Serge Espoir Matomba est candidat à l’élection présidentielle au Cameroun. Il se présente comme le candidat de la jeunesse et son parti politique, le PURS (Peuple Uni pour la Rénovation Sociale), gagne du terrain dans les régions défavorisées du Nord du Cameroun et auprès des jeunes électeurs urbains.
Propos recueillis par Caroline Bright
Mondafrique : Trente-six ans après l’arrivée au pouvoir de Paul Biya, dans quel état est le Cameroun ?
Serge Espoir Matomba : Le Cameroun va très mal. Tous les secteurs de la vie publique connaissent la déchéance à commencer par l’Education Nationale qui est laissée à l’abandon. La dette publique est de 5 383 milliards de francs CFA, entraînant un programme d’ajustement du FMI, 63 % des Camerounais vivent sans eau et 80 % sans électricité. Les besoins les plus élémentaires des populations ne trouvent pas satisfaction.
Le Cameroun est aussi frappé par un chômage de masse puisque selon les organisations syndicales, le taux de chômage réel atteint les 70 % de la population active ! Chaque année, 300 000 jeunes Camerounais sortent diplômés des universités, dont 180 000 sont prêts à l’emploi, mais une infime minorité trouve un travail. C’est une catastrophe économique et humaine.
Au moment de notre indépendance, en 1961, la société camerounaise était très politisée. En 36 ans de pouvoir, le régime de Paul Biya en a fait une société clientéliste où la corruption règne en maître. Aujourd’hui, au Cameroun, les fonctionnaires sont plus riches que les hommes d’affaires et la presse signale régulièrement des cas de ministres qui se font dérober des millions de francs CFA en liquide à leurs domiciles par des malfaiteurs !
Mondafrique : Et sur le plan politique, que peut-on dire ?
Serge Espoir Matomba : Sur le pan politique, le Cameroun connaît depuis de longues années une dérive autoritaire. Le pays est devenu une autocratie voilée dont le destin dépend d’un seul individu en la personne de Paul Biya. Il incarne l’autorité suprême, au dessus du législatif et du judiciaire. La liberté d’expression et la liberté de manifester sont restreintes. Le dernier exemple en date remonte au 27 février dernier : des enseignants sont sortis dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de travail à Yaoundé et ils ont été dispersés dans la violence par les forces de l’ordre qui ont procédé à de nombreuses arrestations.
Mondafrique : Dans quel état d’esprit se trouvent les Camerounais en cette année d’élection présidentielle ?
Serge Espoir Matomba : Les Camerounais sont résignés à cause du chômage de masse qui créé des ravages dans la société et notamment auprès des jeunes. Il ne faut pas oublier que la population camerounaise se compose à 45 % de moins de 15 ans et que si le pays ne redresse pas la barre, on court à la catastrophe. Une majorité de jeunes sont convaincus que le Cameroun c’est l’enfer et qu’ailleurs c’est le paradis. L’émigration par tous les moyens est en hausse constante. 1 700 Camerounais ont d’ailleurs été répertoriés comme faisant partie des personnes esclavagisées en Libye…
Mondafrique : Le Cameroun fait rarement la Une de l’actualité africaine en France, ce privilège revenant aux pays de la zone sahélienne. Pour autant, le Cameroun subit lui aussi le terrorisme. Qu’en est-il ?
Serge Espoir Matomba : Nous subissons régulièrement des attaques terroristes qui sont imputées à Boko Haram, la dernière remontant au 5 février au cours de laquelle six personnes ont été tuées dans l’extrême-nord du Cameroun. Je pense qu’en ce qui concerne Boko Haram, c’est une fois de plus la voix des oubliés et des marginalisés de la République qui retentit. Le grand Nord est une zone enclavée dans laquelle les populations sont très pauvres. Certaines sont même menacées de famine à cause de la sécheresse qui sévit. De nombreux cas de grave malnutrition y sont recensés. Cette extrême pauvreté s’explique en grande partie par le choix de développer les grandes villes du pays et de laisser en désuétude les régions les plus septentrionales. C’est dans ce contexte de désespoir et d’absence d’avenir que des jeunes sont enrôlés par les terroristes de Boko Haram en échange de cinq, dix ou quinze mille francs CFA pour certains. Soit l’équivalent de 10 à 30 euros !
Mondafrique : Il y a aussi la crise dite du Cameroun anglophone qui fragilise l’unité du pays. De quoi s’agit-il exactement ?
