Dans un entretien à Mondafrique, l’avocate Delphine Djiraïbe reçue à l’Elysée mardi 26 mai dénonce le soutien aveugle de Paris au régime autoritaire du président tchadien Idriss Déby.
https://youtu.be/FO6mW8R-W_M
La face cachée des relations entre Idriss Déby et la France
A priori, tout a été dit et écrit sur « le système Idriss Déby », l’autocrate qui dirige le Tchad depuis décembre 1990. A maintes reprises, l’opacité des relations franco-tchadiennes, quel que soit le locataire de l’Elysée, a été analysée, dénoncée… Pourtant, le rapport que viennent de rendre public le Comité de suivi de l’Appel à la paix et à la réconciliation nationale (CSAPR, société civile tchadienne) en collaboration avec le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) intitulé « Petites et grandes controverses de la politique française et européenne au Tchad », décrypte la relation controversée entre la France et le Tchad dans les domaines militaire, géopolitique, interne et multilatéral. Il a été rédigé sous la direction de Roland Marchal, chercheur au CNRS et spécialiste de l’Afrique. En voici quelques extraits :
« (…) Il est vrai qu’il n’est aucun pays en Afrique et ailleurs qui ait autant bénéficié d’interventions militaires françaises depuis son indépendance : Limousin, Bison, Tacaud, Manta, Silure, Epervier (…). C’est dans cette matrice interventionniste, dans ces opérations quasi ininterrompues qu’on doit chercher ce lien si particulier qui fait qu’il est rare d’engager la conversation avec un officier français sur ce pays sans qu’il ne rappelle son ou ses séjours » (Rapport page 13) .
Or, pour les ONG tchadiennes et françaises, le soutien « aveugle » à Idriss Déby a considérablement desservi la promotion de la démocratie et des droits de l’homme dans son pays. Plus grave, selon le Rapport, « Idriss Déby » apparait le plus souvent dans les cercles politiques français comme l’unique garant de la paix et de la stabilité dans son pays.
« (…) Les décideurs français en viennent également à adopter [la] thèse qui reste jusqu’à aujourd’hui partagée par l’essentiel de l’appareil d’Etat français : seul un président « nordiste » garantit la paix civile au Tchad. (…) Même dans les grands moments d’irritation vis-à-vis de Déby, ce postulat ne s’est jamais remis en cause. Cela montre comment les responsables français se sont enfermés dans une véritable impasse intellectuelle » (Rapport page 23)
Résultat, la politique française au Tchad est paradoxale à bien des égards. Tantôt calquée sur un modèle proprement colonial, elle surfe, le plus souvent sur des approximations historiques et sociales surprenantes. Les 50 pages du Rapport décrivent par ailleurs dans le détail la carrière des principaux acteurs qui fondent aujourd’hui les relations entre Paris et N’Djamena. Dans la liste, on trouve notamment les diplomates Bruno Foucher (actuel ambassadeur de France à Téhéran), Bruno Joubert (ambassadeur à Rabat), les militaires Jean-Marc Gadoulet, Jean-Marc Marill, le général Benoît Puga, chef d’état-major particulier de François Hollande.
« Le choix de promouvoir Barkhane aux dépens d’une approche plus intégrée révèle les rapports de force politique au sein du petit monde des conseillers du président français. Cette opération met l’accent sur une action militaire sans jamais définir les conditions politiques de son exercice. Comment réduire le terrorisme qu’on dit prospérer sur la mauvaise gouvernance alors que l’action militaire française sanctuarise des régimes peu enclins à se réformer ?» conclut l’étude (page 51). Tant qu’il s’associera à l’armée française comme au Mali pendant Serval et qu’il acceptera d’abriter le quartier général de Barkhane, Idriss Déby n’a pas de soucis à se faire. Paris fermera les yeux sur les entorses à la démocratie et les atteintes aux droits de l’homme au Tchad, déplore Roland Marchal.