Après deux tours d’une présidentielle marquée par de fortes tensions politiques, l’Union des Comores, petit archipel de 750 000 habitants au large de Madagascar, s’apprête à refaire voter une partie de sa population. Sur décision de la Cour constitutionnelle, 13 bureaux de vote ciblés par des actes de vandalisme lors du deuxième tour à Anjouan, la deuxième île la plus peuplée du pays, rouvriront leurs portes aux électeurs le 11 mai.
Bévues
« Des urnes ont été détruites, des personnes chassées des bureaux et empêchées de voter au deuxième tour du 10 avril » affirme un observateur sur place. En tout, près de 11 000 électeurs inscrits dans 23 bureaux d’Anjouan n’ont pu sereinement se rendre aux urnes ce jour là dénonce le camp du candidat du pouvoir, Mohamed Ali Soilihi, donné battu d’environ 2000 voix selon des résultats provisoires contestés. Après délibération, la Cour constitutionnelle n’a cependant décidé de refaire voter que dans 13 bureaux, « certaines urnes ayant pu être rapatriées par les autorités » explique-t-on dans l’entourage présidentiel.
Depuis ces incidents, les accusations fusent alors que chaque voix peut faire pencher la balance d’un côte ou de l’autre. Les partisans de Mohamed Ali Soilihi imputent la responsabilité du « saccage » de plusieurs bureaux de vote au colonel Azali Assoumani, favori de l’élection appuyé par son puissant bras droit, l’ex président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Dans les cercles proches du pouvoir, on affirme notamment que le colistier d’Azali, Moustadrane Abdou, qui dispose de nombreux relais sur l’île aurait manoeuvré en coulisses pour fomenter l’agitation.
Quel en était le besoin ? La popularité dont jouit l’ex chef d’Etat Ahmed Abdallah Mohamed Sambi sur l’île d’Anjouan dont il est originaire devait permettre au candidat Azali de l’emporter sans fraude. C’était sans compter sur le clivage économique et social encore prégnant sur l’île entre les populations des zones urbaines (« kabaïla » – nobles) et celles des zones rurales (« matsaha » – paysans) où se situent la plupart des bureaux vandalisés. Très populaire dans la capitale Mutsamudu, « Sambi » est bien moins influent dans l’arrière pays d’Anjouan. « C’est parce qu’ils n’étaient pas sûrs de l’emporter qu’ils ont mis les bureaux à sac » affirme une source proche du pouvoir. Faux, répond l’opposition qui assure que les saccages ont eu lieu suite à une tentative des autorités en place de bourrer les urnes.
Aux actes de vandalisme s’ajoute le décalage entre le nombre de votants, 204 113, et les suffrages exprimés plus les nuls, 205 410, soit une différence de 1293 voix « fantômes ». De quoi faire réagir l’Union africaine et les Nations Unies qui, dans un langage très diplomatique, se sont dites « inquiètes et attentives », appelant au « respect des lois ».
Reste que depuis l’annonce de la tenue de nouvelles élections dans 13 bureaux de vote, les candidats en compétition se sont lancés dans une chasse effrénée aux électeurs. Et ce, par tous les moyens. Sur place, plusieurs observateurs ont signalé des tentatives de confiscation de cartes électorales en échange de rémunérations. « A ce stade, c’est l’achat de conscience qui fait la différence » lâche avec cynisme un journaliste comorien présent sur place.
Le Golfe aux avants-postes
Familiers du pouvoir, les deux adversaires en lice ont accumulé, lorsqu’ils étaient en poste, d’importants moyens leur permettant de battre campagne. L’un, Mohamed Ali Soilihi, en tant qu’ancien ministre des Finances et candidat du pouvoir bénéficiant des moyens de l’Etat ; l’autre, Azali Assoumani, en tant qu’ancien président.
Surtout, ce dernier bénéficie de l’appui déterminant de l’ex chef d’Etat Sambi, lui aussi assis sur une confortable fortune. Aux Comores, chacun garde en mémoire l’affaire de la vente de plusieurs milliers de passeports comoriens en 2008 dans les pays du Golfe aux « bidouns« . Des Bédouins considérés comme des citoyens de seconde zone dans leur patrie, où ils sont privés de documents d’identité. Selon un source bien informée, le montant du juteux négoce initié sous la présidence de Sambi, notamment par l’intermédiaire de son neveu et directeur de cabinet de l’époque, Mohamed Bacar Dossar, s’élèverait à quelques 360 millions de dollars. Toujours selon la même source, une vingtaine de millions aurait servi à rémunérer un émissaire syrien, Bachar Kiwan, en charge d’élaborer le contrat avec les pays du Golfe. Le reste s’est évaporé.
Proche des autorités iraniennes avec lesquelles il entretient des liens de confiance depuis plus de vingt ans, Sambi est par ailleurs soupçonné d’avoir reçu, pendant plusieurs années, des financements venant de Téhéran à travers la Société Anonyme de la Grande-Comore (SAGC), structure héritière d’une société coloniale française chargée de la gestion des terres du pays. Plus récemment, des rumeurs circulent dans les cercles politiques comoriens faisant état d’un transfert de subsides depuis l’ambassade d’Iran à Madagascar destinées à financer la campagne de 2016.
Autant de suspicions qui jettent un peu plus d’huile sur le feu d’une campagne électorale observée attentivement par le pouvoir saoudien qui voit d’un mauvais oeil l’éventuel retour d’un allié de l’Iran au pouvoir.