Les loups solitaires chassent désormais en bande organisée. Face aux périls, Manuel Valls a parlé de « failles » dans le système de renseignement.
La France est en guerre, mais elle ne le savait pas encore. Après les dix sept morts de cette semaine tragique, les responsables politiques ne peuvent plus se perdre en bavardages. Il faut agir. Dès ce lundi 12 lanvier, le lendemain de la manifestation monstre à Paris, les services de la DGSI (anciennement DCRI) adressaient à l’ensenble des hauts responsables policiers le message suivant: « »Il existe des appels au meurtre, d’enlèvement de policiers et de leur famille ». Et d’ajouter: « Attention à votre sécurité et celle de vos proches. Passez le mot ».
Une fiche « S » qui sème le trouble
L’heure n’est plus aux fables sur les « loups solitaires » saisis soudain par une folie meurtrière. Nous voici face à une pieuvre qui de Bagdad, Doha et Tripoli jusqu’à Paris ou Londres, menace la cohésion des sociétés modernes. La guerre dérisoire sur la « vraie » nature de l’Islam qui, hélas, s’annonce….sur les plateaux de télévision ne fera guère avancer la compréhension du monde nouveau qui est désormais le notre. Au delà du moment de fraternisation attendue qui se manifestera dimanche, une mise à plat du fonctionnement de nos services anti terroristes s’impose. Manuel Valls lui même a évoqué des failles dans le système de renseignement. Comment lui donner tort? Un des deux frères terroristes, Cherif Kouachi, faisait l’objet à la DGSI (services de renseignement) d’une fiche « S », anciennement « T », qui cible les individus potentiellement dangereux. Apparemment le suivi n’a pas été à la hauteur
Lors de la dramatique affaire Merah en pleine campagne électorale 2012, le débat public avait vite tourné court. A droite, les amis de Nicolas Sarkozy invoquaient, non sans une certaine paresse intellectuelle, l’existence dans les banlieues de « loups solitaires » isolés, impossibles à identifier et encore moins à surveiller. A gauche, de nombreuses voix s’élevaient pour mettre en cause les services de contre espionnage français, tout juste regroupés au sein des services de la DCRI, et coupables de tous les maux et notamment d’un défaut d’évaluation sur la personnalité du tueur, Mohamed Merah, connu par les enquêteurs de la police. L’impuissance, le complot: autant de polémiques stériles qui n’aboutirent à aucune réforme, ou presque. Du coup, la continuité l’a emporté, agrémentée de quelques hochets comme ce téléphone vert mis à la disposition des parents musulmans inquiets de l’évolution de leurs bambins. Que l’électrochoc de cette terrible semaine aide au moins à repenser l’action de l’Etat.
« Sales Français »
Première piste de réflexion, il s’est produit deux prises d’otage simultanées et non pas une seule. Les auteurs des carnages avaient partie liée, et ce depuis une bonne dizaine d’années. Autrement dit, on assiste à une mémoire française du terrorisme djihadiste, une sédimentation des expériences, une structuration d’un tissus social gangrené. Nous voici désormais face à une pieuvre, dont les réseaux vont jusqu’au Yémen, en Syrie ou encore en Libye. A la question qui lui est posée aujourd’hui samedi par le Parisien sur la possibilité d’anticiper la séqeunce criminelle de cette semaine, Alain Bauer, criminologue et proche du Premier ministre français, répond: « Ce n’étaient pas des réseaux dormants. Ils étaient vivants, connus et identifiés ». Cherif Kouachi faisait l’objet au sein des services français de la DGSI d’une fiche « S », anciennement « T », réservée aux possibles acteurs terroristes. Sans suivi! Apparemment, notre système de renseignement n’a pas su exploiter des données existantes. Ce qui appelle des réformes profondes des modes de fonctionnement des services en question.
Deuxième réflexion, la France peut décider qu’au Mali, en Irak ou ailleurs elle constitue l’avant garde du combat contre les djihadistes. A condition toutefois d’en évaluer toutes les retombées. Les présidents de la République précédents, Chirac et Sarkozy avaient un degré de réalisme, voire de cynisme, qui manque apparemment à François Hollande. Jacques Chirac par sa politique pro palestinienne et sa non intervention en Irak avait conforté l’image positive de la France dans le monde arabe en lui assurant une immunité. Par son alliance avec Doha, la mecque des Frères Musulmans et sa guerre contre un Kadhafi honni par les islamistes, Nicolas Sarkozy s’était offert une assurance vie face au péril terroriste. En revanche, le chef de guerre que se veut François Hollande a fatalement fragilisé le territoire français, nouveau satan des groupuscules djihadistes. En septembre dernier, le porte-parole de Daech, Abou Mohamed al-Adnani, avait appelé ses fidèles à assassiner les occidentaux « en particulier les méchants et sales français ».
La France a-t-elle les moyens de se prémunir des retombées de ses engagements extérieurs? Le pays ne doit-il pas privilégier le front interne sur d’hypothétiques théâtres extérieurs? Rappelons que les frères Kouachi, auteurs du carnage à Charlie Hebdo, ont revendiqué leur appartenance à Al-Qaida dans la péninsule islamique, qui a déjà mis en cause les intérêts français au Yémen
Auto glorification
Autre interrogation urgente, qui doit être maître d’oeuvre de la politique anti-terroriste? Pour l’instant, le service de contre espionnage, la DCRI (anciennement DST) est seul à la manoeuvre, dégagé au sein du ministère de l’Intérieur de toute véritable tutelle. Ne faut-il pas confier aux Parquets le contrôle de ces services laissés à eux même? N’est il pas temps qu’un regard extérieur au sein de l’appareil d’Etat se penche sur le fonctionnement de la DCRI? L’auto glorification par le ministre de l’Intérieur de ses propres services, passage obligé après des interventions à haut risque, ne suffit pas pour évaluer la politique du renseignement. Les magistrats seraient mieux à même de défendre les libertés publiques fatalement menacées par les droits qui vont, dans les mois à venir, être concédés aux services anti-terroristes.
La dérisoire polémique sur la participation du Front National à la manifestation de dimanche détourne de l’essentiel. A savoir le recadrage de l’action de l’Etat face aux périls grandissants.
A ce sujet, l’Institut français des relations internationales (Ifri) publie une interview filmée de Marc Hecker, spécialiste des questions de sécurité : « La menace terroriste en France ».
La menace terroriste en France par Ifri-podcast (credits Ifri)