Le général guinéen Sekouda Konaté et le général centrafricain Ludovic Ngaïféi Lemademon viennent de briser le silence concernant la situation politique dans leur pays. Les interventions d’un ancien président d’uneTransition militaire et d’un ancien chef d’état-major des Armées doivent être prises avec sérieux.
Les situations internes en Guinée Conakry et Centrafrique ne sont pas comparables, mais toutes deux sont particulièrement inquiétantes. Les élections présidentielles, dans ces deux pays, prévues fin 2020, ne se présentent pas sous les meilleurs auspices.
Dans ce contexte, le général guinéen Sekouba Konaté, d’une part, et le général centrafricain, Ludovic Ngaïféi Lemademon d’autre part, viennent de lancer une alerte qui peut être prise comme une forme d’avertissement pour leur président respectif, Alpha Condé et Faustin-Archange Touadera.
Des élections de tous les dangers
Comme d’habitude, dans de nombreux pays africains, la proximité d’élections offrent souvent peu de place à la transparence. Rares sont les consultations électorales qui respectent les standards démocratiques internationaux et aboutissent à des résultats conformes à la volonté du peuple. Les campagnes électorales engendrent souvent une montée d’adrénaline dans la classe politique. Les manipulations du droit électoral sont courantes, les gouvernants attirent les financements internationaux insuffisamment contrôlés, les tracasseries des opposants s’accentuent, les médias libres rencontrent des difficultés, voire des pressions qui menacent leur existence, la commission électorale chargée des élections est souvent aux ordres. Dans ces conditions, le scrutin est connu d’avance. Le dicton africain ne dit-il pas : « On n’organise pas des élections pour les perdre ».Toutefois, il peut aussi arriver que le « passage en force » échoue car l’accumulation des mécontentements des citoyens sont devenus insupportables, aussi la révolution devient l’ultime solution.
On se rappelle la chute du Burkinabè Blaise Compaoré en 2014, devant un mouvement citoyen révolutionnaire, aidé par une partie de l’Armée.
Inquiétude en Guinée et en Centrafrique
En Guinée, Alpha Condé (82 ans) veut modifier, coûte que coûte, la Constitution pour briguer un troisième mandat, qui ne lui est pas actuellement permis. Cette révision constitutionnelle ne sera pas une simple formalité. Ce sont, à la fois, la question de la fiabilité du fichier électoral et les critiques de l’Organisation internationale de la Francophonie et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest qui n’ont pas permis la tenue du referendum constitutionnel, le 1er mars 2020. La manipulation constitutionnelle et la perspective d’un nouveau mandat d’Alpha Condé ont enflammé une grande partie du peuple guinéen.
En Centrafrique, Faustin-Archange Touadera(61 ans) peut légalement se présenter pour un second mandat, mais sa gouvernance est très largement rejetée par son peuple. Ancien premier ministre de l’ex-président Bozize, il a été co-auteur du « hold up » électoral, en 2011. En 2020, il s’apprête à reprendre le même scénario, toujours avec le soutien indéfectible des Nations-Unies et du G5, désormais sous influence russe, qui ont fait du statu quo leur doctrine. Il n’est pas sûr que ce scénario se réalise contre la volonté d’une grande partie du peuple.
Les récentes déclarations publiques et très médiatisées des généraux Sekouba Konaté et Ludovic Ngaïféi ne sont donc pas anodines.
L’alerte du général Sekouda Konaté
Le général d’armée Sekouba Konaté (55 ans) est l’ancien président de la Transition militaire (2010) qui a permis de mettre un terme à l’aventure de Moussa Dadis Camara avec l’organisation d’élections crédibles, ayant vu l’élection d’Alpha Condé. Le général Sekouba Konaté a ensuite dû se résoudre à vivre à l’étranger, à Addis Abeba, au Maroc puis en France. Longtemps privé de passeport, ce n’est que récemment que le général a retrouvé son pays et la crise politique qui le secoue. Suite aux affrontements entre les partisans d’Alpha Condé et ceux du Front national de la défense de la Constitution, l’ancien président de la Transition a brisé le silence le 10 mars 2020. Il réclame notamment un « dialogue constructif » entre Alpha Condé et l’opposition menée par Cellou Dalein Diallo, son habituel challenger. En expert, il rappelle la nécessité de ne pas aller à la confrontation qui mènerait à une » destruction du tissu économique et social » du pays.
Le réquisitoire du général Ludovic Ngaïféi
Le général de division Ludovic Ngaïféi fut un chef d’état-major des Armées a poigne et peu docile envers le pouvoir politique. Il fut donc limogé en juillet 2018, lorsque le président Touadera décida de pactiser avec les groupes armés et notamment ceux qui appartenaient à l’ex Seleka. Le 3 février 2020, le général Ngaïféi fit un violent réquisitoire contre l’actuel régime, accusé de collaboration avec les rebelles étrangers qui règnent sur une grande partie du pays. Intitulé » Quand la grande souffrance du peuple m’interpelle à plus d’un titre », le message à la Nation du général stigmatise avec des arguments largement partagés en Centrafrique, la faillite du régime actuel et remet donc en cause la crédibilité des prochaines élections. Ayant demandé sa mise à la retraite par anticipation, ce fut fait par un décret du 12 mars 2020. Proche de l’ancien président Bozize, le général à la retraite pourrait bien commencer une carrière politique.
En Guinée et en Centrafrique, les élections de fin 2020- début 2021 risquent fort de ne pas être aussi calmes et prometteuses que celles qui avaient vu l’accession à la magistrature suprême de deux brillants universitaires….