Face aux pressions du RSP, la toute-puissante garde prétorienne de l’ex président Blaise Compaoré, les autorités de la transition burkinabés sont contraintes de freiner les réformes
Pressé par la rue d’engager son pays sur la voie des réformes tant espérées après le départ de « Blaise », le premier ministre burkinabé Yacouba Isaac Zida doit faire face aux réticences de certains militaires.
Le RSP en colère
Et pas des moindres. Le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), corps d’élite de 1200 hommes créé par l’ex chef d’Etat Blaise Compaoré pour assurer sa protection personnelle et dont les nouvelles autorités avaient annoncé la dissolution en décembre dernier n’apprécie guère d’être soumis à un traitement de choc et le fait savoir. Le 30 décembre dernier, une vingtaine de ces officiers ont convoqué Zida, lui même ex numéro deux de cette véritable « armée dans l’armée », dans leur caserne de Naba Koom à Ouagadougou pour lui faire part de leur mécontentement.
Parmi les présents, on trouve notamment Gilbert Diendéré, ancien bras droit de Blaise Compaoré, Boureima Kéré, ex chef de Corps, ou encore le commandant Théophile Nikiéma, proche de Zida qui avait été nommé chef d’état major particulier de la présidence. Au programme de la rencontre détaillée dans le procès verbal signé par Zida que Mondafrique a pu consulter, les militaires réclament le versement de leurs indemnités et primes de missions, la non dissolution du régiment ainsi que plusieurs nomination. Ils demandent notamment l’affectation du colonel major Boureima Kéré au poste de chef d’Etat major particulier de la présidence occupé jusqu’à présent par Théophile Nikiéma. La nomination du commandant Nikiéma qui a effectué une partie de ses études avec Zida à l’académie militaire de Pô et partage la même foi protestante avait été mal accueillie par plusieurs membres du RSP de rang supérieur. Par ailleurs, le lieutenant Céleste Coulibaly, ancien aide de camp de Blaise Compaoré qu’il a aidé à organiser son départ vers la Côte d’Ivoire est quant à lui nommé Chef de Corps.
Concernant la non-dissolution du régiment, le premier ministre semble avoir répondu en grande partie à la demande du régiment ou, du moins, être parvenu à un compromis. Le procès verbal précise à ce sujet que « le commandement a rassuré la troupe ». Toujours selon ce document, les officiers du régiment recevront par ailleurs une récompense financière individuelle pour « les efforts fournis les journées du 30 et 31 octobre », au moment de l’insurrection contre l’ancien régime. Une rétribution étonnante au regard des récentes accusations formulées contre la garde présidentielle soupçonnée dans un rapport d’Amnesty International datant du 15 janvier d’avoir ouvert le feu sur les manifestants pendant l’insurrection.
Contraintes de mettre de l’eau dans leur vin après cet épisode, les autorités de transition prennent désormais pleinement la mesure des difficultés à réformer cette unité spéciale dotée d’importants privilèges. « On ne peut pas non plus rayer d’un trait de plume ce régiment » a finalement reconnu le président Michel Kafando. Et pour cause. Comme le rappelle l’ONG International crisis group (ICG) dans son dernier rapport « Burkina Faso : neuf mois pour achever la transition », le RSP reste la force militaire la plus puissante et la mieux organisée du pays, pour ne pas dire la seule force apte au combat (…). Le RSP est la seule unité à bénéficier d’un entraînement digne de ce nom et à disposer d’armes lourdes et de stocks de munitions. » Tout démentèlement précipité du régiment risquerait de générer d’importantes frustrations et d’accroitre un peu plus les tensions. Déjà, le limogeage, fin novembre de Gilbert Diendéré qui fut l’homme fort du RSP pendant vingt ans, a privé les autorités de la transition d’un relais clé capable d’engager le dialogue avec les membres de cette unité et de les convaincre. Comme le souligne le rapport d’ICG, le départ de Gilbert Diendéré a par ailleurs laissé le régiment « sans véritable responsable, au point où l’on ne sait plus aujourd’hui qui tient le RSP. Le risque est donc de voir cette unité se fragmenter et devenir beaucoup moins contrôlable. »
Réforme sous haute tension
Délicate, la réforme du RSP, dont le symbole est intimement associé à Blaise Compaoré, n’en n’est pas moins incontournable pour affirmer la volonté de clore définitivement la période de l’ancien régime. Elle est en outre nécessaire pour rétablir un certain équilibre parmis les militaires burkinabés dont beaucoup s’estiment lésés par rapport au RSP qui s’accapare une grande partie du budget de la défense et qui bénéficie d’un traitement de faveur notamment sur plan financier. De lourds soupçons continuent par ailleurs de peser sur l’implication de certains de ses membres dans plusieurs affaires criminelles. Dans un précédent rapport paru en juillet 2013, «Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes », ICG indique que six éléments du RSP ont été désignés par une commission d’enquête indépendante comme des suspects de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998 alors qu’il enquêtait sur un meurtre impliquant le frère du Président, François Compaoré. Selon une source judiciaire à Ouagadougou, des documents faisant état d’une filature de Norbert Zongo avant son assassinat par des éléments du RSP ont été retrouvés dans la maison de François Compaoré après sa mise à sac lors des manifestations d’octobre dernier.
Pour autant, toute réforme trop brutale du RSP risquerait d’être vécue comme une agression par ses membres avec d’inquiétantes répercussions sur le processus de transition. « Si ces derniers (les membres du RSP) s’estiment trahis, s’ils voient leur rémunération s’effondrer, leur garantie de carrière ou de retraite s’évaporer, il est probable qu’ils exerceront une pression sur les autorités de la transition », note ICG.