Serge Espoir Matomba : Traditionnellement, les anglophones du Cameroun, qui vivent dans les régions du Nord et du Sud-Ouest, pensent que leur indépendance a été volée par les francophones en 1961. Aujourd’hui, des extrémistes indépendantistes ont demandé l’indépendance de cette région. Sur ce sujet qui anime de nombreux débats dans notre classe politique et une répression de la part du régime qui qualifie ces indépendantistes de « terroristes », ma position est claire : l’unité et l’intégrité territoriale du Cameroun est une priorité. Mais nous devons avoir conscience que si des personnes demandent l’indépendance c’est bien qu’elles pensent avoir de meilleures conditions de vie dans un Etat indépendant que dans le Cameroun d’aujourd’hui qui les marginalise. L’unité du pays doit rimer avec le développement de toutes les régions.
Mondafrique : Des rumeurs alarmantes circulent régulièrement sur l’état de santé de Paul Biya. Comment le régime appréhende-t-il l’élection présidentielle de 2018?
Serge Espoir Matomba : La date de l’élection présidentielle de 2018 n’est pas encore fixée mais elle devrait se tenir aux alentours du mois d’octobre, ce qui reste à confirmer bien sûr. On observe que dores et déjà l’entourage de Paul Biya s’active en vue de cette échéance. J’en tiens pour preuve la mise sur pied subite du Conseil Constitutionnel ces dernières semaines. Le Conseil Constitutionnel existe sur le papier depuis 22 ans mais demeure une fiction puisque personne n’y a jamais été nommé. Or, en février dernier, un décret présidentiel signé de Paul Biya a finalement constitué ce fameux Conseil constitutionnel dont le rôle est entre autres de constater la vacance du pouvoir et de résoudre les litiges électoraux.
Dans la même lignée, les grands électeurs (conseillers municipaux et régionaux) qui élisent les sénateurs ont été convoqués en vue d’élections sénatoriales. Mais dans les faits, ces grands électeurs n’existent pas et ce sont des sénatoriales faussées qui se préparent comme cela a été le cas en 2013. Or le Sénat et son Président assurent la vacance du pouvoir en cas d’incapacité du chef de l’Etat…
Mondafrique : Votre parti politique le PURS (Peuple Uni pour la Rénovation Sociale) a été créé en 2010 et vous en êtes le Premier secrétaire. Dans vos discours, vous traitez régulièrement Paul Biya d’autocrate. Subissez-vous des pressions et comment faites-vous campagne ?
Serge Espoir Matomba : nous privilégions une campagne sur le terrain parfois même dans une démarche de porte à porte. Notre priorité est de sensibiliser les populations, notamment les jeunes, à s’inscrire sur les listes électorales. Seule une masse critique importante peut changer la donne et faciliter la rénovation sociale. Les Camerounais ont compris qu’ils ne doivent plus voter par affinité religieuse ou ethnique et que le destin du peuple ne peut être échangé contre des billets de banque ou quelques sacs de riz. Dans mes discours, je mets l’accent sur notre projet de société qui se base sur la refondation du système éducatif qui pour moi est la clé durable du développement du Cameroun.
Bien sûr, nous subissons régulièrement des menaces et des intimidations. Par exemple, le 3 décembre dernier, les locaux de mon parti ont été incendiés de façon volontaire et criminelle. Nos archives et notre matériel informatique ont été réduits en cendres et les disques durs des ordinateurs qui n’avaient pas été brûlés ont été volés. Mais nous ne baisserons pas les bras.
Mondafrique : Qu’avez-vous à dire à Paul Biya ?
Serge Espoir Matomba : Au bout de 434 mois de pouvoir, Paul Biya est usé. Il a fait son temps. Son bilan n’est pas élogieux. Il est temps pour lui de prendre sa retraite.
Les dix mesures clé du PURS
– 5 millions d’emplois en cinq ans.
– Faire de la gratuité de l’école primaire une réalité.
– Mettre en place une assurance maladie.
– Faire du Cameroun un grenier agricole.
– Favoriser le développement des PME et PMI.
– L’industrialisation du Cameroun.
– La dépénalisation de la double nationalité.
– Favoriser l’autonomie des régions par une décentralisation effective.
– Impliquer les femmes dans les sphères de décision.
– Débloquer des fonds destinés à la Culture et au cinéma.