Depuis quelques semaines, le continent noir se trouve au centre des intérêts politiques, diplomatiques et judiciaires brûlants. De l’uranium centrafricain au jeu gabonais, notre confrère Xavier Monnier, rédacteur en chef de Bakchich.info, décrypte les dernières fièvres africaines de Paris.
Le petit village semblait apaisé depuis de long mois. Comme endormi. Paris, marigot africain a paru somnoler, pour se réveiller avec un début de fièvre au front. À plusieurs fronts en fait. Embrumé par un septennat d’investigations sur les biens mal acquis des présidents africains, le front judiciaire a vu pousser deux nouveaux boutons.
Fin mars a été dévoilée une enquête des juges d’instruction français sur une icône du continent. Ou presque. Michel Tomi. Président et fondateur du groupe Kabi, spécialisé dans les jeux, l’hotêllerie et le BTP, le richissime entrepreneur est soupçonné de blanchir en France une partie de l’argent récolté à travers la gestion, notamment, des PMU qu’il a disséminé en Afrique Centrale. Grandi à l’ombre des réseaux Pasqua, intime de Richard Casanova, feu le leader de la Brise de Mer et protecteur de sa veuve, Sandra, l’homme s’est vu dessiner une légende de Parrain des Parrains corse.
Croupiers d’Afrique
Proche de bien des présidents africains, du Cameroun au Mali en passant par les deux Congo, Tomi sait faire preuve de générosité avec ses amis. Trop? La justice examine les cadeaux adressés aux chefs d’Etat, à leurs familles, l’utilisation de ses compagnies d’aviation gabonaises. Surtout, les services de polices s’agacent depuis longtemps de recevoir des nouvelles de voyous en cavale, qui émanent souvent des terrains de jeu africains de Tomi. Même Manuel Valls l’a désigné à mots couverts dans un entretien accordé en mai 2013 à L’Express. «Je n’exclus pas l’existence de donneurs d’ordre supervisant ces systèmes criminels, soit depuis le continent, soit depuis l’étranger, en Amérique latine ou encore en Afrique.» L’alors ministre de l’Intérieur, qui suivait au plus près les investigations lancées contre Tomi par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris. La débacle électorale socialiste lors des municipales l’a poussé Premier ministre. Elle a réinstallé Jean Tomi, frère de Michel, à la tête du petit village de Tasso en Corse. Et Michel a lui été condamné par la cour d’appel de Monaco à 500 000 d’amende et 18 mois de prison dans l’affaire du casino d’Annemasse (1). Pour blanchiment. Une séquence houleuse qui en annonce d’autres tant l’enquête judiciaire promet de menues révélations. Et porte en elle une question. Pourquoi la France, malgré la connaissance au moins par Manuel Valls des liens unissant le candidat à la présidence malienne Ibrahim Boubacar Keïta à Michel Tomi, l’a-t-elle soutenu lors du scrution qui l’a consacré à l’été 2013? «Tomi fait aussi dans la diplomatie» s’amuse l’un de ceux qui l’ont bien connu.
Irradiants intermédiaires à Bangui la coquette
Un éminent serviteur de l’Etat sous les radars de la justice, les magistrats parisiens en chassent d’autres. Le parquet national a été saisi par la cour des comptes de possibles irrégularités dans la gestion du nucléaire français Areva. Plus particulièrement, les magistrats financiers s’interrogent sur le rachat d’Uramin, société canadienne immatriculée aux îles vierges britanniques, pour 1,8 milliards d’euros en 2007, entre les deux tours de la présidentielle. Désormais, la boîte est estimée à moins du quart de sa valeur d’achat. Un irradiant dossier. De nombreux intermédiaires, français, africains, belge et pakistanais se sont affairés autour du dossier. Sans compter les services secrets tricolores, le chef d’Etat d’alors, Nicolas Sarkozy, son intime Patrick Balkany et bien sûr l’ancienne Sherpa de Mitterrand, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva jusqu’en 2011.
Surtout l’épicentre du dossier ramène en Centrafrique. C’est autour des gisements d’uranium de Bakouma que s’est noué la vente d’Uramin. Depuis novembre 2013, la France a dépêché sur place son armée afin de stabiliser un Etat en déliquescence. Sans grand résultat. Débarqué en mars 2013 par une rebellion armée, le général-président François Bozizé espère encore un retour au pouvoir. Les armes à la main et les caisses pleines? L’homme avait âprement négocié avec Areva les conditions d’exploitation des mines tenues par Uramin. De là à envisager que les militaires français affrontent désormais un ennemi financé par la vente d’Uramin, il y a de nombreux pas. Que la justice empruntera, balaiera ou déblairera. A Bangui la Coquette, malgré la guerre, le ballet des intermédiaires est loin d’avoir cessé.
Sur le perron de l’Elysée, la parade des chefs d’Etat africains n’a pas non plus été interrompue. Chef d’Etat guerrier, François Hollande doit, sous le casque blanc, composer avec les hiérarques frontaliers de ses zones d’interventions. Ainsi le 8 avril, Ali Bongo, fils de feu Omar et président du Gabon a-t-il été invité à Paris. Au menu des réjouissances le redressement fiscal de 800 millions de dollars infligé à Total Gabon par son administration et bien sûr l’intervention en Centrafrique, membre de la Cemac (Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale) que préside le même Bongo.
Sarko, duel des ex en Afrique?
Dans son sillage, un aréopage s’est disséminé dans Paris. A sa tête, le puissant directeur de cabinet Maixent Accrombessi. Ancien agent immobilier d’Ile-de-France, le Béninois, devenu incontournable au Gabon apparait dans de nombreuses sociétés civiles immobilières visées dans l’affaire des Biens-Mal-Acquis. Son emprise dans les rouages de la présidence gabonaise est telle que les opposants gabonais, surtout des soutiens de feu son père écarté du Palais du Bord de Mer, l’ont nommé chef de la «légion étrangère» qui entoure Ali Bongo et contrôle revenus pétroliers, miniers etc… Se retrouvent des Béninois, des Nord Coréens (le garde du corps personnel d’Ali) et Richard Attias.
Publicitaire en cour, le mari de Cécilia s’est fait une place de choix à la cour de Libreville. Chaque année depuis 2012, Attias organise à grands frais le New York Africa Forum, lieu de passage des huiles du continent, ménage de nombreux journalistes. L’Ex première Dame intervient à l’occasion. Et l’homme rayonne sur tout le contient, du Sénégal, où il a été chargé de l’organisation du sommet de la Francophonie, au Congo. Chargé par le président Sassou Nguesso d’organiser les 25 ans du protocole de Brazzaville, Attias a toutefois vu émerger un concurrent sur place, un intime du chef de l’Etat: Lucien Ebata. Grand argentier du «Cobra Suprême» Ebata est parvenu à convaincre le magazine Forbes d’utiliser son nom pour une nouvelle revue, Forbes Afrique. Si le magazine est rédigé à Paris, le Forum Forbes Afrique se tient chaque juillet à Brazzaville depuis 2012. Sa première édition a vu Raffarin et Villepin cadeautés. En 2013 ce fut Jean-François Copé. Pour 2014, selon les informations de Bakchich, Ebata vise plus haut. Rien de moins que Nicolas Sarkozy… «Ce n’est pas à l’agenda» a simplement répondu à Bakchich, le secrétariat de l’ancien pensionnaire de l’Elysée. Pas encore? Sarko Ier pourrait être tenté. Ne serait-ce que pour brimer un peu la réussite du mari de son ex… Et faire monter, encore un peu, la fièvre africaine en France.
PAR XAVIER MONNIER
Article paru initialement dans Bakchich.info