La République de Guinée, aussi appelée « Guinée-Conakry » du nom de sa capitale pour la différencier de la Guinée-Bissau et de la Guinée équatoriale, est un pays francophone d’Afrique de l’Ouest.
Ancien Premier Ministre sous le président Lansana Conté et chef de file aujourd’hui de l’opposition guinéenne à Conakry, Cellou Dalein Diallo reçoit Mondafrique dans un hôtel chic près des Champs Elysées. Il dresse un bilan calamiteux du règne d’Alpha Condé. La Guinée ressemble à une démocratie d’opérette où les listes électorales tronquées intègrent des mineurs et où les opposants sont brutalisés. Pas moins de quatre vingt manifestants ont été abattus à bout portant dans le pays depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé. A quoi s’ajoute nombre d’autres atteintes aux droits de l’homme.
Le malaise est d’autant plus grand que le président guinéen, membre de l’Internationale socialiste, est un ami de François Hollande: « Le soutien de la France au régime en place, explique Cellou Dalein Diallo, est clair ». En cinq en de pouvoir, le candidat socialiste aux élections présidentielles françaises de 2012 qui annonçait la fin de « la Françafrique » n’aura pu donner un souffle nouveau aux relations franco-africaines marquées par une complaisance pour des régimes discrédités.
L’entretien de Cellou Dalein Diallo avec Mondafrique
Mondafrique. En octobre 2015, le président Alpha Condé a été réélu dès le premier tour avec plus de 60% des suffrages. Avec ou sans fraude?
Cellou Dalein Diallo : La fraude a commencé dès la révision du fichier électoral. En Haute-Guinée, le fief d’Alpha Condé, un très grand nombre de mineurs ont été enregistrés. Résultat le corps électoral s’est accru de 64,5% dans cette région contre moins de 40% pour le reste du pays. Par ailleurs, le bourrage des urnes a été généralisé, notamment dans ce fief. Des taux de 96% de participation ont été atteints dans certaines circonscriptions comme Mandiana ou Kérouané avec autant de voix pour Alpha Condé alors que le taux de participation dans le pays a atteint en moyenne 65-70%. La tricherie a été rendue possible par le refus des autorités de laisser les représentants de l’opposition siéger dans les bureaux de vote.
Mondafrique Comment avez-vous jugé la réaction internationale à l’époque et notamment celle de Paris ?
C.D.D. Celle de la France n’a pas été très forte. Les autorités françaises ont déploré certaines faiblesses du processus électoral mais le soutien à Alpha Condé était clair. Les solidarités nouées entre présidents français et guinéens au sein de l’Internationale socialiste ont beaucoup joué. Pourtant, la mission des observateurs de l’Union européenne avait fait état de nombreuses irrégularités.
Mondafrique Attendez-vous du nouveau président français élu en mai qu’il soit moins favorable au régime d’Alpha Condé ?
C.D.D. Nous le verrons bien. L’Union européenne a eu la sagesse de contractualiser, à travers l’accord de Cotonou de 2000, le respect d’un certain nombre de valeurs telles que les principes démocratiques et la non violation des droits humains par les pays « ACP » (Afrique, Caraïbes, Pacifique) bénéficiaires de l’aide européenne. Elle s’est même donnée le droit de suspendre la coopération financière avec les pays qui violent ces principes.
Malheureusement dans la pratique, il n’y a pas toujours eu de consensus entre les pays européens. Nous lançons un appel à tous les pays européens, dont la France, à continuer à faire en sorte que l’accord de Cotonou soient respectés.
Mondafrique. Lors des deux derniers scrutins présidentiels, les clivages ethniques ont dominé la campagne. Quelle place occupe aujourd’hui la question de l’ethnie dans la vie politique?
C.D.D. Lors des élections de 2010, à la suite du premier tour où j’ai totalisé 44% des suffrages exprimés contre 18% pour Alpha Condé, la stigmatisation de l’ethnie peule dont je suis issu a atteint des limites impardonnables. La communauté peule a été accusée d’avoir empoisonné des militants du RPG, le parti présidentiel. Puis, entre les deux tours, les partisans d’Alpha Condé ont lancé une véritable chasse à l’homme contre les ressortissants de cette communauté en Haute Guinée.
