Un an et demi après l’élection très contestée d’Alassane Ouattara où va la Côte d’Ivoire ? Economiquement, le pays semble être sur la bonne voie. Politiquement, c’est le calme plat alors que les problèmes cruciaux ne sont pas résolus. Tels des crocodiles dans leur marigot, tous les acteurs de la scène ivoirienne sont assoupis, mais il faut se méfier de l’eau qui dort…
« Il faut le reconnaître, Alassane a travaillé, Abidjan s’est métamorphosée » admet un ancien ministre de Laurent Gbagbo. En plus, du pont Henri Konan Bédié terminé en 2014, des échangeurs ont vu le jour, comme celui qui fait la jonction entre les boulevards de Gaulle et Giscard d’Estaing. La place devant la mairie d’Abobo toujours grouillante de monde n’est plus, il ne reste qu’un vaste chantier ; les bidonvilles de Treichville ont disparu aussi. Mais où vivent maintenant tous ceux qu’ici on appelle les « déguerpis » ? « Difficile à dire » répond le chauffeur de taxi « la plupart a été s’installer plus loin à la périphérie d’Abidjan, d’autres sont retournés au village, certains émigrés sont rentrés dans leur pays d’origine. »
Ces déménagements forcés ne se passent pas sans heurt comme celui de la casse du rond-point d’Anador où des affrontements entre policiers et ferrailleurs ont eu lieu. Au final, malgré les mécontentements, les manifestations et les échauffourées le gouvernement obtient toujours gain de cause. « Sous Gbagbo, chaque fois qu’il y avait un déguerpissement, la communauté internationale s’époumonait contre le gouvernement, avec Alassane, silence, tout passe… » se rappelle une militante du FPI, ancien parti de Laurent Gbagbo.
Malgré tout, les Abidjanais sont assez fiers du développement de leur ville, mais en se transformant, en se bétonnant à l’occidentale, la capitale ivoirienne y perd un peu de son âme et devient une grande ville comme une autre. Les fameux taxis rouges sont de moins en moins nombreux et laissent la place aux véhicules anonymes de Yango, le « Uber » de l’homme d’affaire russe, Arkady Volozh.
A l’intérieur du pays, les grands chantiers sont plus lents, voire inexistants. Malgré les promesses d’Alassane Ouattara, Yamoussoukro, la capitale politique a du vague à l’âme et attend toujours d’être ripolinée.
Dialogue à une voix
La politique aussi aurait bien besoin d’un « coup de jeune ». Ce sont toujours les trois figures inébranlables, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo qui combattent dans l’arène, mais il semble que les cornes des vieux buffles soient émoussées. Après le retour du plus célèbre prisonnier politique en juin 2020, on aurait pu s’attendre à une certaine ébullition, il n’en est rien, les « Vieux » ont décidé de garder l’arme au pied.
« Tout le monde à les yeux rivés sur la prochaine élection présidentielle en 2025 » explique le chef d’un petit parti, il poursuit : « même si cela paraît loin, chacun essaye de reconstituer ses forces, d’organiser son camp. Les coups d’Etat des voisins, Burkina Faso, Mali, Guinée Conakry ont aussi calmé les ardeurs, rien ne vaut la stabilité ! »
Le cinquième rounddu dialogue politique organisé pour apaiser les tensions et préparer les élections locales de 2023 et la présidentielle s’est terminé en mars sans aucune avancée majeure. Une participante raconte : « c’est un jeu de rôle, le gouvernement ne lâche rien, chaque fois que des sujets importants sont abordés comme la sécurité, la libération des militaires emprisonnés depuis 2011, on nous répond : secret d’Etat. » Au final, les 21 partis politiques et les 26 organisations de la société civiles se sont entendus sur un seul point : le paiement régulier des subventions aux partis politiques ! Pourtant, le Premier ministre, Patrick Achy se félicite : « Je crois que cela augure pour notre pays d’un avenir dans lequel la démocratie sera encore plus renforcée, mais surtout où la stabilité et la paix durable sont un fait incontestable. » Personne n’est dupe, ce dialogue est un théâtre d’ombre qui sert avant tout à rassurer la communauté internationale inquiète après les violences électorales, lors de l’élection présidentielle d’octobre 2020, qui avaient fait au moins 80 morts.
La réconciliation à l’abandon
Car le pays n’a toujours pas vaincu ses vieux démons. Si personne n’ose le dire à voix haute, les ressentiments sont perceptibles, la situation n’est normalisée qu’en apparence, tout est encore à vif. Aux douleurs encore présentes de la guerre de 2011, se sont ajoutées celles nées de la désobéissance civile qui a eu lieu lors du dernier scrutin.
Alassane Ouattara n’a pas œuvré à la réconciliation. « Il s’est replié dans sa bulle, on a tous cru qu’il allait ouvrir le jeu politique, mais il a continué avec le même cadre, et a poursuivi le rattrapage ethnique » ajoute l’homme politique. Les Ivoiriens se plaignent « quand on regarde la liste des nominations, des admis au concours de la fonction publique, il n’y a que des noms de nordistes » ; « beaucoup de gens ne regardent plus le journal du soir, la parole n’est donnée qu’aux nordistes. » Certains Malinkés admettent eux-mêmes que « c’est trop, un jour, ça va pêter. »
Dans l’Ouest, le pays Wé vit toujours sur une poudrière. Le 27 mars, est un anniversaire douloureux, une plaie ouverte. En 2011, lors de la guerre, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire ont perpétré un terrible massacre dans la ville de Duékoué. En 48 heures, selon la Croix Rouge, 867 personnes ont été tuées. La Cour Pénale Internationale qui avait promis pourtant de juger les deux camps n’a jamais inculpé personne pour ce crime contre l’humanité. Aucun des auteurs n’a été jugé, laissant le peuple Wé dans la colère et la souffrance.
D’autant qu’à ces souvenirs s’ajoutent les problèmes actuels. Un natif de la région raconte : « sur nos terres, nous sommes devenus minoritaires, elles sont occupées par des émigrés de la sous-région. Les gars prennent nos maisons, marient nos filles, entretiennent les plantations. Ils ne nous restent plus que l’exil à Abidjan, à San Pédro, en France, bientôt, il y aura plus de Wé à Paris qu’il n’en reste au pays. Ceux qui restent sont au bord de la rébellion »
Les djihadistes en embuscade
Avec le risque djihadiste, la paix et la concorde sont pourtant des facteurs précieux. A Abidjan, la situation sécuritaire n’est pas un sujet personne ne souhaite en parler. Même les opposants qui sont pourtant conscients de la dramatique situation sécuritaire des pays voisins ne s’en inquiètent pas vraiment. Seul le pouvoir est lucide sur les dangers qui guette le pays, « c’est une vraie préoccupation » confie un proche du pouvoirt, mais le gouvernement à fait le choix de ne pas communiquer sur ces questions-là.
Depuis presque deux ans, plusieurs attaques ont eu lieu dans le nord-est du pays, des renforts militaires ont été envoyés pour surveiller la zone et rassurer les populations qui vivent dans la crainte. Elles voient arriver les nombreux burkinabè qui fuient les violences. Tougbo, une commune proche de la frontière héberge 6000 réfugiés, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes de déstabilisation, de surexploitation des ressources et de tensions ethniques, notamment avec la stigmatisation des Peuls.
Pour l’instant le pouvoir maintient l’équilibre sur ce front-là comme sur les autres. Jusqu’ici tout va bien clament en chœur les Ivoiriens, jusqu’à quand ? Se méfier de l’eau qui dort…
Cote d’Ivoire, les « déguerpis » d’Abidjan