Burundi, l’ONU dénonce la brutalité et la cruauté de la répression

Des morts, des disparitions par centaines, des tortures devenues habituelles, tel est le tragique bilan de la crise au Burundi depuis que le président Pierre Nkurunziza a décidé de se faire réélire en violant la Constitution. Ce jeudi matin, une commission d'enquête internationale rendait son rapport au Conseil des droits de l'homme de l'ONU

Voici le texte de l’intervention prononcée le 14 juin 20007 à Genève par le président de la commission d’enquète de l’ONU, Fatsah Ouguergouz, au terme d’un travail de quatre mois sur place

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

La Commission d’enquête sur le Burundi, que ce Conseil et vous-mêmes avez établie et que j’ai l’honneur de présider, est opérationnelle depuis maintenant quatre mois. Cette période, si elle est courte au regard de la lourde tâche qui nous a été confiée, nous a néanmoins permis de mieux appréhender la situation des droits de l’homme qui prévaut au Burundi depuis avril 2015.

Durant ces quatre mois, mes collègues commissaires et moi-même avons eu l’occasion de nous réunir plusieurs fois, de faire une première présentation devant ce Conseil le 13 mars 2017 et de nous entretenir avec de nombreux acteurs concernés par la situation au Burundi.

Nous avons cherché à plusieurs reprises à rencontrer le Représentant permanent du Burundi à Genève aux fins d’établir un dialogue avec les autorités burundaises. Malheureusement, ces démarches sont restées lettres mortes, tout comme les correspondances que nous avons adressées, le 6 février 2017 et le 20 mars 2017, au ministre des Relations extérieures du Burundi l’assurant de notre bonne volonté à travailler avec les autorités burundaises et invitant le Gouvernement du Burundi à partager avec notre Commission toutes les informations qu’il jugerait utiles.

Nous regrettons vivement l’absence de réponse et de coopération de la part du Burundi, alors même que cet État est membre de ce Conseil et donc tenu de collaborer avec les mécanismes, comme le nôtre, créés par ce dernier. Toutefois, notre Commission continuera, jusqu’à la fin de son mandat, de déployer tous les efforts nécessaires afin d’établir un dialogue avec le Gouvernement burundais. Nous avons à cet effet envoyé une nouvelle lettre au ministre des Relations extérieures, pas plus tard que le 12 juin dernier. A cette même date, nous avons également communiqué une copie de la présente déclaration orale à la Mission permanente du Burundi à Genève, qui en a accusé réception.

Nous n’avons donc pas nous rendre Burundi. Nous avons néanmoins pu visiter plusieurs pays où se trouvent des réfugiés burundais dont, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), le nombre s’élève actuellement à plus de 400.000 personnes, soit environ 4 pour cent de la population totale du pays[1].

Depuis le début de nos enquêtes, nous avons recueilli plus de 470 témoignages sur les violations des droits de l’homme commises depuis avril 2015 au Burundi, qui complètent les informations que nous avons reçues d’autres sources. Je tiens ici à remercier les Gouvernements de la République démocratique du Congo, du Rwanda, de la Tanzanie, de l’Ouganda et du Kenya pour leur coopération et pour nous avoir donné, ainsi qu’à notre secrétariat, accès à leurs territoires respectifs. Je remercie également la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUSCO) et les équipes pays des Nations Unies au Rwanda, en Tanzanie et en Ouganda d’avoir facilité nos visites.

 

Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,

 

La crise relative aux droits de l’homme que traverse le Burundi dure depuis plus de deux années. Le 26 avril 2017 marquait en effet la date anniversaire des premières manifestations contre la candidature du Président Nkurunziza à l’élection présidentielle, qui, comme nous l’avons documenté, ont donné lieu à des violations graves des droits de l’homme, dont des arrestations et détentions arbitraires et un usage répété et excessif de la force par la police à l’encontre des manifestants.

Ces violations se sont multipliées après la tentative de coup d’État de mai 2015 et se sont encore aggravées en décembre de la même année suite à des attaques contre des installations militaires à Bujumbura et ses environs. La situation s’est-elle améliorée depuis, comme l’affirme le Gouvernement du Burundi ? Les témoignages recueillis par la Commission laissent penser le contraire.

 Un climat de peur généralisé

Nous avons été frappés dans nos enquêtes par le sentiment de peur profonde et généralisée qui se dégage des témoignages que nous avons recueillis auprès des personnes exilées : peur des persécutions par les autorités burundaises et par des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure ; peur de témoigner par crainte de représailles ; peur de rentrer au pays malgré les appels répétés du Gouvernement burundais. Bon nombre de victimes et de témoins interrogés ont exprimé le besoin urgent d’être suivis psychologiquement et, pour certains, médicalement. Certaines victimes étaient visiblement traumatisées suite aux tortures et traitements cruels ou inhumains qu’elles ont endurés, ou après avoir échappé de justesse à la mort. Les personnes que nous avons pu rencontrer nous ont décrit le sort de plusieurs autres qui ont été exécutées ou torturées, ou qui ont été victimes de violences sexuelles ou de disparitions forcées. En outre, les quelques défenseurs des droits de l’homme qui n’ont pas été contraints de quitter le Burundi ont de plus en plus de difficultés à recueillir les témoignages des victimes dans le pays de peur de les exposer ainsi qu’eux-mêmes à des risques de représailles. 

