Des coups fatals portés à la vitrine démocratique sénégalaise 

 Coups de canif dans la sacro-sainte liberté de la presse, limogeage brutal du chef d’état-major des armées, harcèlements judiciaires d’opposants : Macky Sall fait feu de tout bois pour baliser la voie vers un troisième mandat à la tête de son pays. Un forcing à hauts risques pour le Sénégal.

D’expérience, on le sait en Afrique francophone : quand un chef d’Etat sortant ne dit ni oui ni non à une candidature à un troisième mandat, cette ambiguïté, entretenue à dessein, veut tout simplement dire qu’il va rempiler. A mesure que l’on se rapproche de la prochaine présidentielle prévue en février 2024, Macky Sall pose des actes qui balaient les derniers doutes sur sa candidature.

De l’emprisonnement en janvier dernier du journaliste Pape Alé Niang, directeur du quotidien Matin de Dakar pour « diffusion de documents militaires » à la suspension en mars 2023 du signal de la télévision privée Walf TV pour « couverture irresponsable », en passant par des agressions sur le terrain des journalistes par les forces de l’ordre, les assauts inédits contre la liberté de presse témoignent d’une ferme volonté de Macky de passer en force. L’application de cette stratégie n’épargne même pas l’armée sénégalaise naguère tenue par tous les courants loin des tempêtes de la vie politique. Sans que l’on sache pourquoi, le président Sall a limogé le 7 avril le chef d’état-major des armées sénégalais le général Cheikh Wade alors même que son commandement n’était pas terminé et qu’il venait de réussir un grand défilé militaire, à l’occasion de la célébration trois jours de la fête nationale du Sénégal. La nomination du général Mbaye Cissé, chef d’état-major particulier de Macky Sall, à la tête des armées achève de convaincre de ce que ce remaniement à la tête de l’armée ne correspond à aucun autre impératif que l’agenda personnel de Macky Sall. 

Neutralisation judiciaire 

Mais le cœur de la stratégie présidentielle 2024 de Macky Sall, c’est bien la neutralisation judiciaire de ses opposants les plus emblématiques. Mieux que quiconque le président sortant sénégalais sait le bénéficie politique qu’une instrumentalisation de la justice peut apporter. En effet, pour sécuriser sa réélection de 2019, le président Sall avait fait emprisonner deux ans plus tôt pour détournement des deniers publics son principal rival Khalifa Sall, alors de Dakar. Après sa réélection confortable, Macky Sall a accordé sa grâce l’ex-maire de la capitale sénégalaise.

Pour 2024, le président candidat non déclaré entend employer la même méthode contre Ousmane Sonko, président des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) dont le procès devarit reprendre ce lundi 17 avri (voir le papier ci dessous).

Obsédé par la condamnation à tout prix de son premier opposant OusmaneSonko, Macky Sall semble sous-évaluer les risques importants d’embrasement que son agenda fait courir au Sénégal.

Macky Sall, le déclin politique

Des violences d’une ampleur inédite avaient secoué en mars 2021 le pays faisant au moins 13 morts suite à l’arrestation de Sonko dans le cadre de l’enquête sur le viol présumé d’une employée d’un salon de massage de Dakar. Chaque convocation de l’opposant devant la justice provoque un abcès de tensions à Dakar et dans les grandes villes du Sénégal où le parti PASTEF conserve une grande capacité de mobilisation, particulièrement parmi les jeunes qui sont prêts à en découdre pour défendre leur idole. La posture actuelle du président Sall est d’autant plus incompréhensible qu’en plus des risques de violence à grande échelle que pose une élimination politico-judiciaire de Sonko d’autres facteurs fragilisent ses ambitions pour un troisième mandat.  

A en juger par les résultats des législatives de juillet 2022 et des élections municipales de janvier 2023, la majorité présidentielle n’a pas la côte auprès des électeurs sénégalais. Cette désaffection s’est traduite par la perte par le président Macky Sall de la majorité à l’Assemblée nationale. Ainsi, entre les législatives de 2017 et celles de 2022, le nombre de sièges des députés de la majorité qui soutient Macky est passé de 125 à seulement 82. Le recul politique de Macky Sall s’est poursuivi avec les dernières élections locales qui ont vu l’opposition gagner, outre Dakar la capitale, les grandes villes de Thiès, Diourbel, Mbacké et Ziguinchor. Ce n’était pas pourtant faute d’avoir tout essayé pour s’assurer une vraie clientèle politique. Sous couvert d’une série de tournées d’évaluation, Macky a parcouru le pays profond promettant ici des infrastructures routières et aéroportuaires, là des écoles et des marchés, ailleurs des emplois pour les jeunes et les femmes. Fait inédit depuis l’indépendance, Macky Sall avait annoncé une rémunération mensuelle pour tous les chefs traditionnels du Sénégal.  Visiblement toutes ces largesses n’auront pas suffi à embarquer l’électorat sénégalais dans l’aventure du troisième mandat. Ces alertes n’apparaissent, toutefois, pas assez pour que le président Sall entende les mises en garde des juristes sur la fragilité de sa candidature à un troisième mandat et les conseils de « ses amis » extérieurs qui l’encouragent à se retirer dignement. 

 Macky Sall veut donc tenter le pari incertain du troisième mandat. Une sorte de quitte ou double porteur de lendemains incertains voire douloureux pour le Sénégal, pays décrit jadis comme la vitrine de la démocratie en Afrique francophone

Sénégal, le chef de l’opposition, Ousmane Sonko, face aux juges