affaire judiciaire, donc ? On en est, évidemment, à des années-lumière; mais la suggestion suffit à introduire « l’argumentation » de l’habile scribouillard.
Un journaliste bien frivole
L’ argumentation de notre « expert » est faiblarde, pour ne pas dire frivole. S’étonner, par exemple, que l’ONG Sherpa n’ait jamais mentionné Mohamed Bouamatou, en une seule des quinze pages du rapport de Juillet 2017, consacré à la dégradation, depuis 2013, de la situation en Mauritanie est un mauvais procès. En quoi le richissime cousin du président Ould Abdel Aziz qui s’était volontairement exilé de Mauritanie… dès 2010 et est connu pour son hostilité au régime, est responsable de la gabegie actuelle? L’homme d’affaires était déjà très loin des « bénéficiaires » du pouvoir d’Ould Abdel Aziz qu’il avait, c’est vrai, très généreusement aidé, lors du putsch de 2008, avant de réaliser les errements où le chef d’Etat allai conduire le pays.
C’est surtout en voulant exhumer des « preuves » de la corruption présumée de Sherpa par Mohamed Bouamatou, que l’enquêteur de JDD dévoile, sans ambiguïtés, ses accointances privilégiées avec le pouvoir mauritanien. D’où tient-il, en effet, les « 11 308 emails » (sic !) dont il a extrait quelques lignes évoquant les aides financières du magnat à l’association ? Mais l’ami Pascal Ceaux est habile. Il se contente d’en déduire une « familiarité » entre l’un et l’autre, laissant, à « l’entourage présidentiel » user de l’accusation de « corruption ».Tout est insinuation dans ce texte de commande.
Des liens troubles
Le clou est pointé; il ne reste plus qu’à l’enfoncer. Et c’est précisément là que Pascal Ceaux va, lamentablement, se le planter dans la main. Ainsi affirme-t-il c’est « alors qu’il tente de quitter le pays » (sic !) qu’Ould Debagh, le directeur général du groupe industriel présidé par Bouaùatou et un représentant de l’opposition mauritanienne, « est interpellé par les douaniers […] ». Diable! Mais avec une habileté diabolique, cet homme parviendra, écrit-il, à s’enfuir à pied » (re-sic !), abandonnant voiture et matériel informatique dont les gendarmes extrairont les fameux emails et autres documents. Ce récit ahurissant éclaire en creux l’incompétence professionnelle, souhaitons la conjoncturelle, du plumitif du groupe Lagardère.
Manifestement, l’impartial expert n’a pas pris la peine de recueillir la version d’Ould Debagh ou, à défaut, du moindre observateur mauritanien non corrompu par le pouvoir du général. Il eût ainsi appris que l’homme d’affaires était en mission, routinière, vers Dakar ; a passé, sans encombres, les contrôles de douane et de gendarmerie ; s’est vu détrousser, on ne peut plus illégalement, de ses outils de travail par la police et a dû se résigner à continuer sa route, avant d’apprendre leur exploitation outrancière et malhonnête qui l’obligera à rejoindre son ami Bouamatou en exil au Maroc.
Comble de sournoiserie, la parole est donnée, en conclusion de l’article, à maître William Bourdon, rappelant combien « juste est la cause de Sherpa, dans son enquête sur la Mauritanie […] gravement minée par la corruption », n’a d’autre objet que de préparer ce que le piètre matador croit l’estocade : « À Nouakchott », écrit-il, « c’est enquêter sur Mohamed Bouamatou qui paraît légitime ». Pourquoi monsieur Ceaux ne précise-t-il pas que Mohamed Bouamatou, en généreux mécène qu’il est, soutient l’opposition démocratique de son pays et a créé une fondation pour l’égalité des chances en Afrique…
Voici une bien étrange prestation journalistique dans un pays où la presse est théoriquement libre et dont on ignore les contreparties.