Drapé d’un kamis blanc surmonté du tarbouch rouge libyen, le grand mufti de Libye, Sadiq Al-Ghariani, est l’un des personnages publics les plus influents du pays. Du haut de ses 74 ans, l’homme à la carrure frêle et aux lunettes rondes propage des prédications salafistes d’une virulence inouïe; une rhétorique politico-religieuse qui combine croyances populaires et charlatanisme, pimentée par des déclarations outrageuses sur les politiciens et l’armée.
Le cheikh Ghariani est devenu grand mufti de Libye en 2012, au prix d’un itinéraire chaotique qui l’a mené du Caire à Londres puis Tripoli en passant par tous les rouages du salafisme radical. Après avoir obtenu son premier doctorat en études islamiques à l’Université d’Al-Azhar en 1972 et un PhD de l’Université anglaise d’Exeter en 1984, Ghariani a prêché durant plusieurs années dans des mosquées wahhabites londoniennes, tout en effectuant des déplacements réguliers en Arabie Saoudite. Aujourd’hui, c’est par l’intermédiaire de sa chaîne Tanasuh, un média web qui diffuse ses prédications d’Angleterre et qui appartient à un membre de sa famille, que le mufti a tissé ses réseaux d’influence dans les couloirs de l’ultraconservatisme et du djihadisme libyens.
Même si Sadiq al-Ghariani aurait été démis de ses fonctions par le gouvernement d’entente nationale (GNA) et les autorités du « Dar al-Iftah » – l’institution responsable des lois religieuses en Libye-, il maintient une notoriété exceptionnelle grâce à ses podcasts et sa présence sur les médias sociaux. A ce jour, il est probablement l’acteur le plus sous-estimé par la communauté internationale quant à sa capacité à (dé)construire un dialogue de réconciliation nationale.
Des allégeances à profusion
Depuis quelques mois, Sadiq Al-Ghariani a pris une nouvelle dimension. Il a renforcé son réseau d’influence, en obtenant l’allégeance de plusieurs milices et factions terroristes qui luttent contre l’armée nationale. Le 9 janvier 2016, Derna Moujahidine Shura Council, un puissant groupe terroriste actif à l’est de la Libye, a publié un communiqué dans lequel celui-ci dresse avec fierté son allégeance au Grand mufti de Libye : « Nous sommes les moudjahidines de Derna, et avant tout chose, les enfants spirituels du cheikh Ghariani ». L’organisation ne tarit pas d’éloges sur son tuteur moral. Elle le décrit comme « une source d’inspiration religieuse et philosophique…Un homme bon qui saura mener la Libye sur la voie de la paix et de la stabilité ».
Alors que l’armée sous les commandes du Général Haftar vient de libérer Gandoufa à l’ouest de Benghazi, des factions fidèles au Mufti comme la Benghazi Defence Brigade (BDB) continuent de mener une bataille coriace contre l’armée. Le 16 août 2016, la milice avait aussi prêté allégeance à Ghariani dans une vidéo où le commandant de l’organisation, Mustafa Sharkasi, rappelle l’importance morale de l’appel émis par le mufti à mener le « Djihad » contre Haftar. Ce cri à la guerre sainte a été toutefois sévèrement critiqué par la Ligue des oulémas libyens et plusieurs membres de la société civile.
Une menace pour la stabilité de la Libye
En perte de vitesse dans l’est de la Libye, les groupes terroristes fuient désormais vers le sud du pays afin de se reconstituer des sanctuaires d’action et revoir leurs stratégies de développement, tout en restant sous la tutelle morale de Ghariani.
Rien que par sa notoriété dans les cercles salafistes et la diffusion de ses idées dans les milieux djihadistes, le Grand mufti est devenu l’un des plus importants pourvoyeurs de combattants à ces factions extrémistes. Par un effet de levier, ce pouvoir lui accorde un nouveau statut. L’homme regroupe désormais sous ses commandes une horde de combattants prêts, au moindre fléchissement, à mener des attaques sanglantes. Le 1er décembre 2016, la ville de Tripoli a connu de violents affrontements entre une milice proche du GNA et des factions liées à Ghariani. Ces heurts ont causé la mort de 7 personnes et sont considérés comme les pires joutes dans la capitale depuis deux ans.
En plus du soutien des milices et des groupes terroristes, le Mufti entretient d’excellents rapports avec Khalifa al-Ghoweil, l’actuel chef « islamiste » du gouvernement du Congrès national libyen (GNC) – le concurrent du GNA à Tripoli-. En octobre 2016, le GNA a subi une tentative de coup d’État par les forces du GNC où les hommes de Ghoweil ont attaqué le complexe Rixos, haut-lieu de la politique tripolitaine, après avoir été éjectés de la capitale en mars 2016. Certains médias libyens affirment que la majorité des membres de l’équipe de Ghoweil sont des fidèles du Grand mufti.
Celui-ci aurait une place de choix dans les cercles décisionnels du GNC, et participerait à des choix stratégiques comme la tentative échouée du coup d’État. Ainsi, le 12 janvier 2017, des milices proches de Ghoweil et Ghariani ont récidivé en assaillant trois édifices ministériels – ceux de la défense, du travail et des « martyrs » –, sans succès encore une fois. Même si les ministères ont été finalement récupérés par le gouvernement officiel, l’assaut a failli mettre un terme à l’impotent GNA.
Face à l’inertie du gouvernement d’union nationale devant l’attitude désobligeante du Mufti, les tripolitains réagissent avec engagement. Des affiches anti-Ghariani, portant le visage du mufti barré au rouge, avec comme slogan « Non aux frères musulmans. Arrêtez de faire couler le sang libyen », ont été collées en septembre dernier sur les murs de la capitale. Cet acte de contestation a créé un vrai débat de société en Libye sur le personnage de Ghariani. Il n’a pas été du goût du Sheikh, ni de ses milices qui ont fermement appelé à punir les «mécréants » qui veulent nuire au Mufti.
À bien des égards, Sadiq Al-Ghariani est un produit du wahhabisme le plus abject qui a fermenté dans le chaos sécuritaire et politique de la Libye post Kadhafi. Ses prêches incitent ses fidèles à choisir les voies du chaos et de la violence et rejette,t la sagesse des anciens et les valeurs de l’islam maghrébin.