Sévères restrictions des libertés publiques

Les sévères restrictions des libertés publiques constatées en 2015 perdurent. À ce jour, les principaux dirigeants de partis d’opposition ainsi que de nombreux journalistes et autres membres de la société civile sont toujours en exil et, pour certains, sous le coup de mandats d’arrêt internationaux émis par les autorités burundaises. Début janvier 2017, le Gouvernement a définitivement radié la Ligue Iteka, la plus ancienne organisation de défense des droits de l’homme du pays. Cette mesure est intervenue après que la Ligue Iteka a publié en novembre 2016, conjointement avec la Fédération internationale des droits de l’homme, un rapport sur la détérioration de la situation des droits de l’homme au Burundi. Le 4 avril 2017, le Gouvernement a en outre annoncé la suspension pour six mois d’un des principaux partis d’opposition, le Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD).

Les principaux médias privés restent suspendus. À ce jour, seules deux des radios fermées en avril et mai 2015 ont été autorisées à émettre à nouveau, dont une radio proche du parti au pouvoir – Rema FM – et une radio privée – la Radio Isanganiro. Après sa réouverture, cette dernière a vu l’une de ses émissions suspendue en novembre 2016 pour avoir diffusé une chanson intitulée « Droits de l’homme pour les journalistes » ; en outre, le 4 avril dernier, le rédacteur en chef de cette même radio a été convoqué au Service national de renseignement à Bujumbura pour être interrogé notamment sur la supposée collaboration de la radio avec des médias burundais émettant à partir du Rwanda.

Nous sommes également préoccupés par certains amendements qui auraient été proposés dans le cadre de la révision en cours du Code pénal et du Code de procédure pénale. D’après les informations que nous avons reçues, ces amendements permettraient aux forces de l’ordre de procéder à des perquisitions sans mandat, y compris durant la nuit, renforceraient le contrôle des courriels, et faciliteraient la saisie de données électroniques.

Vous vous souviendrez qu’en mars 2017, nous nous étions alarmés ici-même de « l’ampleur et la gravité des allégations de violations des droits de l’homme et d’atteintes à ceux-ci au Burundi[2]. » Sur la base des entretiens que nous avons pu conduire depuis, nous sommes maintenant en mesure de confirmer nos craintes initiales.

La violence au Burundi, qu’elle soit attribuée aux agents de l’Etat, aux Imbonerakure, ou à des groupes d’opposition armés, n’a pas cessé depuis avril 2015. Chaque acte de violence entraîne de graves conséquences pour la population civile. À titre d’exemple, des coups de feu et des explosions de grenades ont à nouveau eu lieu en mai 2017 à Bujumbura, entraînant une vague de perquisitions et d’arrestations dans certains quartiers de la capitale comme en 2015 et 2016. Les témoignages que nous avons recueillis montrent néanmoins que, depuis la fin de l’année 2016, les violations des droits de l’homme sont souvent commises de manière plus clandestine, mais tout aussi brutale. Une victime nous a ainsi rapporté qu’en 2016, un Commandant de police l’avait menacée de la manière qui suit: « Je peux te tuer. Je peux t’enterrer et personne ne le saura ». En 2015 déjà, un chef provincial du Service national de renseignement s’était adressé à des détenus dans les termes suivants: « On va vous tuer et jeter vos cadavres dans la rivière ». Nous avons reçu d’autres témoignages de nature similaire.

Des cas de disparitions forcées continuent d’être rapportés. Des cadavres continuent également d’être retrouvés de manière régulière. D’après plusieurs témoignages que nous avons reçus, il est souvent difficile d’identifier les corps. Le mode opératoire semble être souvent le même : les personnes ont les bras liés dans le dos et parfois le corps des victimes est lesté de pierres afin de couler une fois jeté dans un cours d’eau. De nombreux témoins nous ont rapporté que les corps, lorsqu’ils sont découverts, sont, dans la grande majorité des cas, enterrés rapidement à l’initiative des autorités locales, sans identification ni enquête préalables.