L’objectif était de rassembler les trois autres composantes ethniques du pays contre les peuls. Tout cela parce que j’étais le seul adversaire politique sérieux du chef de l’Etat et issu de cette communauté.
Mondafrique. Des discriminations continuent-elles à s’exercer envers les communautés peules du pays ?
C.D.D. La gouvernance d’Alpha Condé contient naturellement des aspects de cette nature. Mais les Guinéens résistent et refusent cette division fondée sur l’ethnie. Nous devons bâtir une République. L’UFDG se bat pour qu’on se débarrasse de ces préjugés et que l’ethnie ne soit pas un critère de choix électoral.
Mondafrique. Après la grande manifestation organisée par l’opposition le 16 août 2016, vous avez accepté de participer au dialogue organisé par le président. Des accords ont été conclus. Ont-ils été mis en oeuvre ?
C.D.D. Le pouvoir manifeste un manque total de volonté politique pour tenir ses engagements. Au cours du dialogue, nous étions parvenus à un consensus sur de nombreuses questions. Il a été décidé d’assainir le fichier électoral en ayant recours à un cabinet international chargé de formuler des recommandations. Nous avions également obtenu que des élections locales aient lieu en février afin que les résultats soient pris en compte pour la composition des conseils de quartiers. Les autorités se sont engagées à mettre en place une Haute Cour de Justice compétente pour juger les ministres et même le président par exemple en cas de parjure. Le gouvernement a promis de mener des enquêtes sérieuses pour identifier les auteurs et commanditaires des crimes que nous avons évoqué et que les victimes de violences pendant les manifestations soient indemnisées. Rien de tout cela n’a été accompli.
L’appel d’offre pour recruter le cabinet en charge d’auditer le fichier électoral devait être lancé en novembre mais cela n’a pas été fait. Un nouveau code électoral intégrant le consensus qui s’est dégagé du dialogue devait être adopté à la session budgétaire. Il est toujours au tiroir. Enfin, les élections locales n’ont pas eu lieu ! Alpha Condé s’accommode volontiers de la désignation par des actes administratifs des chefs de quartiers et des chefs de district. Et dans les collectivités locales, les élus n’ont pas été renouvelés depuis 2005…
Mondafrique. Sur le plan social, le pays est en proie à l’agitation. En février, huit personnes ont été tuées par les forces de l’ordre lors de manifestations pour la réouverture des écoles fermées par le gouvernement le temps de trouver un accord avec le professeurs en grève. Des enquêtes vont-elles être ouvertes ?
C.D.D. En Guinée, les forces de défense et de sécurité ont prix l’habitude de tirer sur des manifestants pacifistes. Depuis l’avènement d’Alpha Condé, plus de 80 citoyens ont été tués à bout portant lors de manifestations. Il n’y a jamais eu d’enquête pour identifier les auteurs de ces crimes ni de sanctions administratives à l’endroit de la police et de la gendarmerie. L’opposition a toujours revendiqué qu’on mette un terme à cette impunité. Lors de l’accord politique conclu entre les différents partis guinéens en 2013, nous avions obtenu que le gouvernement indemnise les proches des victimes ainsi que tous ceux dont les biens ont été détruits ou vandalisés par les forces de l’ordre. Mais aucun de ces engagements n’a été mis en oeuvre.
Mondafrique. Plus généralement, comment jugez-vous actuellement l’état des droits de l’homme dans le pays ?
C.D.D. Les exemples de violations sont légion. En août 2012 à Zogota par exemple, des policiers et gendarmes ont assassiné des villageois qui s’étaient opposés à un projet d’exploitation minière et avaient réclamé des emplois et la construction d’infrastructures sociales de base dans leur localité. En région forestière à Galapaï, des populations ont été expropriées, puis passées à tabac pour avoir protesté. Mais l’un des épisodes les plus traumatisants demeure le massacre et le viol par les forces de sécurité guinéennes de centaines de sympathisants de l’opposition dans le Stade de Conakry en 2009. La commission d’enquête des Nations Unies mise en place après ces atrocités a produit un rapport qualifiant ces actes de crimes contre l’humanité. Or, les responsables présumés de ces massacres occupent aujourd’hui de hautes fonctions ! Certains ont même bénéficié de distinctions honorifiques tels que l’ordre national du mérite à l’avènement d’Alpha Condé.