Ces violations des droits de l’homme sont entretenues par des discours de haine prononcés par certaines autorités de l’État et des membres du parti au pouvoir. En avril 2017, une vidéo a circulé montrant une centaine d’Imbonerakure en train d’entonner un chant appelant à « engrosser les opposantes pour qu’elles enfantent des Imbonerakure. » Suite aux condamnations internationales dont celle du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme[3], cette vidéo a été dénoncée par la Secrétaire nationale chargée de l’information et de la communication du parti au pouvoir, qui a promis des sanctions contre les fautifs. De telles sanctions ont-t-elles été prises depuis ? Nous aimerions entendre le Gouvernement du Burundi à ce sujet.

En tout état de cause, cet incident n’est pas un cas isolé. Au cours du mois de mai dernier, nous avons reçu d’autres vidéos de rassemblements et de paroles alarmantes d’Imbonerakure que nous sommes en train d’analyser. Notre Commission a pu également documenter de nombreuses déclarations, y compris de hauts dignitaires, appelant depuis 2015 à la haine et à la discrimination, avec, pour certaines, une dimension ethnique.

Le chant de ces Imbonerakure est également symptomatique d’une tendance plus générale d’embrigadement, dans bien des cas forcé, de la population au sein du parti au pouvoir. D’après de nombreux témoignages que nous avons recueillis, toute résistance est prétexte à des violations des droits de l’homme et atteintes à ceux-ci. En outre, plusieurs victimes de torture par la police ou le Service national de renseignement nous ont rapporté que les sévices qu’elles ont subis étaient accompagnés d’insultes à caractère ethnique de la part de leurs tortionnaires. Cela étant dit, les témoignages indiquent que les victimes sont ciblées le plus souvent en raison de leur opposition présumée au gouvernement, indépendamment de leur appartenance ethnique.

Notre travail d’enquête nous a par ailleurs permis de confirmer les principales violations documentées et rapportées devant ce Conseil, notamment par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme[4] et l’Enquête indépendante des Nations Unies sur le Burundi (EINUB)[5]. Ces violations incluent des exécutions extra-judiciaires, des actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants, des violences sexuelles et basées sur le genre, des arrestations et détentions arbitraires et des disparitions forcées, souvent accompagnées de demandes de rançons importantes aux familles contre des promesses de libération de détenus ou pour retrouver les personnes disparues.

Nous avons été frappés par le caractère particulièrement cruel et brutal des violations qui nous ont été rapportées. Plusieurs victimes, généralement de jeunes membres de partis politiques de l’opposition, surtout du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) ou des Forces nationales de libération (FNL), ou accusés de soutenir ou d’appartenir à des groupes armés, ou encore de détenir des armes à feu, nous ont fait part de tortures systématiques et de traitements particulièrement cruels et inhumains par des agents du Service national de renseignement et de la police, parfois secondés par des Imbonerakure. Nous avons en particulier recueilli un grand nombre de témoignages faisant état, lors des séances de torture, de l’usage de matraques, de crosses de fusil, de baïonnettes, de barres de fer, de chaînes métalliques ou de câbles électriques ayant eu pour effet, dans certains cas, de casser les os de la victime ou de lui faire perdre connaissance, de longues aiguilles qui ont été enfoncées ou de produits non-identifiés injectés dans le corps des victimes, d’ongles arrachés avec des pinces, de brûlures, ainsi que de nombreux sévices sur les parties génitales masculines. Dans plusieurs cas, les actes de torture et les mauvais traitements ont été accompagnés d’insultes violentes et de menaces de mort, y compris à caractère ethnique.

Nous avons également reçu des témoignages de violences sexuelles perpétrées à l’encontre de membres féminins des familles d’opposants, notamment par des présumés Imbonerakure. À titre d’exemple, en août 2015, une femme dans la cinquantaine a été violée par quatre présumés Imbonerakure en tenue policière en raison de l’appartenance de ses enfants à un parti d’opposition et de leur participation aux manifestations d’avril 2015 ; ses bourreaux lui ont ensuite fait subir une autre forme de grave violence sexuelle qu’il m’est douloureux de décrire ici. Autre exemple, en janvier 2017, une femme a été violée par deux hommes armés en tenue militaire devant ses enfants ; son mari, membre d’un parti d’opposition, avait refusé de rejoindre le parti au pouvoir.

La grande majorité de ces violations auraient été commises dans un climat d’impunité totale. En effet, d’après les informations dont nous disposons, les auteurs présumés de violations de droits de l’homme que nous avons documentées ont été rarement poursuivis.

D’ici la prochaine session du Conseil en septembre, où nous serons en mesure de présenter nos conclusions finales, il nous reste à poursuivre nos enquêtes et à procéder à un travail d’analyse, notamment juridique, pour voir si, conformément à notre mandat, certaines violations ou atteintes constituent des crimes de droit international. Nous serons également en mesure d’établir les responsabilités institutionnelles et, dans certains cas, individuelles pour ces violations.

 

 

[1] UN High Commissioner for Refugees (UNHCR), UNHCR renews warning over Burundi j