Mondafrique. Dans le domaine économique, malgré un fort potentiel agricole, hydraulique, minier et des projections de croissance estimées à plus de 4% pour 2017, la Guinée souffre d’une mauvaise réputation auprès des investisseurs. Sur l’indice « Doing Business » 2017 de la Banque Mondiale qui évalue le climat des affaires, le pays a enregistré un recul de deux rangs par rapport à celui de 2016 (de 161 à 163è). Quels facteurs expliquent cette situation ? La convalescence inachevée de l’épidémie Ebola ? La chute des matières premières ? La corruption ?
C.D.D. Jusqu’en 2014, Ebola a causé des préjudices indéniables à l’économie. Concernant la chute des matières premières, l’impact négatif est moins évident. La Guinée exporte principalement de l’or et de la bauxite. Or, ni l’un ni l’autre n’ont connu d’importante moins value contrairement au fer par exemple.
Le facteur déterminant de la mauvaise santé économique du pays reste avant tout la mauvaise gouvernance. Entre 2014 et 2015, le gouvernement a accordé des marchés de gré à gré pour plus d’un milliard de dollars à des entreprises dont les dirigeants sont connus pour leur proximité avec la présidence. En 2016, la Banque Mondiale a rendu un rapport d’audit pointant que 90% des marchés du pays avaient été attribués sans appel à la concurrence. Ces contrats ont donné lieu à des surfacturations éhontées, principalement dans les secteurs de l’énergie et des BTP.
Citons par exemple le marché d’électrification de 100MW accordé à la compagnie brésilienne Asperbras pour 120 millions de dollars alors qu’elle n’était pas compétente dans le domaine ! Ou encore la rémunération du banquier français François Combret, conseiller d’Alpha Condé par le groupe Rio Tinto pour permettre l’obtention de concessions minières. En 2016, l’ONG britannique Global Witness a mis en cause le fils du président Mohamed Condé pour une affaire de corruption avec une entreprise minière, Sable Mining. Sur ces affaires, aucune enquête n’est jamais ouverte dans le pays. A plusieurs reprises l’opposition a demandé l’ouverture de commissions d’enquête parlementaires, ce que la mouvance majoritaire à l’Assemblée, fidèle au président, a toujours refusé.
M. Pourtant certains grands projets semblent avoir apporté de réelles améliorations comme le barrage hydroélectrique de Kaléta qui a permis de résorber une bonne partie du déficit énergétique du pays et surtout de la capitale Conakry. La croissance proche de 0% en 2015 a par ailleurs repris des couleurs.
C.D.D. La performance du barrage n’est pas aussi importante que ce que les autorités guinéennes prétendent. Il n’est fonctionnel qu’environ six ou sept mois par an. Le reste de l’année, on a toujours besoin d’appoint avec du thermique et les délestages sont toujours fréquents. Par ailleurs, le projet a été réalisé dans des conditions extrêmement opaques et sans appel d’offre. Quand au regain de croissance, il reste léger et risque de se heurter très vite à la grande incertitude qui caractérise le climat des affaires du fait de la corruption généralisée.
Mondafrique La Chine, premier acheteur de minerais de Guinée réalise une percée économique dans le pays. Est ce au détriment des entreprises françaises?
C.D.D. La France reste bien présente en Guinée. Notamment dans le secteur bancaire via la Société générale. Il existe également un partenariat entre la Guinée et le groupe Aéroports de Paris pour la gestion aéroportuaire à Conakry. Egalement dans la capitale, Bolloré gère le port et Total demeure impliqué dans la distribution du pétrole. Mais il est vrai que beaucoup d’entreprises chinoises ont l’avantage d’être accompagnées par des financements Exim Bank sur certains marchés notamment la construction de barrages, le secteur des routes ou l’exploitation minière. Cela en fait de redoutables concurrents.